Le film Les Dossiers secrets du Vatican, sorti le 29 juillet 2015 sur les écrans français, intrigue par son titre puis par son contenu. Le titre lui-même, sans être infidèle à l’original anglais « Vatican tapes », soit « Les enregistrements du Vatican », pourrait sembler l’aggraver, dans le sens où des « secrets » ne sont souvent guère avouables. Il donne en fait une précision intéressante : des cardinaux, des évêques, des prêtres, au sein de l’Eglise catholique, luttent contre les manifestations démoniaques, sans que cet aspect du combat catholique ne soit le moins du monde mis en valeur ou revendiqué dans le discours officiel et public des autorités religieuses, pour dire le moins.
En apparence le film est un spectacle pur qui respecte les règles d’une forme de fantastique sombre, pour ne pas dire d’horreur, dans le sous-genre du film de possession démoniaque, à l’imitation du modèle jamais égalé l’Exorciste (1973) de William Friedkin, réalisateur génial. Ici, dans Les Dossiers secrets du Vatican, une jeune femme au comportement des plus suspects est repérée dans un hôpital psychiatrique catholique aux Etats-Unis ; un duo d’exorcistes essaie de cerner le problème puis de le résoudre. Le thème général se rapproche toutefois davantage de la Fin des Temps (1999) de Peter Hyams, au titre explicite, avec la perspective de la venue du contre-modèle satanique du Christ, l’Antéchrist. Là où la Fin des Temps, narrativement plus efficace, et plus discutable dans sa vision de l’Eglise catholique, s’en tient en fait à la période précédent l’apparition de l’Antéchrist que les héros espèrent empêcher, Les Dossiers secrets du Vatican osent figurer, en fin du film, ce que sera un tel personnage sans sombrer dans le ridicule d’un gigantesque monstre cornu.
Le réalisateur, Mark Neveldine, est catholique ou du moins, d’après nos recherches, marié catholiquement. Il a réalisé des films d’action ou fantastiques. Soit rien de très élevé ni subtil certes. Mais ils ne comprennent pas de scandale blasphématoire non plus. Nous n’attendions pas grand-chose de lui. Or il propose une œuvre certes discutable, mais surprenante et intéressante. Relevons enfin que la campagne d’affichage, peu inspirée, a fait craindre le pire, un film esthétiquement très douteux et hétérodoxe, ce qui n’est heureusement pas le cas.
LE THEME CENTRAL DE LA FIN DES TEMPS
Nous vivons en effet une époque abominable, une ère de meurtres massifs, du fait du poids de tant de guerres et mafias dans le monde, mais aussi de l’avortement qui tue un enfant sur trois avant la naissance dans des pays a priori « sereins », dits « développés » et où des péchés patents, contre-nature, sont promus dans les discours les plus officiels comme des comportements méritants. Notre époque est-elle pour autant celle de la Fin des Temps, de la fin du monde, au sens propre, plein et entier ?
Il y aurait lieu d’être prudent sur ce sujet. Beaucoup de chrétiens, y compris des saints, ont estimé, dès le premier siècle de notre ère, vivre en leur temps une époque particulièrement abominable qui annonçait la Fin des Temps. On est surpris en relisant des textes du XIIIème siècle, ou plus encore du XIVème siècle, marqué par la Grande Peste, périodes qui paraissent rétrospectivement, et à juste titre, les plus catholiques de notre Histoire, décrivant leur époque comme tellement marquée par le péché, l’apostasie de fait etc. que les trompettes des Anges de l’Apocalypse devaient nécessairement résonner de manière imminente.
Les Lettres de saint Jérôme, au Vème siècle, temps d’effondrement d’un monde, l’Empire Romain d’Occident, témoignent déjà de cet état d’esprit ; il est à opposer à la sagesse de son contemporain saint Augustin qui, constatant la fin d’un temps, ne s’aventure pas sur le thème de la Fin des Temps. Saint Thomas d’Aquin fera de même au XIIIème siècle, en reprenant les éléments définissant dans les Ecritures la Fin des Temps donnés par quelques paroles du Christ et dans le livre de l’Apocalypse, soit une époque terrible marquée par les guerres, les famines, les épidémies, les faux-prophètes, accompagnés de schismes et d’hérésies. L’Aquinate relèvera qu’ils peuvent correspondre, hélas, à peu près toutes les époques postérieures à la Résurrection de Jésus-Christ.
Aussi tenons-nous à quelque prudence sur ce sujet. Pourtant le thème de la Fin des Temps reste assurément porteur pour le spectacle qu’est fondamentalement un film. Même si l’on n’est pas convaincu de l’imminence de cette Fin des Temps et de l’apparition de l’Antéchrist, Les dossiers secrets du Vatican intéressent par leur compréhension de notre époque et de l’Eglise et, chose rare dans le cinéma fantastique, par leur orthodoxie.
UN FILM QUI PORTE UNE VISION DE L’EGLISE A NOTRE EPOQUE
Ces Dossiers secrets du Vatican résumeraient l’action d’une cellule de veille des activités démoniques au Vatican. Elle est présentée comme autonome, présidée par deux cardinaux, un Blanc et un Noir, ce qui correspond à l’universalité de l’Eglise. Leur autonomie ne vient pas d’une volonté de constituer, par principe, quelque société secrète mais de l’indifférence totale du pape François aux sujets de ce type, chose parfaitement exacte. Le spectateur s’interroge évidemment sur la réalité de l’existence d’une telle cellule : elle n’est pas certaine sans être impossible pour autant.
Un des deux cardinaux part donc enquêter sur un cas qui fait soupçonner une possession lourde et grave aux Etats-Unis. L’intérêt, au-delà de scènes d’agitation inévitables dans ce type de spectacle mais relativement contenues ici, est de montrer la volonté satanique au travers de l’action de l’énergumène : tuer les bébés – là un nouveau-né, mais le lien avec l’avortement est évident, et évoqué dans le film – ou les malheureux malades mentaux – en lien avec les actuels débats tronqués sur l’euthanasie – et promouvoir un athéisme pratique doublé de relativisme moral.
Toutefois, si l’on est positivement surpris par l’orthodoxie de l’ensemble de l’œuvre, une scène centrale d’exorcisme paraît un peu bizarre dans ses détails sans être clairement mauvaise ou inappropriée. Il s’agirait d’un exorcisme spécial pour dévoiler un Antéchrist potentiel, ce que l’on n’a pas la prétention de connaître et qui n’existe du reste probablement pas. On peut y voir une concession au genre, au spectacle, dans une dimension qui n’est pas du meilleur goût. L’exorcisme lui-même n’est pas aberrant. Le Démon ment, cherche à tromper, à manipuler, à dresser les participants ou assistants les uns contre les autres ; tout ceci est vrai, quand bien même le final surprenant ne convaincrait pas.
UNE FIGURE CREDIBLE D’ANTECHRIST ?
Une définition de l’Antéchrist est donc donnée, images à l’appui, pour ce qu’il pourrait être à notre époque. Il serait le contraire du Christ. Il est donné pour une femme, précisément même une fille de péripatéticienne élevée par un brave militaire catholique ancien client de la Mère, en inversion du Christ, vrai homme, né d’une Vierge. Il réaliserait de faux miracles pour séduire les foules, opérant des guérisons et troublant les consciences par ses signes. Là encore, en inversant les véritables miracles du Seigneur qui guérit les corps et surtout les âmes. Le film s’appuie sur des citations justes de l’Apocalypse. On permettra cette réserve que l’on peut inclure beaucoup de phrases courtes à l’appui d’un discours particulier, ni aberrant ni hérétique, mais qui reste discutable. Penser l’Antéchrist comme une femme est une vraie idée, qui aurait été aberrante de l’Antiquité à la première moitié du XXème siècle. Il est évident qu’aujourd’hui le genre humain, pour n’importe quoi et surtout le pire, suivrait autant une femme qu’un homme. En outre une belle jeune femme de 25 ans possède un potentiel de séduction infiniment supérieur à n’importe quel homme, élément simple et bien vu.
Et ce qui intéresse particulièrement est le discours de l’Antéchrist, à la fin du film. Il ne relève pas d’un satanisme explicite, à l’évidence répulsif et effrayant, ni même d’une attaque frontale du christianisme, si banale, ou de la promotion de quelque nouveau culte basé sur une fausse révélation, en une énième secte sur le modèle des Bahaïs, pour ne rien dire de l’Islam…Mais il relève d’un vague humanisme, insistant sur l’aide aux autres, attribuant ses guérisons à un pouvoir inconnu, mystérieux. Et cela suffit ; cet athéisme implicite se révèlerait bien plus efficace que tout discours de nature religieuse à notre époque, du moins dans l’Occident décadent.
“LES DOSSIERS SECRETS DU VATICAN” : UNE CURIOSITE CINEMATOGRAPHIQUE
Les Dossiers secrets du Vatican sont donc à rattacher au groupe des rares films qui traitent de l’Eglise catholique et sonnent justes. Nulle grossière charge anticléricale, nulle aberration dans la vision de son fonctionnement actuel. Les personnages ecclésiastiques restent constamment fermes, dignes et prient. Les figures secondaires, tel le père de l’énergumène, à la foi solide et à la ferme volonté de suivre les règles de l’Eglise, peuvent émouvoir. Les jeunes gens sans-Dieu, sans être méchants initialement, ne prient jamais et vivent en concubinage et sont ainsi totalement démunis face aux offensives du Malin. La liberté humaine est respectée : Dieu a déjà été rejeté de fait, et la jeune femme qui accepte sa soumission à Satan n’obéit pas à quelque fatale prédestination calviniste, mais à sa logique propre, conséquence de sa vie déjà enracinée dans le péché. Et ce, rappelons-le, sans être mauvaise ou pratiquer quelque sorcellerie douce ou spiritisme. Une des forces du film est de montrer que cette indifférence totale, sobre, suffit pour sombrer, sans qu’il soit besoin de rajouter des pratiques ô combien dangereuses et du reste bien trop fréquentes de nos jours. Par contre l’explosion actuelle des phénomènes de possession, réelle, serait davantage à rattacher à ces pratiques de masse de jeux dangereux qu’à une quelconque Fin des Temps discernable.
Dans un genre qui reste discutable, en portant le thème problématique de l’avènement de l’Antéchrist, Les Dossiers secrets du Vatican restent néanmoins un film globalement fort intéressant.