Alors que la France a accueilli, ce mercredi, 53 premiers migrants – pardon ! réfugiés – syriens et irakiens en provenance d’Allemagne, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, et le chancelier allemand, Angela Merkel, ont augmenté la pression vis-à-vis des Etats-membres de l’Union européenne afin qu’ils se mettent d’accord sur les moyens d’accueillir, et donc de se répartir, dès la semaine prochaine, 160.000 réfugiés.
A Berlin, Angela Merkel a déclaré, avec fermeté, avec exigence, qu’elle voulait une répartition « contraignante » des réfugiés qui se pressent donc par centaines de milliers – pour l’instant… – vers l’Europe. Le chancelier est donc prêt à bousculer sérieusement, si nécessaire, les réticences de ses partenaires européens, dont certains, à l’est de l’Union européenne notamment, mais pas uniquement, manifestent réserves et défiances.
Migrants : Angela Merkel augmente la pression
Angela Merkel entend donc donner à l’Europe une leçon d’intégration. Et, d’une certaine façon, elle rachète et justifie sa sévérité – économique notamment –vis-à-vis de ses partenaires européens hier par sa générosité envers ces nouveaux arrivants aujourd’hui. « Des finances solides nous permettent aussi de répondre à de nouveaux défis », déclare-t-elle à l’occasion d’un débat sur le budget 2016. Et qu’elle compte bien tirer parti de la vague migratoire pour combler les manques, notamment démographiques, de l’Allemagne.
L’ennui, peut-être, est que cette solidité économique n’existe guère chez la plupart de ses voisins, à commencer par la France. Mais qu’importe ?, puisque les Français seraient désormais majoritairement favorables à l’accueil des migrants, et que, de l’aveu même de certains sondeurs, cette évolution serait, pour bonne partie, pour essentielle partie, le fait de l’émotion suscitée par la photo du petit Aylan, trouvé mort sur une plage turque.
Or, si l’émotion est un sentiment humain tout à fait honorable, elle ne saurait subjuguer la raison et justifier une politique. Ce serait en effet courir le risque de détruire le délicat équilibre, fait d’attention, mais aussi de prudence et de sévérité, en quoi consiste le bien commun, et soumettre le bonheur de tout un peuple, de toute une nation à l’appréciation immédiate et irréfléchie portée sur des drames humains.
Charité et justice
Mgr Aillet, évêque de Bayonne, Lescar et Oloron, l’a souligné ce jeudi, dans un communiqué sur la justice et la charité nécessairement indissociables : « (…) Il n’est pas interdit pour autant d’aller plus avant dans la réflexion et de se poser la question politique, non plus seulement de la charité, mais de la justice, en évitant de se laisser submerger par une vague d’émotion, suscitée par des images savamment diffusées par les médias au nom d’un moralisme culpabilisateur et manquant passablement de recul. (…) On ne gouverne pas avec des émotions, qui conduisent tout droit au risque du despotisme, qu’il soit celui des idées – la “pensée unique”, qui peut être source de culpabilisation – ou qu’il soit celui des décisions précipitées et irréfléchies. (…) »
On perçoit en effet l’emprise médiatique réelle que jouent, en pareille circonstance, les media – que ce soit volontairement, ou sous la houlette de nos politiques. Avec, comme but ultime sans doute, l’idée de détourner nos compatriotes, et les Européens en général, de toute réflexion sur les politiques concoctées à Bruxelles. Et sur l’exercice de la démocratie en général…
Jean-Claude Juncker l’a clairement laissé entendre mercredi, au cours de son « discours sur l’état de l’Union », en rappelant aux Etats-membres de l’Union leur obligation de défendre leurs « valeurs », et en les invitant à accueillir les demandeurs d’asile chassés par la guerre sans « peur » inopportune.
La peur et Jean-Claude Juncker
En affirmant : « Le temps n’est pas venu d’avoir peur. C’est le moment de faire preuve de dignité humaine », le président de la Commission européenne a savamment mélangé – si ces termes ont encore un sens pour lui – la justice et la charité.
« Il est vrai, a-t-il néanmoins reconnu, que nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde. Mais soyons honnêtes, bien qu’il y ait un afflux sans précédent de réfugiés, ils ne représentent que 0,11 % de la population de l’UE. »
Mais ce n’est pas, loin de là, une simple question de chiffres. C’est aussi une question de situation. Accueillir aujourd’hui cette misère extérieure en France, alors que les Français, par exemple, sont de plus en plus nombreux à en faire personnellement l’expérience, n’est pas la même chose que l’accueil qui peut être fait en Allemagne. Angela Merkel le reconnaît d’ailleurs elle-même puisqu’elle place l’argument économique comme condition autorisant cet accueil.
Il faut également reconnaître que cette faiblesse ne facilite pas l’intégration. Or l’Histoire, dont on nous rabâche qu’elle est faite d’accueils successifs, ne s’est faite accueil que par intégration, assimilation. Les seuls qui soient entrés chez nous sans s’intégrer, à quelque époque que ce soit, sont des conquérants. Et encore, ceux qui sont effectivement restés, ont tout de même fini par adopter les us et coutumes de la terre sur laquelle ils s’établissaient. Sans adoption, l’asile ne peut demeurer que ce qu’il est essentiellement : temporaire.
Critiques politiques
C’est d’ailleurs ce que soutient Nicolas Sarkozy, ce jeudi, dans les colonnes du Figaro. Les demandeurs d’asile, explique l’ancien chef de l’Etat, « ont vocation à rentrer chez eux une fois la paix rétablie ».
Il souligne, au passage, l’inconséquence politique, en cette affaire, tant de Paris que de Bruxelles, en affirmant d’une part : « La France a vocation à fixer un cap en Europe et non pas à se retrouver à la traîne. Les Français constatent chaque jour que François Hollande a perdu toute maîtrise des événements » ; et d’autre part, que les quotas « ne peuvent être que la conséquence d’une nouvelle politique d’immigration européenne, et en aucun cas le préalable ! »
Avec la verve qui lui est habituelle, le Britannique Nigel Farage a lancé, de son côté, à Jean-Claude Juncker, qu’il fallait être fou pour accepter ces nuées de migrants, pour la plupart économiques, qui n’ont qu’à « jeter leurs passeports en Méditerranée, et dire qu’ils viennent de Syrie ».
Sans compter, soulignait-il, que l’Etat islamique peut, par ce biais, envoyer sur notre sol, tous les hommes qu’il veut.
Mais qu’importe les avertissements pourtant modérés qui leur sont lancés. Nos hommes politiques n’y croiront que le jour où les institutions européennes ou nationales seront bousculées par ceux-là même qu’ils accueillent aujourd’hui…