Poussée par la force de la couronne face à l’euro qui rendait ses produits proposés à l’exportation trop onéreux, la banque centrale Suédoise a pris le risque de jouer avec les taux d’intérêt négatifs et les banques commerciales ont suivis, appliquant le même « remède » aux comptes de dépôts des particuliers. En clair : il leur en coûte désormais de laisser leur argent sur leur compte. Mais la combine semble fonctionner et l’idée à la cote dans ce pays qui affiche un taux de chômage « élevé », comme dit le Telegraph, de plus de 7 %. Le risque évident d’une telle pratique est de voir les déposants sortir leur argent de leurs comptes pour le garder sous le matelas, en liquide. Rien de tel pour ralentir une économie. Rien de tel non plus pour promouvoir la fin de l’argent liquide.
Il paraît que les économistes ont été surpris par la réaction des Suédois : au lieu de thésauriser des billets, ils ont soit laissé leur argent sur leurs comptes, malgré les coûts associés, soit ils l’ont dépensé. Voilà qui contredit toute pensée « conventionnelle » et « justifie » l’expérience radicale menée dans le pays scandinave.
Il s’agissait, nous explique-t-on, de contrer la politique d’argent facile menée par la Banque centrale européenne, qui a diminué la valeur de l’euro et mis la Suède avec sa couronne en bonne santé en risque grave de profonde déflation. Standard & Poors est fou de joie : la politique de taux négatifs a valu à la Suède le maintien de sa cote AAA.
La Suède prouve que les taux négatifs ne révolutionnent pas l’économie
Personne ne semble avoir pensé que c’est la défiance qui pousse les Suédois à ne pas garder leur argent en numéraire, mais à acheter des biens solides dont on peut penser qu’ils garderont leur valeur. En tout cas on ne le dit pas. C’est pourtant une réaction classique : est-elle recherchée ?
Quoi qu’il en soit l’expérience suédoise est montrée en exemple alors que ses taux négatifs pourraient bien descendre à – 0,5 % à la Riksbank et que la Suisse, le Danemark et la zone-euro mettent cette politique en œuvre de manière plus ou moins nette. La Banque centrale suisse, par exemple, affiche déjà – 0,75 %.
C’est assez pour permettre de penser que d’autres Banques centrales, mais aussi les banques commerciales et autres organismes financiers pourraient s’orienter dans la même direction, selon une analyse du Daily Telegraph. Peter Spence verrait bien le Royaume-Uni jouer la même carte – et aussi les Etats-Unis, alors même que les taux de base de la Fed sont attendus à la hausse – une hausse repoussée de réunion en réunion, il est vrai. On découvre, en somme, que le taux zéro n’est pas un seuil impossible à dépasser.
Ce qu’il en résulterait ? Une spoliation de l’épargne des personnes physiques et morales puisque leur capital diminuerait d’année en année.
Préparer la fin de l’argent liquide – tout en imprimant des grosses coupures
Pour se prémunir des effets indésirables d’une politique qui s’annonce clairement – l’économiste en chef de la Banque d’Angleterre l’a déjà préconisé ces derniers temps – il faut éviter cependant la circulation de trop de billets. Andy Haldane, membre du comité de politique monétaire du Royaume-Uni (MPC), a prévenu que le système ne saurait fonctionner sans abolition de l’argent liquide. Les pays nordiques l’avaient déjà quasiment éliminé en pratique avant d’instaurer les taux négatifs.
On voit où cela peut mener : un contrôle absolu de l’économie et la surveillance de toutes les dépenses.
Ce n’est pas ce que désire la population : la Banque d’Angleterre fait aujourd’hui état d’une demande d’argent liquide – billets et pièces – qui dépasse les dépenses totales au sein l’économie britannique : qu’on le garde sous le matelas, qu’il serve aux petites transactions ou qu’il soit détenu à l’étranger dans les bureaux de change, il a la faveur des acteurs quotidiens de l’économie.
Son avantage ? Il est difficile à tracer et il en faut bien pour les circuits interdits de vente de stupéfiants et autres produits prohibés. Il est caractéristique que les Banques centrales suisse et européenne continuent d’imprimer des grosses coupures à tour de bras : billets de 500 euros et de 1.000 francs suisses que les particuliers ont rarement l’occasion de toucher. Est-ce au service de l’économie parallèle ? Pour Charles Goodhart, ancien membre du MPC, c’est une politique « éhontée ». Qu’on pense à la France, où les paiements en liquide sont interdits au-delà de 1.000 euros en liquide… Cela ne touche que les honnêtes gens.
La dénonciation de Goodhart sonne vrai – mais elle plaide à son tour pour la disparition de l’argent liquide. Un autre membre du MPC l’a fait à son tour ; Suhil Wadhwani vient de déclarer à la même conférence « Money, Macro and Finance » où intervenait Goodhart : « Nous devrions rendre la détention d’argent liquide beaucoup plus onéreuse. »
La surveillance des gens ordinaires a la cote, mais on ne le dit pas
Sir Charles Bean, ancien gouverneur délégué de la Banque d’Angleterre, a plaidé pour la fin des grosses coupures. Pour ce qui est d’interdire absolument l’argent, il estime sage d’attendre. Une telle décision allumerait le débat sur la surveillance étatique. « Le cash est utile pour les petites transactions, et en attendant qu’il disparaisse naturellement, je rechignerais à proposer de le mettre hors-la-loi », a-t-il déclaré.
Simple calcul psychologique ? Après tout, on se moque de savoir si nous achetons trois pommes au marché ou une baguette bien cuite à la boulangerie du coin : la concurrence des grandes surfaces en fait déjà assez contre le petit commerce et il suffit, finalement, d’attendre. Le débat sur l’argent liquide est derrière nous puisque toutes les transactions importantes sont censées se faire « au propre », au vu et au su de Big Brother. L’astuce consiste à faire croire qu’il n’a pas encore eu lieu.