Dans un très long reportage–entretien réalisé par par Andrew Ross Sorkin du New York Times, le journal américain donne très largement la parole à Barack Obama afin que le président sortant y défende son bilan économique. Loin de contredire Obama, ou à tout le moins, de remettre en question ses prétentions selon lesquelles aucun État ne s’est jamais sorti aussi bien d’une crise que les États-Unis après 2008, le reporter appuie et développe tous ses dires. C’est intéressant en soi, mais de ce fleuve de plus de 15 pages on retiendra surtout ce qui concerne le sauvetage des banques et le nouveau plaidoyer d’Obama pour le partenariat transpacifique. « Il est vrai que nous n’avons pas démantelé le système financier, et en ce sens, la critique de Bernie Sanders est conforme à la vérité », lui a déclaré Obama.
Le sénateur – qui a de moins en moins d’espoir de remporter la primaire démocrate en vue de l’élection présidentielle de novembre – appelle régulièrement à « casser » les plus grosses banques américaines.
Obama et Bernie Sanders sont d’accord sur le jugement de la politique financière menée par le président
Mais qui, de Obama et Sanders, a donc raison ? En vérité, les contraintes de plus en plus lourdes imposées aux banques, notamment en termes de détention de capital par rapport aux prêts émis, le tout accompagné de sanctions imposées par des autorités boursières de plus en plus puissantes, relativisent un peu les prises de position de Bernie Sanders, tandis qu’Obama ne peut pas dire qu’il n’a pas vraiment touché au système financier.
Mais admettons. D’ailleurs Obama lui-même, ou plutôt ses proches porte-paroles, ne regrettent qu’une chose, c’est de n’avoir pu augmenter l’impact de ses diverses mesures de stimulus, ajoutées au renflouement des banques auquel il s’est résigné d’accord avec les Républicains sortants : face à la réticence des Républicains, les Démocrates n’ont pu engager que la moitié des sommes qu’ils auraient voulu injecter dans l’économie au début de la crise. Ils regrettent que cet effet de masse n’ait pas pu jouer, soulignant toutefois que les mesures successives auront finalement permis d’engager des sommes considérables, presque à la hauteur de ce qui était initialement désiré.
« Il n’y a pas de doute que le système financier est substantiellement dans une plus grande stabilité », a donc déclaré Obama.
Stabilité financière ? Obama parle un peu trop vite…
Ce n’est pas l’avis de nombreux spécialistes qui soulignent, surtout depuis ces derniers mois, l’extrême fragilité du système financier mondial, mis à mal par la chute des cours des matières premières, mais surtout par l’argent facile qu’ont procuré les diverses campagnes de stimulus. La bulle aujourd’hui pourrait bien être près d’éclater dans un contexte autrement plus dangereux qu’il y a huit ans, en raison d’un endettement qui n’a cessé de croître. Les États-Unis ne pourront sortir du cercle vicieux de l’argent facile qu’en augmentant substantiellement leurs taux d’intérêt afin de les rendre plus conformes à la réalité de l’économie : mesure sûrement nécessaire, mais terriblement dangereuse à la fois pour eux et pour de nombreux pays émergents qui ne sauront faire face à une montée des coûts de leurs emprunts qui ont atteint, souvent, des niveaux boulimiques.
Parler de « grande stabilité » semble bien relever, dès lors, de l’intox. La nervosité des marchés est au contraire sans précédent, comme on l’a vu avec plusieurs épisodes de crise en Chine par exemple.
Obama assure qu’il a toujours tenté de garder à l’esprit, pendant son mandat à la Maison-Blanche, « que l’économie n’est pas une abstraction ». « Ce n’est pas simplement une chose que l’on peut redessiner et casser et remettre en place sans qu’il n’y ait de conséquence », affirme-t-il. Un peu de réalisme dans un monde de brutes ? Le fait est qu’il a joué avec les dépenses, les injections de fonds, et aujourd’hui avec la conclusion de plusieurs traités de libre-échange mondiaux, le tout aux côtés des banques centrales irresponsables devant le peuple américain, de manière à peser sur la réalité.
Le système bancaire et financier sous la coupe de la banque centrale des Etats-Unis
Pour ou contre les banques ? Obama est détesté par nombre de responsables pour avoir traité les banquiers de « gros chats » en 2009, alors même que le secteur de la finance avait contribué à hauteur de 16 millions de dollars à sa campagne présidentielle – deux fois plus que pour son adversaire McCain – mais le président des États-Unis assure aujourd’hui que ses critiques étaient restées « extraordinairement modérés ». Ce qui est clair, c’est que la banque centrale américaine est davantage aux commandes que la finance, et que Barack Obama a pleinement joué le jeu.
Aujourd’hui, Obama, sous le regard admiratif des journalistes du New York Times, peut se vanter de la création d’emplois, de l’augmentation des dépenses de santé à la faveur de l’ObamaCare, de la baisse du chômage. Ce ne sont pas ces journalistes-là qui souligneront la destruction parallèle d’emplois, ni le fait que les chiffres du chômage cachent habilement la radiation des statistiques d’un grand nombre d’Américains aujourd’hui sans emploi à plein temps.
En revanche l’article souligne que de nombreux citoyens sont aujourd’hui totalement à l’écart de la force de travail, et la moyenne des foyers américains dispose de 4.000 dollars annuels de moins qu’au moment où Bill Clinton a quitté la présidence. Les inégalités économiques se sont aggravées, puisque le premier pourcent des Américains en termes de fortune a empoché plus de la moitié des gains associés à la croissance récente du PIB.
Economie mondialisée et crise économique : Obama persiste
Au cours de son très long entretien avec Andrew Ross Sorkin, Barack Obama souligne que les choses ont changé dans l’économie mondialisée contemporaine. On n’aborde plus de la même façon la différence de revenus entre un PDG et un ouvrier à la chaîne, affirme-t-il, aujourd’hui que les sociétés se déplacent d’un pays à l’autre et que leur direction peut fort bien être étrangère. « Toutes ces choses pouvaient être tempérées par le fait que l’on vive dans une même ville, qu’on y aille à l’église, que les enfants du PDG y fréquentent la même école que le gars qui travaille sur la ligne d’assemblage (…) Tous ces facteurs de modération ont été grandement réduits voire, dans certains cas, totalement éliminés. Et cela contribue à la tendance vers l’inégalité ; cela contribue, je le pense, à une divergence entre la manière dont les personnes responsables de ces sociétés et les élites économiques conçoivent leur responsabilité et les politiques qu’ils vont promouvoir auprès des leaders politiques. Et tout cela a eu, je pense, un effet dommageable sur l’économie dans son ensemble. »
Mais ce qui aurait pu aboutir à un plaidoyer contre la délocalisation et la mondialisation de l’économie s’est achevée par la justification du partenariat transpacifique, craint par les Américains dans la mesure où il va faciliter l’entrée sur le sol des États-Unis de nouveaux biens bon marché, et provoquer une nouvelle délocalisation des services vers les pays plus pauvres. Pour Obama, il s’agit simplement de prendre en compte une réalité contre laquelle on ne peut plus rien et d’essayer « de formater les règles de manière à assurer de meilleures normes du travail à l’étranger, ou à essayer d’exporter (nos) normes environnementales afin d’avoir une concurrence plus équitable. »
L’expérience du libre échangisme avec les pays les plus pauvres a pourtant démontré à quel point il peut être délétère à la fois pour les classes modestes et moyennes et pour l’environnement lui-même. Mais l’idéologie, elle, fonctionne toujours.