Des tribunaux islamiques clandestins fonctionnent « partout dans le pays », vient d’indiquer le président d’une entité chargée d’uniformiser l’administration de la charia… au Royaume-Uni. Le Dr Ahmad Al-Dubayan s’en est ouvert devant les élus de la Chambre des communes, regrettant que ces tribunaux non régulés enregistrent des mariages et accordent des divorces sans le moindre contrôle. Ce qu’il veut ? Une meilleure organisation de ces tribunaux pour éviter les problèmes liés à la clandestinité. On croirait assister à un débat sur la légalisation de l’avortement : celle-ci est toujours réclamée au motif que les avortements clandestins sont néfastes pour les femmes et qu’il vaut mieux encadrer la pratique.
Toutes proportions gardées, la problématique mise en avant par des musulmans très convenables, costumés et cravatés, qui ont déposé devant la commission ad hoc du Parlement britannique repose sur les mêmes arguments, droits des femmes y compris. On n’abandonne pas une technique qui marche.
La reconnaissance des tribunaux islamiques réclamée par les musulmans au Royaume-Uni
Le président du UK Board of Sharia Councils, qui opère depuis la très centrale Regent’s Park Mosque à Londres, affirme qu’il est impossible de savoir combien de « conseils de charia », ainsi qu’on les appelle Royaume-Uni pour éviter l’appellation de « tribunal », opèrent actuellement dans le pays. Certains sont très visibles, d’autres se tiennent dans des arrière-boutiques ou des caves, assure le Dr Ahmad Al-Dubayan. Selon un rapport publié il y a sept ans par le think tank Civitas, il y avait à l’époque « au moins 85 » tribunaux islamiques actifs au Royaume-Uni. Selon Al-Dubayan, leur nombre est en réalité impossible à connaître du fait de la clandestinité de la plupart d’entre eux.
La commission parlementaire a reçu de nombreux témoins – des représentantes de groupes de femmes, des groupes d’aides aux victimes de violences domestiques, des universitaires islamiques – qui ont été interrogés sur le fait de savoir si les femmes pouvaient bénéficier de l’égalité de traitement par rapport aux hommes devant les « cours » religieuses. Plusieurs d’entre eux ont récusé le terme de « cour » ou de « tribunal » en assurant qu’il ne s’agit que de « conseils », ce qui ne tient pas la route étant donné que les affaires concernant le mariage sont d’ordre public et qu’on a affaire devant ces entités à des mariages inconnus sur le plan civil, puis éventuellement rompus selon des principes étrangers au droit britannique.
Réguler l’interprétation de la charia sous le regard des autorités civiles
Impossible de mettre cela sur le même plan que les procédures de nullité canonique : l’Eglise catholique veille toujours dans la mesure du possible à la reconnaissance publique des mariages religieux, puisque le mariage est aussi un acte social, et le règlement matériel des séparations est laissé à la législation civile. Le droit islamique, lui, est appliqué dans une sorte d’administration parallèle de la justice, agissant comme si les musulmans n’avaient pas à se soumettre à la loi civile, comme s’ils se trouvaient dans une nation autre : l’Oumma…
Les parlementaires britanniques ont entendu des témoins mettre en garde contre l’interdiction générale des tribunaux islamiques, dans la mesure où cela ferait fleurir les procédures d’arrière-boutique dont les responsables gonflent volontiers les tarifs pour prononcer un divorce religieux. Comme pour l’avortement.
L’élue travailliste de Bradford West, elle-même victime d’un mariage forcé à 15 ans, est venue témoigner pour sa part du fait que de nombreuses femmes musulmanes trouvent dans les tribunaux islamiques « une source d’aide précieuse » pour sortir d’une relation violente. « Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain », a-t-elle insisté, affirmant que de nombreuses communautés musulmanes trouveraient à une telle interdiction « un air d’islamophobie ».
Droits des femmes, discrimination : l’islam sait utiliser les concepts lorsqu’ils le servent. Y compris en mobilisant cette élue musulmane qui par ailleurs s’est plainte du retard pris à assurer l’égalité des femmes musulmanes au Royaume-Uni après tant d’années de présence.
Le Royaume-Uni, terre d’application de la charia, terre d’islam…
C’est un avocat tout ce qu’il y a de plus régulier, par ailleurs vice-président du Bureau britannique des Conseils de charia, Mizan Abdulrouf, qui est venu expliquer que l’enquête lancée par le Parlement aura été pour son entité un « coup de pied dans le derrière », qui incitera les responsables à améliorer les normes des tribunaux islamiques ; il a reconnu que beaucoup trop de personnes y comparaissent sans être convenablement conseillées.
Il serait donc urgent de réguler les tribunaux appliquant la charia, afin d’éloigner les musulmans des tribunaux clandestins où officient des autorités religieuses auto-proclamées, a renchéri le Dr Al-Dubayan.
Il a ajouté qu’il ne se rappelait à titre personnel que de deux ou trois affaires dont la résolution devant les conseils de charia était apparue comme « inéquitable », sur des centaines dont il a eu connaissance.
La reconnaissance officielle des tribunaux islamiques, qui reviendrait à donner à leurs actes et jugements un statut efficace et opposable dans un pays comme le Royaume-Uni, scellerait le rôle de la charia comme loi à part entière dans un pays non musulman : et même, du point du vue les musulmans, dans un pays de « croisés ». Cela constituerait une victoire de grande envergure pour l’islam, en provoquant dans le même temps un bouleversement profond des lois sur le mariage au Royaume-Uni, avec des conséquences pour tous.