Voici une fuite qui relance, à Londres, l’hypothèse d’un « hard Brexit ». Des notes manuscrites surprises par la presse à la sortie d’une réunion entre des députés conservateurs et de hauts fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères indiquent que les négociateurs britanniques « vont tenter d’avoir le beurre et l’argent du beurre » : sortir du marché unique tout en conservant ses avantages. Pour autant, comme l’équipe de négociateurs côté UE est « très française » et que « la France est sans aucun doute l’interlocuteur le plus difficile », l’accord final devrait moins ressembler à celui qui lie la Norvège à l’UE qu’à celui passé cette année avec le Canada. Entre le Canada et l’Union européenne, l’AECG (Accord économique et commercial global) éliminera les droits de douane sur 98 % des produits (contre 25 % actuellement), réduira les obstacles normatifs, facilitera l’investissement et les autorisations professionnelles. La Norvège, membre de l’EEE (Espace économique européen), contribue quant à elle au budget de l’UE.
La note, qui fait beaucoup jaser outre-Manche, est consignée sur un cahier photographié alors qu’il était négligemment porté par Julia Dockerhill, attachée de Mark Field, l’un des vice-présidents du parti conservateur, à la sortie d’une réunion – fuite volontaire ? Le texte indique qu’il « est peu probable » que le Royaume-Uni puisse demeurer dans le marché unique : « Nous serons décisionnaires dans notre commerce avec l’Europe. Pas favorables au marché unique ». Il suggère qu’il devrait y avoir « une vingtaine de négociations hasardeuses à mener en parallèle ».
L’hypothèse d’un hard Brexit face aux réticences de l’UE
Le manuscrit indique que les « conséquences » de l’article 50, qui déclenchera formellement les négociations de sortie, seront « difficiles ». Le Français Michel Barnier, qui dirige l’équipe de négociation de l’UE, « veut voir d’abord ce que propose Londres comme transaction », mais le manuscrit note que la Grande-Bretagne « ne donnera pas plus de détails ».
Le texte indique qu’un accord sur l’industrie sera « relativement aisé » mais que sur les services, y compris le secteur financier, il sera « plus difficile » en raison des « espoirs français dans le domaine des affaires ». Cela laisse penser que le secteur des services, presque la moitié des exportations britanniques, pourrait souffrir si les Français obtiennent satisfaction. Le texte ajoute : « Nos critères sont clairs – la plus grande ouverture possible. » Il indique encore que la Grande-Bretagne « deviendrait un problème pour l’UE si nous sortions brutalement, sans transition », suggérant que Bruxelles s’inquiète d’une éventuelle décision-surprise venant de Londres.
La fuite d’un plan gouvernemental pour le Brexit ?
Le texte note aussi que plusieurs ministres influents du gouvernement britannique répugnent à obtempérer aux exigences du monde des affaires, qui demande un accord transitionnel pour adoucir la sortie. Cette fuite sur la réunion, qui s’est tenue au ministère de la Sortie de l’Union européenne au 9, Downing Street avant que ses participants n’entrent au n° 10 voisin, brise l’omertà gouvernementale : May ne voulait délivrer aucun « commentaire au fil de l’eau » sur le Brexit.
Le document ajoute que plusieurs dirigeants de ce ministère-clé dans les négociations sont opposés à l’idée d’un « soft Brexit » avant l’instauration des nouveaux accords de commerce. Il est en effet écrit noir sur blanc : « (Accord) transitionnel – réticences. Whitehall (le ministère des Affaires étrangères NDLR) va s’y tenir. Nous devons mettre un terme aux doutes. »
La fuite révèlerait la volonté de Theresa d’avoir le beurre et l’argent du beurre
Ce commentaire, qui traduit des tensions entre dirigeants, suggère que l’intervenant cité était un ministre plutôt qu’un haut fonctionnaire. Ses propos décevront très probablement les dirigeants des grandes entreprises mais aussi Mark Carney, gouverneur de la Bank of England, la banque centrale britannique, qui a demandé une période de transition allant jusqu’à 2021.
Pour autant, une source au sein de Whitehall a tempéré les propos transcrits, affirmant qu’ils ne reflètent pas ce que David Davis, le ministre de la Sortie de l’Union, a récemment déclaré, et suggérant que ces paroles émanaient plutôt de son secrétaire d’Etat, l’eurosceptique David Jones.
Mais les médias retiennent surtout cette phrase du document : « Quel modèle ? Le beurre et l’argent du beurre », soit le résumé de la position du Premier ministre Theresa May qui souhaite le meilleur accord possible pour un Royaume-Uni ayant quitté complètement l’UE.