Alors que le Parlement britannique va décider si Theresa May peut invoquer l’article 50 pour négocier le Brexit, les contradictions de celui-ci apparaissent : prise entre la tentation du libre échange mondialiste et l’alliance que lui propose le protectionniste Trump, l’Angleterre demeure liée à Bruxelles et soumise à la Cour européenne de justice pendant toute la transition.
Il y a des choses contre lesquelles on ne peut rien. L’hiver, par exemple, il fait froid, même si cela reste un scoop pour nos médias. Ou encore, l’Europe de Bruxelles, qui gouverne très mal, se défend très bien : ses lois continueront à s’imposer à la Grande Bretagne pendant la période de transition du Brexit, c’est ce que vient de rappeler le premier ministre maltais Joseph Muscat au premier ministre britannique Theresa May. Combien de temps durera cette transition ? Personne n’a de réponse claire et définitive, mais l’Union européenne, qui s’appuie sur le traité de Lisbonne signé par le Royaume Uni, est formelle : pendant cinq ans, les Anglais, malgré le Brexit en cours, resteront soumis à la Cour européenne de Luxembourg pour le règlement de tout litige éventuel. Ce qui ne fait pas les affaires de Theresa May, et moins encore celles des partisans du leave now, d’un Brexit pur, dur et rapide.
Theresa May doit invoquer l’article 50 pour poursuivre le Brexit
Joseph Muscat, qui ne fait pas tous les jours les gros titres de la presse internationale, n’est cependant pas n’importe qui dans l’affaire puisque Malte va prendre cette année la présidence tournante de l’UE. Son opinion va envenimer le débat sur la question, déjà tendu. Après le coup de tonnerre du 23 juin dernier, le Brexit entre en effet dans sa phase opérationnelle. D’ici à la fin du mois le parlement britannique va enfin autoriser – ou non – Theresa May à invoquer l’article 50 du traité de Lisbonne pour sortir de l’Union européenne. Un refus ouvrirait sans doute une crise politique majeure, car les députés s’arrogeraient le droit d’aller contre la volonté clairement exprimée du peuple. Ensuite, d’ici la fin du mois de mars, Theresa May devra signifier à l’UE la volonté de son gouvernement et les négociations pourront officiellement commencer. L’ancien ministre français et commissaire européen Michel Barnier, qui les mènera pour l’UE, s’est fixé la date butoir du trente septembre 2018 pour les terminer, tandis que Theresa May se donne un délai jusqu’au 31 mars 2019. Puis l’accord sera ratifié par tous les Etats avant que le Brexit officiel n’ait lieu en mai 2019.
Trump aime le Brexit mais pas le libre-échange sans limite
Donald Trump, pendant ce temps, vient de donner sa première interview au Times, le quotidien britannique le plus réputé pour son sérieux. Que dit-il ? Qu’il entend faire du Brexit une « grande chose », qu’il « aime » le Royaume Uni et qu’il va inviter Theresa May dès qu’il sera intronisé. Pour lui proposer « vite » un traité de commerce « fair », c’est-à-dire à la fois honorable et équitable. Il donne aussi son analyse du Brexit, qui va selon lui faire des petits « d’autres pays vont suivre ». Pour Trump, la politique migratoire d’Angela Merkel a été « une faute catastrophique » qui a eu pour conséquence heureuse de permettre le Brexit : « Si l’Europe n’avait été forcée de recevoir tant de monde, avec les problèmes que cela cause, il n’y aurait sans doute pas eu le Brexit. Cela aurait peut-être pu marcher sans, mais ça a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase… » Et d’ajouter : « Les gens, les peuples, veulent garder leur identité, et le Royaume Uni veut garder son identité ».
Theresa May : le libre échange, pas la Cour européenne
Le souci de Theresa May et des Britanniques devant la perspective de rester soumis cinq ans à la Cour européenne de Luxembourg confirme la dernière partie de l’analyse de Trump : l’Angleterre a voulu récupérer son identité et sa souveraineté par le Brexit. Mais la question de l’argent demeure, et va peser lourd. La City en particulier, qui regarde d’un œil attentif les négociations avec l’UE, ne partage pas les convictions protectionnistes affichées par Donald Trump. Et elle n’est pas seule. Un article de l’éditorialiste Matt Ridley dans le Times en dit long à ce sujet. Pour lui, l’élection de Trump et le Brexit se ressemblent parce qu’elles ont toutes deux « donné un coup de poing sur le nez des élites intellectuelles et financières » mais pour le reste, elles n’ont absolument pas la même signification. Selon lui, contrairement à Trump qui se situe dans une lignée d’Américains protectionnistes, le Brexit est au contraire dirigé contre une UE perçue comme protectionniste. Ridley appelle en conséquence la Grande Bretagne à « reprendre le flambeau du libre-échange ». Et d’invoquer les mânes d’Adam Smith contre tout droit de douane, tout obstacle à la mondialisation.
Prise par ses contradictions, que va faire la Grande-Bretagne ?
Il y a cependant un point sur lequel Trump et l’éditorialiste du Times tombent d’accord, c’est que la dévaluation de la livre consécutive au Brexit a rendu d’un coup les produits britanniques plus attrayants dans le monde et ranimé l’économie anglaise. De ce point de vue là, c’est Trump qui a raison : même avec des barrières douanières qui limitent le sacro-saint libre échange, les variations monétaires donnent de la souplesse aux économies et ajustent la concurrence.
On verra bien quel traité de commerce équitable et honorable signeront Trump et Theresa May. La Grande Bretagne du Brexit revient vers le grand large. Peut-être avec une alliance préférentielle avec les Etats-Unis et les pays blancs du Commonwealth, ce qui est son tropisme traditionnel, peut-être dans le cadre d’un nouvel internationalisme caractérisé par des traités bilatéraux.
Le mondialisme s’accommode de Trump et du Brexit
Ce que l’avènement de Trump et le Brexit semblent annoncer en tout cas, c’est un coup d’arrêt aux diplodocus type UE ou traité transatlantique, qui irritent les peuples. Au bénéfice d’une diffusion de la gouvernance globale par des Etats maintenus, mais vidés de leur réalité historique, orientés par l’ONU et le Conseil de l’Europe, l’important étant l’idéologie dominante diffusée, la démocratie, la morale sociétale, les règles de commerce, etc. On retourne à la case 1950.
C’est pourquoi il faut suivre le Brexit dans toutes ses contradictions : ce pourrait être le prototype de la nouvelle stratégie mondialiste, qui intègrerait la nécessité de prendre en compte la susceptibilité nationale du peuple anglais, tout en continuant à le faire disparaître peu à peu, car, c’est à remarquer, rien n’est prévu contre l’immigration du tiers monde dans le Brexit. Ridley note justement qu’une part importante des musulmans d’Angleterre ont voté leave pour resserrer les liens avec leur pays d’origine.
En somme, sous couleur de rébellion contre Bruxelles, le Brexit leur aura servi à se défaire de l’Europe, pour hâter un autre mondialisme. Voilà une forme particulièrement astucieuse et perverse de grand remplacement, un petit bijou de dialectique qui exploite une insurrection populiste au profit du mondialisme. La politique britannique nous avait habitués à ses contradictions, mais celle-là est spectaculaire.