Un groupement professionnel de banquiers américains a engagé jeudi dernier une instance en justice contre la Réserve fédérale des Etats-Unis. L’American Bankers Association (ABA) représentera 72 banques qui s’estiment flouées par le détournement de dividendes qui leur sont dus par la Fed, au profit d’une politique de financement des infrastructures : les routes et les ponts payés sur les fonds publics. Les poursuites accusent la banque centrale américaine de « banditisme de grand chemin ».
L’espoir de pouvoir s’appuyer sur l’administration Trump a pu jouer dans le déclenchement des poursuites : en entamant très rapidement après son accession à la Maison Blanche les discussions pour déréguler l’activité de Wall Street et des banques, le nouveau président a envoyé un signal clair aux grands acteurs de l’économie qui espèrent récupérer des pans de liberté face au pouvoir démesuré, incontrôlable et politiquement orienté à gauche de la Fed.
Poursuites des grandes banques contre la Réserve fédérale des Etats-Unis
Mais du côté de l’ABA, on assure que le changement d’administration n’a « rien à voir » avec la décision de passer à l’acte, puisque les poursuites sont en cours de préparation depuis l’été dernier, a indiqué Rob Nichols, son directeur exécutif. L’idée a même été soulevée en avril dernier par ces banques qui « pèsent » quelque 17 milliers de milliards, mais il leur a fallu attendre le paiement effectif de dividendes en baisse pour pouvoir aller devant la justice.
La Fed est accusée d’avoir unilatéralement réduit la valeur des dividendes dus aux grandes banques qui sont obligées d’y déposer des sommes à valeur fixe, pour lesquelles, aux termes d’accords remontant à 1913, lors de la création de la Fed, elles ont droit à un dividende annuel de 6 %. Ces paiements ont été fortement diminués à la faveur d’une loi signée par Barack Obama et qui a produit ses effets au cours des 12 derniers mois de sa présidence. Ses partisans expliquaient que les paiements garantis de la Fed apportaient un bénéfice excessif et sans objet aux banques privées. La nouvelle règle prévoit de retenir le pourcentage le plus faible entre les 6 % de 1913 et le rendement des obligations d’Etat à 10 ans : l’accord n’est donc pas annulé unilatéralement, mais tout de même substantiellement modifié par un acte du pouvoir.
La Banque centrale américaine accusée de vol
Sur les 10 ans à venir, les paiements de dividendes à ces 72 banques devraient chuter d’environ 17 milliards de dollars, souligne l’ABA. Lors du premier paiement selon les nouvelles règles, la Fed a viré 590 millions de dollars aux banques ayant plus de 10 milliards de dollars d’actifs, contre 1,66 milliards il y a un an, précise l’association.
Celle-ci dénonce le choix de faire payer les banques en vue de financer un plan de dépenses des fonds publics : cela créerait, dit-elle, un « précédent troublant », en violation de la Constitution américaine.
Pour l’heure, l’administration américaine n’a pas apporté de réponse à cette initiative ; tant le Trésor américain que la Réserve fédérale ont refusé de commenter, rapporte le Financial Times.
Quoi que l’on pense de l’argent « facile » qu’apporte le traitement de faveur dont bénéficient les banques dans un contexte où 6 % de rendement, c’est le Pérou, le fait est que le procédé est contestable, symbole de l’hypertrophie de la Fed et des pouvoirs de l’Etat. Mais vu que Donald Trump s’est engagé à lancer un grand programme de construction d’infrastructures, il reste à savoir comment tout cela sera financé.
Reste le fait, remarquable, de cette mise de la Fed devant ses responsabilités juridiques. Ce n’est pas la première fois qu’elle est appelée devant les tribunaux, notamment pour se voir obligée de divulguer des informations sur ses agissements. Ce fut d’ailleurs la seule occurrence où le plaignant – en l’occurrence Mark Pittman et Bloomberg – obtint satisfaction. Dans l’affaire présente, on est au croisement du pouvoir fédéral présidentiel et l’exécution d’une décision présidentielle par la Fed, qui appartient à des actionnaires privés. Affaire à suivre.