Le Congrès a voté mardi pour abroger les protections de la vie privée sur Internet, répétant un vote semblable du Sénat la semaine dernière. « Abroger » ? Oui et non. Les « protections » concernées avaient été approuvées par la Commission fédérale des communications (FCC) dans les derniers jours de l’administration Obama, en octobre – elles n’étaient pas encore entrées en vigueur. Mais cela suffit pour que monte la grogne, un peu des deux côtés du spectre politique (même certains critiques de Breitbart News).
Donald Trump doit maintenant avaliser cette décision. Ce qu’il fera apriori : la Maison Blanche a déclaré mardi qu’elle « appuie fermement » l’abrogation.
Mais alors contre la vie privée des Américains, vraiment, ou contre la mainmise de la FTC sur le Net ?
Le Congrès des Etats-Unis revient sur une mesure d’Obama
Le Congrès américain a donc utilisé pour la énième fois le Congressional Review Act qui lui permet de revenir sur tout ce qui a été voté depuis mai 2016, sous l’administration Obama. Et vient d’autoriser, à une courte majorité, les fournisseurs d’accès à Internet à exploiter à titre commercial les données personnelles des internautes. A savoir les historiques de navigation ainsi que les informations de géolocalisation, qui pourront être vendues à des agences de publicité et de marketing, via les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) américains comme AT&T, Comcast et Verizon…
Qu’avait entériné Obama via la FTC, juste avant de céder sa place à la Maison Blanche ? Que les FAI obtiennent la permission de leurs clients avant de partager leur historique de navigation avec d’autres entreprises.
Mais comme la règle n’était pas encore appliquée, les Américains en restent, in fine, à la situation actuelle : les FAI ont toujours, jusque-là, disposé des données de navigation, ils continueront à pouvoir le faire. Excepté, comme cela a toujours été le cas des données classées « sensibles » (informations sur les enfants, données de santé des abonnés etc…).
Les protections existantes en matière de protection de la vie privée des consommateurs ne changent pas.
Vente de la vie privée : affaiblissement de la démocratie américaine ?
Mais ce revirement est loin de plaire. D’autant, que comme tout ce qui a été défait par le Congressional Review Act, il ne peut plus être remis en cause.
« Le vote d’aujourd’hui signifie que les Américains ne seront jamais en sécurité, sur le net, et auront leurs détails les plus personnels scrutés furtivement et vendus au plus offrant », a déclaré le directeur exécutif du Centre pour la démocratie numérique.
On crie qu’il sera difficile, quasi impossible, de s’y soustraire. Car si l’on peut faire l’impasse sur Facebook et Google – et encore – on doit toujours avoir un fournisseur d’accès à Internet. L’attrait pour le VPN, réseau privé virtuel, a pris une ampleur sans précédent, depuis le vote de mardi. Le célèbre programmeur Dan Schultz a lancé, ni une ni deux, « Internet Noise », une extension qui propose de faire « du bruit » en ouvrant toutes les dix secondes une nouvelle page internet dans un même onglet, noyant ses vraies données de navigation parmi d’innombrables fausses.
Des techniques qui ont leurs limites, mais sont un bon indice de réponse populaire.
Une « règle additionnelle et répétitive »
Pourtant, la Républicaine Marsha Blackburn a dénoncé la décision d’Obama comme une « règle additionnelle et répétitive » ; il y a déjà tous les outils nécessaires : la FCC a déjà le pouvoir de poursuivre tout FAI qui vendrait de semblables données, strictement personnelles. Un journaliste de The Verge a d’ailleurs rappelé que la loi sur les télécommunications interdit explicitement le partage de l’information du client « individuellement identifiable sauf dans des circonstances très spécifiques » : la loi Wiretap rend également illégal la divulgation du contenu des communications électroniques sans le consentement des parties, ce qui inclut l’histoire de la navigation.
La preuve, apriori : le site de collecte de fond « GoFundMe », lancé par un militant des données personnelles pour acheter tout l’historique de navigation sur Internet des membres du Congrès « depuis son histoire médicale, pornographique jusqu’à son histoire financière », s’est vu répondre que c’était impossible.
Ce que la décision du Congrès favorisera, c’est « la collecte [globale] de données et le ciblage publicitaire plus agressif par les fournisseurs de services ».
Un double traitement
Et surtout, elle dénoncera le double traitement qui allait résulter de la loi Obama : les fournisseurs d’accès à haut débit auraient dû opérer dans des conditions de confidentialité plus strictes que les géants de la publicité numérique comme Google et Facebook, qui, eux, n’ont pas besoin d’autorisation pour suivre le parcours de ses utilisateurs.
« Les règles de la commission étouffent l’industrie et nuisent aux consommateurs en créant deux ensembles d’exigences complètement différents pour différentes parties d’Internet », écrit le sénateur Jeff Flake.
Pour le nouveau président de la FCC, nommé par Trump, Ajit Pai, la politique doit être cohérente pour les fournisseurs d’Internet et les entreprises d’Internet. On brandit de nouveaux brouilleurs comme « Internet Noise », mais personne n’a rien dit quand Google a banni de son « web store » début janvier, le plug-in « open source », « Adnauseam.io » qui brouille l’historique de navigation, empêchant le ciblage de la publicité par le moteur de recherche…
Internet : une guerre de pouvoir
Affaire complexe d’argent et de pouvoir, et non pas tant des intérêts des utilisateurs citoyens, comme on veut nous le faire croire. Eux dont la vie privée est déjà largement l’objet de toutes les attentions… en particulier gouvernementales.
A l’heure où la vie devient archi connectée, où tout élément de la vie personnelle pourra se lire sur ce fantastique et dangereux réseau du net, le secteur a un très lourd potentiel, à la fois lucratif et générateur de pouvoir, par le savoir et donc le contrôle. Plusieurs forces sont en présence, aux intérêts divergents, des FAI aux géants du web, alias Facebook et Google, sans oublier les institutions gouvernementales.
Par ce revirement, le Congrès maintient la concurrence avec les grands noms du web et se met aussi en travers du vaste mouvement de promotion de « la neutralité du net » qui connut son aboutissement, il y a deux ans, sous l’ère d’Obama : quand Internet devint « un bien public », le gouvernement put, sous couvert de protection des utilisateurs, en prendre le contrôle,puisque tout pouvoir était donné à la FCC, comme le républicain Ajit Pai l’avait dit à l’époque – on imagine sans peine les implications économiques et politiques.
C’est sans doute ce que voulait signifier le sénateur Jeff Flake à l’origine de la résolution avec une vingtaine d’autres sénateurs républicains, lorsqu’il disait vouloir « protéger les consommateurs contre la réglementation excessive de l’Internet ». D’ailleurs aucun Démocrate n’a voté contre la mesure.
Maintenant, Trump le fait aussi dans son propre intérêt…