Profitant de l’ennui secrété en direct par onze monologues, les professionnels de la révolution ont transformé le débat d’hier soir en tribune de propagande altermondialiste sous les yeux d’une France abaissée, sans aucun frein. Du grand art.
Laissons la grosse presse déterminer qui a clashé qui, taclé ou torpillé qui, qui a été le plus convainquant du cirque médiatique. Nous connaissons les noms des gagnants, car le débat n’a servi qu’à cela : à produire des vidéo « virales » et à promouvoir certains pour en dénigrer d’autres. Mais, vu de plus haut, cela n’a aucune importance. Tout le monde a été perdant dans ce grand débat, ce soir le plus long : les journalistes dépassés, le public qui peina à garder les yeux ouverts pendant trois heures et demie, la France atterrée, abaissée. Tout le monde, sauf la révolution altermondialiste
Des techniciens de la révolution transforment le débat en A.G.
La caractéristique des foules, et onze participants à un débat, c’est une petite foule même si chacun s’y sent solitaire, c’est que la raison n’y compte pas. Quant au danger des AG, on le sait au moins depuis 89 et 68, il est que les techniciens de la révolution en prennent facilement la maîtrise – or le grand débat d’hier soir, quand il ne se limitait pas au déballage de programmes, fut une caricature d’AG, avec ses invectives, ses accusations et manipulations.
La première technique d’agitation et de propagande, celle qui conditionne toutes les autres, c’est l’intimidation, mère de toute révolution. Les petits candidats ont hier soir été les agents de cette terreur : Dupont Aignan, Asselineau, s’efforçaient d’effrayer Fillon, aidés de Poutou, Cheminade et Nathalie Arthaud qui mitraillaient aussi Marine Le Pen.
Fillon et Le Pen tétanisés face au grand soir médiatique
A un moment donné, Poutou, entre autres gracieusetés, accusa Fillon de « piquer dans la caisse ». Un homme normal l’aurait remis à sa place en le menaçant haut et fort de le traîner en justice pour injure publique et diffamation. Le châtelain de la Sarthe préféra afficher la tête de la princesse de Lamballe quand on la ficha sur une pique. Même faiblesse chez Marine Le Pen. Son père l’a traitée un jour de petite bourgeoise. Ce n’était pas mal vu. Face à la cohorte braillarde de la révolution altermondialiste, il ne faut pas chipoter, il faut affirmer son autorité, qualité primordiale, d’ailleurs, d’un président de la république. On en a manqué à droite.
Il y a des moments où l’absence d’ogre se fait cruellement sentir, notait Alphonse Allais. Devant Le Pen père, Poutou aurait moins fait le malin, mais il n’avait en face de lui qu’un fascisme ménopausé, une ancienne extrême droite vidée de sa substance par ses exercices de dédiabolisation. A force de s’aseptiser Marine Le Pen n’a plus rien à dire, elle a oublié hier l’invasion, dont la dénonciation faisait tout le mérite du Front national depuis trente-cinq ans. Au lieu de se concentrer avec force sur le bouleversement de notre civilisation que manifeste et accentue le changement démographique, elle demande plus de fonctionnaires, elle débite du Hamon-Mélenchon en vaguement délayé.
L’imposture altermondialiste gagne la France après la Grèce
C’est grave. Il importe peu que Nathalie Arthaud soit une agrégée d’économie mal repeinte en prolétaire hystérique, que Dupont-Aignan et Asselineau sortent de divers cabinets centristes, aussi faux-jetons qu’ils sont pontifiants, que Cheminade s’occupe toujours du lac Tchad et de l’esprit de la libération, il importe peu que Poutou conjugue des manières de voyou à un discours d’apparatchik éméché : ce qui est grave c’est qu’ils ont donné le ton hier soir et enclenché une grande imposture, une grande diversion, pour reprendre le mot de Nathalie Arthaud.
On pourrait la définir comme l’accaparement du débat médiatique par la camarilla altermondialiste, tel qu’il a réussi déjà en Grèce avec Syrisa et en Espagne avec Podemos, tel qu’il est tenté en France avec les Indignés de Stéphane Hessel, Nuit debout ou la France insoumise. Il s’agit de substituer au vrai problème, la liquidation des nations par le mondialisme en vue d’une révolution morale, politique et spirituelle totalitaire, par la sempiternelle incantation marxiste contre le capitalisme, et le culte de la lutte des classes. C’est ce faux nez altermondialiste que le système projette depuis le Brexit de substituer à un mondialisme classique un peu décrié.
Synergie des contraires au profit de la révolution altermondialiste
Il s’agit donc de capter la légitime colère populaire au profit des vieilles lunes de l’ultragauche recyclée dans le mouvement altermondialiste. Je sais bien que Cheminade ne pense pas comme Poutou et Nathalie Arthaud, mais ses jérémiades contre « les marchés » rejoignent les leurs et visent à fourvoyer la réflexion des Français sur une fausse piste, pour le plus grand bonheur de Hamon et Mélenchon. On ne dénonce pas le mondialisme de messieurs Fillon et Macron, on déplore leur libéralisme : c’est pour offrir une alternative plus ouvertement socialiste au mouvement mondialiste, en profitant du discrédit où est tombée la classe politique et de la haine du riche. Mais bien évidemment, la solution altermondialiste serait pire que le mondialisme déjà mis en œuvre, en ce qu’elle serait encore plus contraignante, moins souple, et génératrice de plus de misère encore, ce serait l’Union soviétique au secours de la Californie.
Débat présidentiel : la France abaissée en direct aux yeux de l’étranger
Dans cette comédie médiatique, Mélenchon bichait, donnait des leçons, passait sans effort pour un vieux sage, et Hamon rayonnait, telle une pile de haine péremptoire soudain rechargée. Il aboyait sur Marine Le Pen, donnait des ordres aux journalistes. Une gauche complètement dévaluée, condamnée par les faits et par le peuple, réoccupait le terrain.
Mais le plus grave est ici : à travers un monceau d’ennui et de rhétorique à deux francs, le débat d’hier soir a donné l’image d’une France abaissée, sans intelligence ni autorité. Le verbiage psyttacisant des uns et des autres a culminé sans doute dans Jean Lassalle, fils de berger, frère de berger, berger lui-même (par un hasard amusant passait hier soir sur une autre chaîne La gueule de l’autre, avec Serrault, de Pierre Tchernia, le meilleur film politique français), qui s’était déplacé, explicitement, pour faire le pitre. Le pire n’était pas la nullité du personnage ni sa grandiloquence, ni même la complaisance qu’il montrait pour lui-même, mais celle dont il jouissait dans l’assemblée. Si un Chinois, un Bantou, un Hébreu, regardait cela, quelle idée pourrait-il se faire de la France ? Je scrutai sans joie ces onze personnages en quête d’honneurs, leurs figures satisfaites ou défaites : il n’y en avait pas un pour sauver l’autre.