Elle est la plupart du temps passé par pertes et profits, quand elle n’est pas niée frontalement. Les pères sont les grands oubliés dans le dossier tragique de l’avortement, et leur souffrance est celle dont on ne parle pas parce qu’ils n’ont pas voix au chapitre face au « droit des femmes ». Elle est pourtant bien réelle. En Australie, on la prend enfin en compte après avoir constaté un lien fort entre le taux de suicide des hommes et l’avortement de leur enfant.
Une journaliste australienne, Corrine Barraclough, vient de découvrir cette réalité qui la « sidère ». Le constat de ce lien de cause à effet a été pour elle comme une illumination ; elle le raconte dans le Daily Telegraph de Sydney.
« Nous savons tous que le taux de suicide des hommes augmente de manière spectaculaire. Saviez-vous que les suicides masculins et la maladie mentale liée à l’avortement sont corrélés ? Je ne le savais pas non plus. Et les professionnels connaissent mal la question eux aussi », écrit la journaliste.
L’avortement, cause de suicide chez les hommes
Elle venait d’avoir une conversation avec Julie Cook, directrice nationale de l’association Abortion Grief Australia, qui vient en aide à ceux qui souffrent à la suite d’un avortement. « La plupart des conseillers qui s’occupent du suicide ne reçoivent aucune formation en vue d’identifier les traumatismes liés à l’avortement », lui avait expliqué cette militante : « En réalité, l’immense majorité d’entre ne savent même pas que cela peut constituer un problème pour les hommes. La plupart des femmes n’ont pas la moindre idée du fait que l’avortement peut causer du tort aux hommes. »
Il faudrait aller plus loin. En réalité, l’existence du traumatisme ou du syndrome post-abortif est officiellement niée ou passée sous silence, pour des raisons idéologiques. De telle sorte que même les femmes souffrant de dépression, envies suicidaires, et autres comportements à risque ne seront pas la plupart du temps interrogées sur le fait de savoir si elles ont avorté ou non. La question reste tabou dans de nombreux pays, tant l’existence de ce traumatisme remet en cause le discours sur le « droit à l’IVG ».
Et même lorsque les problèmes psychologiques liés à l’avortement sont reconnus, la faute en est souvent rejetée sur les hommes par les femmes elles-mêmes. Julie Cook observe : « Indépendamment du rôle joué par l’homme dans l’avortement, les femmes se sentent souvent abandonnées, et sur le plan émotionnel, elles rejettent la culpabilité de l’avortement sur l’homme. » Le père… L’homme qui souvent pousse à l’acte, parfois sous la menace, comme l’expérience le prouve. Mais pas toujours…
La souffrance des pères après l’avortement
Corrine Barraclough vient donc de découvrir que celui-ci peut lui aussi être affecté par un sentiment de culpabilité ou de détresse émotionnelle. « C’est logique : ce sont des êtres humains eux aussi », commente la journaliste.
Et elle rappelle la recherche du Dr Kaeleen Dingle de l’université du Queensland, qui a présenté en 2011 une étude au congrès mondial de la psychiatrie asiatique à Melbourne qui se penchait sur les jeunes hommes et la dépression. Sa recherche montre que les jeunes hommes dont les partenaires ont avorté ont deux fois plus de risques d’abuser de stupéfiants ou d’être en dépression que les autres.
Julie Cook commente : « Des suicides masculins peuvent être liés à la fois directement et indirectement à l’avortement. L’un des plus importants prédicteurs du suicide masculin est la destruction d’une relation. Et si aucun travail n’est entrepris en vue d’une restauration, le traumatisme lié à l’avortement détruit souvent les relations. » Sans compter que les traumatismes non résolus, souligne-t-elle, sont souvent des facteurs qui déclenchent la violence domestique.
« Mais pourquoi personne n’en parle-t-il ? », interroge Corrine Barraclough.
En Australie, on en parle pourtant un peu plus qu’ailleurs. Abortion Grief Australia (AGA) a reçu l’an dernier des fonds publics dans le domaine de la santé mentale afin de donner plus de visibilité au problème. Premiers pas indispensables pour que les personnes qui ont besoin d’aide puissent identifier leurs problèmes et chercher à les soigner.
En attendant, les tragédies se répètent. Julie Cook a ainsi raconté à la journaliste l’histoire d’une femme inconsolable et même hystérique qu’elle a rencontrée le jour prévu pour son mariage : son fiancé s’était suicidé quelques semaines auparavant. « Elle était enceinte et pensait qu’il était trop tôt pour faire intervenir un bébé dans leurs relations, elle est allée se faire avorter sans en dire un mot. Lorsqu’il a su ce qui était arrivé il a été submergé par la douleur et il a mis fin à sa propre vie. Cela n’est pas inhabituel. C’est une chose que nous devons reconnaître et dont nous devons parler de manière plus ouverte en tant que société. »
Suicide, toxicomanie, dépression : les hommes aussi souffrent de l’avortement
Corrine Barraclough a découvert, grâce à cette conversation avec une femme prête à dire la vérité, que ce fléau touche les hommes de tous les âges, y compris des adolescents : « Les histoires sont innombrables et me glacent le sang. Il y a ici un océan de douleur qui brise le cœur, et je ne n’avais pas la moindre idée de son existence. En tant que femme, j’en viens à me demander si je n’ai pas toujours envisagé l’avortement d’un seul côté de la barrière ? »
Bouleversée, la journaliste rappelle une autre tragédie, évitée de justesse, celle d’un garçon de 16 ans qui a contacté AGA après que sa petite amie eut avorté. La rupture s’ensuivit. Lui qui avait de bonnes notes à l’école a vu ses résultats dégringoler. Il a quitté la maison de ses parents pour aller vivre dans la rue. Le conseiller qui a pris connaissance de son projet de suicide a pu contacter la police et le passage à l’acte a été évité à quelques secondes près. « Hélas, il a raconté au conseiller le suicide d’un ami, lui aussi à cause d’un avortement », explique Corrine Barraclough.
Celle-ci ne se pose pas la question du pourquoi. Elle évite notamment de s’interroger sur la réalité assassine de l’avortement, affirmant au contraire le droit des femmes de « contrôler leur corps » et regrettant simplement l’absolutisme féministe et le fait qu’il n’y ait qu’« île minuscule de compassion pour les hommes ». Il faudrait davantage de compréhension pour éviter l’irréparable, pour mettre fin à cette « abominable guerre qui fait rage entre les “genres” », estime-t-elle.
Sa prise de conscience n’est donc qu’un début. Mais un début nécessaire.
Jeanne Smits