Le dernier entretien du pape François avec le journaliste athée Eugenio Scalfari de La Repubblica est une nouvelle bombe. Comme les précédentes, elle a été réalisée de manière informelle, Scalfari se spécialisant, le pape le sait parfaitement, dans l’entretien sans enregistreur. En cette occurrence, c’est le pape qui a pris son téléphone pour appeler le journaliste avec à la clef, un entretien à la maison Sainte-Marthe. Le pape a abordé les sujets cruciaux du point de vue du mondialisme : ouverture aux migrants, le fédéralisme européen qu’il appelle de ses vœux, et l’immanentisme qu’il se refuse à condamner.
On peut relativiser la portée de ses paroles telles que les rapporte Scalfari, mais il reste que nombre des déclarations les plus controversées attribuées au pape François au fil des entretiens précédents n’ont pas été démentis, voire figurent sur le site du Vatican. Tout se passe comme si le pape « utilisait » La Repubblica pour lancer des ballons d’essai ou révéler sa pensée profonde. Scalfari rappelle qu’il a pu écrire par le passé que le pape François est un « révolutionnaire ». Ce nouvel entretien le confirme, estime-t-il.
La conversation, raconte Scalfari, a eu pour « thème principal » le « Dieu unique, l’unique créateur de notre planète et de l’univers tout entier ». Commentaire du journaliste : « C’est la thèse fondamentale de son pontificat, et elle comporte une série infinie de conséquences, les principales étant la marche vers la fraternité de toutes les religions et des religions chrétiennes en particulier, l’amour envers les pauvres, les faibles, les exclus, les malades, la paix et la justice ».
L’entretien du pape François avec Eugenio Scalfari : une nouvelle bombe
Parce que Dieu est un, l’unique créateur, toutes les religions devraient se retrouver autour de cette réalité, et en fin de compte, elles adorent toutes le même Dieu, tel est le sens profond de cette affirmation commodément portée par Scalfari. Drôle de logique – subtilement attribuée au pape François. De la même manière, Scalfari explique son appréciation de la prédication de Jésus de Nazareth qu’il considère comme un homme et non comme un Dieu. Scalfari écrit : « Le pape sait du reste que Jésus s’est réellement incarné, qu’il est devenu un homme jusqu’au moment où il a été crucifié. La “résurrection” est de fait la preuve qu’un Dieu devenu homme ne redevient Dieu qu’après sa mort ». On doit sans doute lui laisser la paternité de ces mots mais ceux-ci montrent la dangerosité de l’exercice auquel se livre le pape François en ouvrant la porte à ces ambiguïtés. Car Scalfari ajoute : « Ces choses, nous nous les sommes dites bien souvent et c’est le motif qui a rendu aussi parfaite et aussi insolite l’amitié entre le chef de l’Eglise et un non-croyant ».
L’objet de leur conversation, cette fois, était d’abord la tenue du G20. Le pape s’est dit très préoccupé par celle-ci, rapporte Scalfari : « J’ai peur de la mise en place d’alliances assez dangereuses entre les puissances qui ont une vision déformée du monde : l’Amérique et la Russie, la Chine et la Corée du Nord, Poutine et Assad par rapport à la guerre de Syrie ».
Et ce qui fait peur au pape, ce n’est pas la guerre, la diffusion des idéologies de mort que sont le communisme et la dictature LGBT, pas même l’islam : « Le danger concerne l’immigration. Nous, vous le savez bien, avons comme problème principal, un problème qui prend trop d’ampleur dans le monde d’aujourd’hui, celui des faibles, des exclus, dont les migrants font partie. D’autre part, il y a des pays où la majorité des pauvres ne vient pas des courants migratoires mais des calamités sociales ; d’autre pays, au contraire, ont peu de pauvres localement mais craignent l’invasion des migrants. C’est pour cela que le G20 me préoccupe : il rend coupables surtout des migrants des pays du tiers-monde et il les accuse toujours plus au fur et à mesure que le temps passe ».
Ouverture aux migrants : la dette de l’Europe vis-à-vis du tiers monde ?
A la question de Scalfari sur la mobilité croissante des populations, le pape répond, selon le journaliste : « Ne vous faites pas d’illusions : les peuples pauvres ont pour point d’attraction les continents et les pays d’ancienne richesse. Surtout l’Europe. Le colonialisme est parti d’Europe. Il y eut des aspects positifs du colonialisme, mais aussi des aspects négatifs. C’est ainsi que l’Europe est devenue plus riche, la plus riche du monde entier. Elle sera donc l’objectif principal des peuples migrants ».
Autrement dit : préparons-nous. Scalfari avoue y avoir pensé et ne voir qu’une solution : que l’Europe se dote au plus vite d’une structure fédérale. Le pape – dit Scalfaro – reconnaît qu’il a plusieurs fois soulevé ce thème, notamment lors de son discours devant le Parlement européen. « C’est vrai, je l’ai plusieurs fois soulevé. (…) Oui, c’est ainsi, mais pourtant cela signifie bien peu. Les peuples se bougeraient s’ils se rendaient compte d’une vérité : ou bien l’Europe devient une communauté fédérale, ou bien elle ne comptera plus pour rien dans le monde ».
Il est intéressant de voir comment l’entretien se déroule. Les thèmes et les suggestions sont soulevés à tour de rôle. On a l’impression d’un jeu de comparses. Le pape François glisse aussitôt vers le sujet de la déontologie des journalistes – passons. Scalfari revient à la charge avec Spinoza et Pascal, que le pape verrait bien béatifié.
Spinoza, souligne le journaliste après avoir rappelé l’histoire de sa vie, converti du judaïsme, a été excommunié parce qu’il « soutenait que Dieu est dans toutes les créatures vivantes : végétale, animale, humaine. Un éclat du divin qui est partout donc, Dieu est immanent, et non transcendant ». Qu’en pense le pape ?
Le fédéralisme européen, Scalfari en rêve. Le pape François aussi
Réponse : « Et à vous, cela ne vous semble pas juste. Pourquoi ? Notre Dieu unique est transcendant. Nous aussi nous disons qu’il y a partout un éclat du divin, mais la transcendance reste intacte, c’est pourquoi cette excommunication a été prononcée contre lui ».
Scalfari commente : « Il me semble, si je m’en souviens bien, qu’il en appela à l’ordre des jésuites. “A l’époque dont nous parlons, les jésuites avaient été expulsés de l’Eglise, mais ils ont été réadmis. Cependant, il n’avait pas été dit pourquoi cette excommunication aurait dû être révoquée” ».
Et Scalfari explique : « La raison est celle-ci. Vous m’avez dit lors d’un précédent entretien qu’après quelques millénaires notre espèce cessera d’exister. A ce moment-là, les hommes qui aujourd’hui jouissent de la béatitude de contempler Dieu mais qui restent distincts de lui se fondront en lui. A ce moment-là la distance entre le transcendant et l’immanent n’existera plus. Et donc, en prévision de cet événement, on peut déclarer déjà que l’excommunication a été levée. N’est-ce pas ce qu’il vous semble, Sainteté ? »
L’immanentisme ne fait pas peur au pape si l’homme doit se fondre en Dieu
Réponse du pape, un peu obscure, rapportée de mémoire sans doute par Scalfari : « Disons qu’il y a une logique dans ce que vous proposez, mais sa motivation repose sur une hypothèse qui m’est propre et qui n’a aucune certitude, et que notre théologie ne prévoit pas. La disparition de notre espèce est une pure hypothèse et donc elle ne peut pas motiver une excommunication émise pour censurer l’immanence et confirmer la transcendance ».
Scalfari demande si en ce cas le Pape n’aurait pas la majorité de l’Eglise contre lui. « Je crois que oui, mais s’il ne s’agissait que de cela et si j’étais certain de ce que je dis sur ce thème, je n’aurais pas de doute, cependant je ne suis pas certain du fait et donc je n’affronterai pas une bataille douteuse dans sa motivation et perdue d’avance ».
Rien de tout cela n’est très clair, mais il en ressort que le pape est prêt à exposer ses idées subjectives sur le sujet en faisant en quelque sorte entrer l’immanentisme dans l’Eglise par la petite porte.