Quatre circulaires publiées au Bulletin officiel et un livret de synthèse adressé aux écoles, intitulé « Pour enseigner la lecture et l’écriture au CP » ont fait hier, 26 avril, moult remous dans les médias et le corps professoral. De la méthode syllabique et non plus globale au professeur en mouvement plutôt qu’assis… autant de mesures qu’on a qualifiées étonnamment à la fois de « rétrogrades » et de « sans objet », car soi-disant déjà appliquées.
Si les enseignants parlent avec mépris de « déjà vu » et « déjà fait », il y a peu à espérer sur de réels changements… Et les recommandations du ministre de l’éducation Nationale Blanquer resteront lettre morte. Quant à ce dernier, il faut aussi se poser la question de son inaction en la matière durant sa participation à deux ministères d’éducation nationale, où ces méthodes étaient le cadet de ses soucis. Ou bien le ministre fait mine, engrangeant quelques bons points de bonne volonté, ou il a enclenché le début d’une petite révolution éducative – c’est à voir.
« La finalité est la réussite de tous les élèves » Jean-Michel Blanquer
« L’idée n’est pas d’homogénéiser les pratiques mais de créer une référence commune » a déclaré Jean-Michel Blanquer. Il avait promis ce recadrage pédagogique en décembre dernier, et présente aujourd’hui ces textes comme des « recommandations au service de la maîtrise des savoirs fondamentaux à l’école primaire » sur la lecture, l’enseignement de la grammaire et du vocabulaire, le calcul et la résolution des problèmes.
En plus de la dictée quotidienne, il veut un quart d’heure de calcul mental, la grammaire en leçons, l’apprentissage par cœur des tables d’addition dès le CP, etc… et que le professeur navigue doctement entre les tables pendant que les enfants potassent ! Pour être précis, il a voulu l’être. « Entre quelque chose qui ne marche pas – la méthode globale – et quelque chose qui fonctionne – la syllabique – il ne peut y avoir de “compromis” mixte. Ce sujet ne relève pas de l’opinion, mais de faits démontrés par la recherche. C’est très clair. »
Mieux, à partir de la cinquième, les élèves devraient parcourir « au moins trois œuvres complètes du patrimoine en lecture intégrale ». Il précise: « Les professeurs ne doivent pas préjuger des capacités ni du goût de leurs élèves pour la lecture de textes considérés comme exigeants »…
Des points de gagnés dans l’estime de parents catastrophés par la mauvaise note scolaire française ?
Ça nous change des pédagogismes douteux du Mammouth, ouverts à tous et donc douloureusement nivelés par le bas… Le Syndicat national des écoles (SNE) s’est d’ailleurs réjouit de « ce bon sens » qui va « libérer beaucoup de professeurs, cette majorité silencieuse qui pratique presque clandestinement des méthodes explicites éprouvées ».
Seulement, beaucoup y ont vu un one-man-show, une « opération de communication » (interview au Parisien) destinée à flatter une partie de l’opinion échaudée par les échecs de notre système scolaire. Il faut quand même redire qu’au classement international Pirls qui est réalisé tous les cinq ans sur des enfants de CM1, la France a encore vu, en décembre dernier, son nombre de points baisser (son déclin est continu depuis 2001, année de lancement du programme).
D’abord, il est certain que Blanquer « n’est pas un Merlin l’enchanteur », comme cela été dit, détenteur d’une formule miracle dont il aurait tout à coup retrouvé le souvenir. Rappelons encore une fois qu’il faisait partie, en 2006, du cabinet du ministre de l’Éducation nationale, Gilles de Robien, celui-là même qui a tenté de réformer et d’imposer l’enseignement de la méthode syllabique, sans succès, puisqu’il s’est retrouvé coincé in fine par sa propre administration (dont a fortiori Blanquer !).
D’autre part, il avait quand même déclaré, le 28 août 2017, sur BFM-TV-RMC : « …il y a une vieille querelle entre méthodes globale et syllabique qui a été tranchée en faveur de la syllabique ». La réclamer aujourd’hui à cor et à cri revient à avouer que le débat n’avait en fait pas été tranché… et qu’il passait volontairement sous silence la réalité française qui voit l’enseignement répandu de la première.
Contre la méthode globale… qui n’existe pas ?!
En tous les cas, comme la proposition en 2006 de Gilles de Robien, l’accueil réservé aux fermes conseils du ministre par le corps professoral a été assez froid. Les enseignants se sont dits choqués par tant d’injonction et d’autoritarisme, attachés à tout crin à la « liberté pédagogique » inscrite dans les textes depuis la loi Fillon de 2005.
Mais pour autant, ils accusent Blanquer d’enfoncer des portes ouvertes ! « Je ne vois pas où est la révolution », ont dit certains enseignants. La méthode globale ?! Elle n’existe plus depuis longtemps ! Je ne l’avais jamais vue enseigner ! Elle n’a quasiment jamais été utilisée en France !
De très douteuses affirmations qui jouent sur les mots : les méthodes semi-globales ou encore « naturelles » d’apprentissage de la lecture qui apprennent à mal lire et nuisent à la formation de la pensée ont, de fait, presque partout remplacé la très structurante méthode syllabique.
Alors, il faudra à la fois que Blanquer confirme sa réelle bonne volonté contre « l’anarchisme pédagogique » par des arrêtés concrets en bonne et due forme, et que les enseignants changent de disque – difficile conjonction. C’est comme la théorie du genre : lutter contre les théories qui-n’existent-pas est toujours passablement compliqué.