C’est à Pékin, et donc sous l’égide du parti communiste chinois, que s’est tenue une conférence sur l’intelligence artificielle où il a été question de l’utilité de la nouvelle technologie pour « donner vie aux idées de Karl Marx », titre choisi par la source russe Sputnik à l’article rapportant cette intéressante information. L’intelligence artificielle (AI) pourrait donner toute sa mesure dans le cadre d’une économie planifiée, telle est la promesse présentée en Chine : en Chine communiste, ce n’est pas un hasard.
Ces remarques ont été présentées par Jack Ma, PDG du géant de la distribution en ligne chinois, Alibaba. Il a expliqué que l’intelligence artificielle offre moins d’intérêt dans le cadre d’une économie de marché libre que dans une économie dirigée – comme l’est l’économie chinoise – à qui elle pourrait donner une « efficacité » sans précédent.
L’intelligence artificielle, outil pour installer le communisme
Jack Ma, lui-même à la tête d’une entreprise privée, vient de s’associer avec plusieurs autres poids-lourds de l’économie chinoise pour prendre la tête d’une fédération nationale des sociétés de l’Internet, s’engageant à ce titre à « nettoyer » le cyberespace pour y assurer le respect des « valeurs fondamentales du socialisme », une opération de censure voulue par le parti communiste et à laquelle souscrivent docilement Alibaba, Baidu et Tecent. La liberté en Chine est toute relative, fût-elle celle du marché.
Le magnat du web a déclaré lors de la conférence de Pékin qu’en dépit des idées largement répandues au siècle dernier selon lesquelles la « main invisible » des mécanismes de marché régulerait l’ensemble du système du marché libre tandis que la planification économique serait incapable de correctement distribuer les ressources, l’économie dirigée par l’Etat pourrait bien jouer un rôle croissant au cours de la trentaine d’années à venir, précisément grâce à l’essor de l’intelligence artificielle.
Selon lui, rapporte Sputnik, l’analyse qu’elle permet des Big Data permettra d’optimiser la distribution des ressources, éliminant le principal inconvénient d’une économie planifiée.
La nouvelle actualité de Karl Marx selon les communistes chinois
Le professeur Feng Xiang de l’université de Tsinghua, qui passe pour être l’un des plus prestigieux professeurs de droit en Chine, en était entièrement d’accord. Selon lui, il faut éviter à tout prix que l’intelligence artificielle et les Big Data ne tombent dans des mains privées. Si l’AI tombe sous le contrôle des forces du marché, il craint l’apparition de nouveaux oligopoles qui permettront à de nouveaux oligarques de récupérer la totalité de la richesse matérielle créée par les robots, tandis que les gens ordinaires perdront leur emploi et vivront en parias.
La seule réponse serait selon lui le modèle chinois de l’» économie de marché socialiste » qui assurerait la distribution équitable à la fois des ressources et de la valeur ajoutée pour tous. Ainsi, soutient le Pr Feng, les idées de Karl Marx connaîtraient une nouvelle vie, permettant de résoudre les problèmes créés par l’avènement de l’intelligence artificielle : des problèmes heureux, on l’aura compris.
Dans une tribune publiée le 3 mai par le Washington Post au titre du partenariat entre le Berggruen Institute, organisatrice d’une conférence à Pékin sur l’intelligence artificielle au mois de mars, et ledit quotidien américain, Feng Xiang assurait carrément que l’intelligence artificielle signera la fin du capitalisme.
De l’économie planifiée par l’intelligence artificielle au socialisme mondial
Feuille de route de l’installation du socialisme mondial ? Cela y ressemblait fort. Comme l’écrivait Feng dans cette tribune : « Plus l’intelligence artificielle se transforme en technologie à usage polyvalent s’immisçant dans les moindres recoins de la vie, moins il sera acceptable de permettre qu’elle reste entre des mains privées pour servir les intérêts du petit nombre plutôt que de la majorité. Plus que tout, l’inéluctabilité du chômage de masse et la demande d’allocations sociales universelles vont favoriser l’idée de socialiser ou de nationaliser l’AI. »
Et de revisiter la phrase de Marx : « De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins. » Au XXIe siècle, il faudrait dire selon lui : « De l’incapacité d’une économie de l’AI à fournir du travail et un salaire de subsistance à chacun, à chacun selon ses besoins. » Chose qui ne se fera pas, a-t-il insisté, si on laisse faire les grands acteurs d’Internet, « qui ne sont guère des parangons de responsabilité sociale ».
« Ces sociétés doivent leur impunité, malgré leur irresponsabilité sociale, au fait que le système judiciaire et ses failles en Occident sont taillés sur mesure pour protéger la propriété privée par-dessus tout. Evidemment, en Chine, nous avons de grosses sociétés privées d’Internet comme Alibaba et Tencent. Mais à la différence de ce qui se passe en Occident, elles sont surveillés par l’Etat et ne se considèrent pas comme au-dessus ou au-delà du contrôle social », assure Feng Xiang.
Karl Marx, la nouvelle vedette des politiques aux commandes au XXIe siècle
« Lorsque les robots se mettront en place, l’industrie ne produira plus que du chômage et il n’y aura pas d’autre choix que l’intervention de l’Etat… Le rêve du communisme est l’élimination du travail salarié. Si l’intelligence artificielle est contrainte à servir la société plutôt que des capitalistes privés, elle promet d’y parvenir en libérant l’immense majorité de ses corvées tout en créant la richesse capable de subvenir aux besoins de chacun », estime ce marxiste convaincu, persuadé de voir enfin la possibilité de la réalisation des « vraies aspirations communistes ».
L’idée progresse dans de nombreux pays, notamment en Occident où l’on voit de plus en plus évoquer la mise en place du revenu universel, projet dont le substrat communiste est ici clairement mis au jour.
Voilà pourquoi il faudrait célébrer l’avènement de l’intelligence artificielle, condition du rêve collectiviste et de la toute-puissance de l’Etat. Sauf que c’est un cauchemar.