La Congrégation pour la Doctrine de la foi a publié la semaine dernière un long document signé en début d’année avec l’approbation du pape François sur le monde de la finance : Œconomicae et pecuniariae quaestiones se veut une réflexion « éthique » sur l’économie de marché, son intérêt et ses excès, plus intéressante encore par ses omissions que par ses affirmations. Car sans dénoncer le principe du capitalisme et des transactions financières, il passe à côté d’éléments-clef permettant de comprendre la situation actuelle, comme l’a souligné Ettore Gotti-Tedeschi, ancien président de l’IOR (Institut des Œuvres Religieuses), lors du premier colloque de la toute nouvelle Académie Jean-Paul II pour la vie humaine et la famille à Rome, lundi.
Si Œconomicae et pecuniariae quaestiones s’intéresse de manière assez technique aux différents ressorts de la finance, depuis son rôle de « système lymphatique » de l’économie jusqu’à ses manifestations les plus contestables dans le blanchiment d’argent ou la spéculation centrée sur le seul intérêt du gain sans tenir compte des dégâts sociaux que celui-ci peut entraîner, il se borne à un langage convenu pour analyser la crise financière de 2008 et propose les solutions les plus chéries des mondialistes : accentuation de la régulation « supranationale », mise en place de nouveaux impôts sur les transactions « offshore » – mais levés par qui ?
“Œconomicae et pecuniariae quaestiones” : une réflexion qui compte des lacunes
Mais à part ce dernier point qui a particulièrement frappé Ettore Gotti-Tedeschi, c’est surtout l’omission du facteur démographique qui est frappante dans le document. Il n’est nulle part question dans l’analyse des origines de la crise de la dénatalité et du vieillissement des populations, tragique dans de nombreux pays et surtout en Occident, mais bien réelle dans bien des régions moins développées du monde. Or si Œconomicae et pecuniariae quaestiones insiste sur le devoir des mécanismes et des acteurs de l’économie de concourir au bien commun de l’homme, il ne met pas en évidence, comme on aurait pu l’espérer, la corrélation claire entre la crise morale et les problèmes actuels liés à l’endettement (qui n’a fait qu’exploser alors même que la finance est « mieux » régulée depuis 2008) par le double effet du refus de la vie et de l’utilisation de la consommation à crédit comme facteur de croissance.
De même, en dénonçant vigoureusement les effets de la crise des subprimes qu’il attribue à l’appât du gain servis par des mécanismes financiers permettant d’occulter des actifs pourris, Œconomicae et pecuniariae quaestiones « oublie » de rappeler ce qui a déclenché cette affaire : l’obligation créée aux Etats-Unis de consentir du crédit immobilier – les dettes correspondantes étant mises sur le marché ensuite – à des ménages non solvables au nom du principe de non-discrimination. Il s’agissait d’aider les minorités ethniques d’accéder à la propriété, à n’importe quel prix et les acheteurs fussent-ils dans l’incapacité d’honorer leurs traites. Décision étatiste et socialiste par excellence…
Bref, le document de la Congrégation pour la Doctrine de la foi passe à côté d’une dimension essentielle de la réflexion qu’il veut large, et y ajoute une absence de mise en évidence claire de la socialisation galopante qui est la vraie marque de notre temps à travers l’explosion des prélèvements obligatoires, au détriment du principe de subsidiarité, de la liberté humaine et de la nécessaire liberté de la charité.
La Congrégation pour la Doctrine de la foi parle finance : offshore, subprimes et mécanismes du marché
On lit bien au paragraphe 31, pour expliquer certaines manœuvres d’optimisation fiscales des sociétés offshore : « Certes, le système fiscal des Etats ne semble pas toujours juste ; à cet égard, il convient de noter qu’une telle injustice est souvent au détriment d’entités économiques plus vulnérables, tandis qu’il favorise ceux qui sont les mieux aguerris et qui sont même en mesure d’influencer les systèmes réglementaires qui régissent ces fiscalités. En fait, l’imposition fiscale, lorsqu’elle est équitable, exerce une fonction essentielle de péréquation et de redistribution de la richesse, non seulement en faveur de ceux qui ont besoin de subventions appropriées, mais aussi pour soutenir les investissements ainsi que la croissance économique réelle. »
Mais outre qu’il y a ici une bénédiction a priori du principe de la « redistribution » des richesses, marxiste dans son origine, on note que ce n’est pas tant la sur-imposition qui est dénoncée que l’utilisation de la fiscalité et de ses règles au profit des plus riches, alors que dans tant de pays développés elle contribue si largement à paupériser les classes moyennes.
C’est dans ce contexte que le document propose : « En tout état de cause, le contournement fiscal de la part des principaux acteurs du marché, notamment des grands intermédiaires financiers, représente une ponction injuste de ressources à l’économie réelle, et demeure un préjudice pour l’ensemble de la société civile. Vu la non-transparence de ces systèmes, il est difficile de déterminer avec précision la quantité de capitaux qui y transite ; toutefois, il a été calculé qu’un impôt minimum sur les transactions offshore suffirait pour résoudre une grande partie du problème de la faim dans le monde : pourquoi ne prendrait-on pas avec audace la voie d’une telle initiative ? »
La solution serait donc toujours d’augmenter les impôts, voire, devine-t-on, de mettre en place une taxation internationale pour assurer une redistribution internationale, cette fois.
La Congrégation pour la Doctrine de la foi adopte la vision des mondialistes
Réalisé en collaboration avec le nouveau Dicastère pour le Service du Développement humain intégral, chapeauté par le cardinal Peter Turkson, le document de la Congrégation pour la Doctrine de la foi reste relativement nuancé, moins focalisé sur l’environnementalisme qu’on n’aurait pu le craindre, et même plutôt bienveillant pour le monde de la finance et de l’entreprise.
« Aucune activité économique ne peut prospérer de manière durable, si elle ne s’insère dans un climat de saine liberté d’initiative », y lit-on, et force est de constater avec lui : « Cependant, il est également clair que le puissant moteur de l’économie que sont les marchés n’est pas en mesure de se réguler par lui-même : les marchés, en effet, ne peuvent ni produire les conditions qui leur permettent de se développer dans les règles (cohésion sociale, équité, confiance, sécurité, lois…), ni corriger leurs effets et leurs expressions nuisibles à la société humaine (inégalités, dégradation de l’environnement, insécurité sociale, fraudes…). » La liberté sans frein aucun dans les sociétés humaines passe trop souvent à côté des obligations morales pour qu’on ne puisse comprendre ces critiques qui portent notamment sur les « transactions caractérisées par une intention de pure spéculation » créant de la « richesse virtuelle ».
Mais dans le même temps, il n’y a pas la moindre référence à toute l’histoire des délocalisations, de la mondialisation libre-échangiste et encore moins à la socialisation internationale qui les accompagne d’autant plus aisément que l’on est prêt à accepter les soi-disant solutions de sortie de crise.