L’irrésistible ascension du cardinal Victor Manuel Fernandez

ascension cardinal Victor Fernandez
 

La revue des jésuites des Etats-Unis, America Magazine, consacre une longue chronique au nouveau préfet du Dicastère pour la Doctrine de la foi, Victor Manuel Fernandez, qui a déjà beaucoup fait parler de lui en tant qu’auteur de la Déclaration Fiducia supplicans offrant la possibilité de bénir les « couples irréguliers » ou « de même sexe ». L’orientation progressiste de la revue fait que, sans surprise, “Tucho” – son petit nom en Argentine – est présenté comme un grand réformateur proche de la vie réelle, par opposition aux « ratzinguériens » accrochés à la doctrine.

La chronique, signée Colleen Dulle, est intéressante par ce qu’elle dit mais aussi par ce qu’elle ne dit pas : aucune mention, ainsi, de ses œuvres que l’on pourrait désigner comme « sensuelle » – comme celui sur le baiser, Guéris-moi avec ta bouche – voire érotico-pornographique, comme La passion mystique qui a fait couler beaucoup d’encre dernièrement.

America crédite le cardinal Fernandez d’avoir « rapidement changé ce qui était jadis le plus formidable département du Vatican ». En l’espace de trois mois, il lui a donné un nouveau cap, nous dit-on : « Il s’agit moins de s’occuper de censurer des théologiens que de développer une théologie qui va à la rencontre des gens parmi les situations complexes de la vie moderne. »

 

Le cardinal Victor Manuel Fernandez, vieux compagnon de route de François

C’est bien pour cela qu’il a été embauché à ce poste, au terme d’une formidable ascension facilitée par le pape François, dont l’article souligne la proximité avec Victor Manuel. François avait d’emblée, dans sa lettre de nomination de l’archevêque de La Plata à la « Doctrine de la foi » précisé : « Le Dicastère que vous présiderez en est venu en d’autres temps à avoir recours à des méthodes immorales. C’étaient des temps où, plutôt que de promouvoir la connaissance théologique, on traquait de possibles erreurs doctrinales. Ce que j’attends de vous est certainement quelque chose de très différent. »

Cette chose très différente, c’est la promotion de l’« évangélisation », mais alors une évangélisation qui s’adapte au temps présent plutôt que de s’attacher à transmettre l’intégralité de la vérité. Dans la Curie réformée du pape François, le Dicastère confié à Fernandez n’est plus premier dans la hiérarchie occupé jadis et naguère par le Saint-Office et la Congrégation pour la Doctrine de la foi : cette première place est désormais transférée au Dicastère pour l’Evangélisation.

En portant son choix sur Victor Manuel Fernandez, 61 ans, le pape François a choisi un ami et un proche de longue date, même si 26 ans les séparent. Les deux hommes se connaissent depuis fort longtemps – au moins depuis les années 1990, croit savoir America – alors que Fernandez a été ordonné en 1986. Enseignant en séminaire et prêtre en banlieue, puis curé de paroisse à Rio Cuarto, petite ville en rase-campagne au centre de l’Argentine, il ne semble pas être voué à une haute carrière ecclésiastique.

Mais c’est lui que le cardinal Bergoglio appelle auprès de lui en 2007 lors de l’Assemblée de la Conférence des évêques d’Amérique latine (CELAM) à Aparecida, au Brésil, comme le signale Colleen Dulles, pour écrire le rapport final. Elle ne précise pas que les deux hommes se retrouvent alors tous les soirs et travaillent ensemble jusqu’à des heures avancées sur le document d’Aparecida, avec son insistance sur le « peuple » et son ouverture à la « mystique populaire », mais aussi à la « justice sociale » et à la « libération ». Il y a une convergence, voire une identité de vues qui fait apparaître la nomination romaine de Fernandez comme l’appel à un allié de toujours.

 

L’ascension du futur cardinal Victor Fernandez assistée par le futur pape

Alliance où le cardinal Bergoglio (puis le pape François) a joué un rôle de mentor. C’est le cardinal qui, en 2009, nommait Fernandez recteur de l’université pontificale d’Argentine en 2009. A l’époque, des Argentins inquiets avaient saisi la Congrégation pour l’éducation ainsi que la Congrégation pour la Doctrine de la foi, et c’est Bergoglio qui s’était rendu à Rome pour faire lever les obstacles à l’avancement de son poulain. Cela avait duré un an et demi.

America se contente de dire qu’était en cause un « possible manque d’orthodoxie » de Victor Manuel Fernandez, et souligne que l’affaire avait pu être « résolue sereinement ». En juillet dernier, l’intéressé lui-même a déclaré que « les accusations n’étaient pas d’un très grand poids » et qu’il avait pu « préciser » sa véritable pensée lors d’un échange de lettres avec le Vatican.

La revue jésuite ne cite pas, en revanche, un entretien accordé le 12 janvier par le cardinal Fernandez à EFE, où il se défendait après la mise au jour de son curieux ouvrage, La passion mystique, qui s’appesantit obsessionnellement sur une présentation physiologico-érotique de l’expérience mystique et sur le plaisir sexuel.

François était au courant de ce livre, a assuré le cardinal Fernandez, affirmant qu’il avait averti le pape qu’il risquait d’être contesté comme chef de Dicastère à cause de cet écrit : « J’avais dit au pape, lorsqu’il m’a proposé ce poste pour la deuxième fois, que cela pouvait arriver, mais il était déjà au courant et il connaissait également ce livre. Il se trouve qu’à une occasion, il y a de nombreuses années, j’ai déjà été accusé à cause de ce livre et je n’ai pas été sanctionné à Rome pour cela. On a enquêté sur moi “jusqu’aux cheveux”. »

 

Le cardinal Victor Manuel Fernandez évoque le rôle de son livre dans ses déboires avec Rome

C’est donc bien, s’il faut en croire l’intéressé, ce livre qui a fait l’objet de plaintes à Rome. Et on se demande comment Bergoglio a réussi à le faire passer par pertes et profits, pourquoi, au bout d’un an et demi de pourparlers tout de même, tout cela n’a pas été jugé incompatible avec la responsabilité d’une grande université catholique…

On constate aussi que cet aveu n’a pas été jugé digne d’intérêt par America. Il l’est, pourtant… Ainsi retrouverait-on des éléments de La Pasión mística dans Fiducia supplicans.

Cela fait au moins comprendre quelle est l’étroitesse des liens entre François et Fernandez. Mais s’ils sont ainsi alliés, on se demande en vue de quoi ? On dit que Fernandez a souvent été la plume de Bergoglio. America rappelle que le premier est crédité par certains d’avoir fourni le premier jet d’Evangelii Gaudium, « premier document programmatique » du pape François, et il serait aussi le « nègre » d’Amoris laetitia, dont les passages les plus « controversés » du chapitre 8, faudrait-il ajouter, se retrouvent assez précisément dans ses écrits antérieurs.

America note en tout cas : « Avec cette longue histoire de collaboration, il semble que François ait pu avoir en tête Fernandez pour ce rôle pendant des années. »

Le voici en tout cas à la tête du Dicastère pour la Doctrine de la foi avec lequel il a été en délicatesse, mais aussi consultant à la Congrégation pour l’Education catholique où il avait également connu quelques difficultés. Dernière nomination en date : ce mercredi, le cardinal Fernandez a été fait membre par François du Dicastère pour la promotion de l’unité des chrétiens.

Cela ne manque pas de sel, alors que les ondes de choc de Fiducia supplicans n’ont pas fini de diviser les catholiques, poussant tout le sous-continent noir et bien d’autres diocèses à rejeter la bénédiction des couples « irréguliers » que Fernandez a promue avec l’entière approbation de François. L’unité des chrétiens sans l’unité de la doctrine ? Au mieux, un pieux club de protestants qu’irriteraient les rigueurs dogmatiques…

 

Jeanne Smits