Mgr Aillet, “Fiducia Supplicans”, et le Pape

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Reinformation TV suit depuis sa parution Fiducia Supplicans, la déclaration sur la bénédiction des « couples » irréguliers et homosexuels publiée par le Dicastère pour la Doctrine de la foi (ex-Congrégation pour la Doctrine de la foi, ex-Saint Office) avec l’approbation et la signature du pape François. Jeanne Smits a analysé un texte qui suscite le trouble dans l’Eglise et les réactions qu’il a suscitées, certains demandant au pape sa révocation. Les évêques d’Afrique et d’Europe de l’Est en particulier l’estiment dangereux et ont dit qu’ils ne l’appliqueraient pas. Sans aller jusque-là, l’épiscopat français vient de montrer ses réticences et son malaise. On fait face à une vraie crise. Aussi est-il intéressant de lire la note que Mgr Aillet, évêque de Bayonne, généralement classé par la presse parmi les « conservateurs », a écrite à ce sujet. Elle est pleine de nuances et de déférence et pourrait ouvrir un chemin vers une sortie de la crise. Elle invite aussi à s’interroger sur les intentions du pape.

 

Le nœud de Fiducia Supplicans, c’est le sens de la bénédiction

Sans les notes, Fiducia Supplicans fait une vingtaine de feuillets au format journal (un peu plus de trente mille signes), répartis entre une présentation, une introduction et quatre parties. Une courte présentation définit l’objet de la déclaration. La très courte introduction (alinéa 1 à 3) explique qu’elle est une réponse aux doutes exprimés par l’Eglise. Une très courte première partie (4 à 6) rappelle ce qu’est « la bénédiction dans le sacrement du mariage ». Une longue seconde partie (7 à 29) s’attache à observer « le sens des diverses bénédictions ». La troisième partie (31 à 41) s’efforce de justifier la « bénédiction des couples en situation irrégulière et des couples de même sexe ». Et la quatrième, très courte (42 – 45), intitulée « L’Eglise est le sacrement de l’amour infini de Dieu », s’efforce de justifier par l’infinitude de l’amour de Dieu la bénédiction définie à la troisième partie, sous l’autorité du pape. Ce plan suffit à comprendre que le nœud de Fiducia Supplicans se situe entre les parties II et III : une longue dissertation sur les diverses bénédictions (II) entend justifier la bénédiction prévue au (III) tout en prétendant ne pas toucher au sacrement du mariage rappelé en (I).

 

Mgr Aillet respectueux du pape

C’est l’analyse très respectueuse de ce processus qu’a donnée Mgr Aillet dans sa note sur Fiducia Supplicans et « la signification pastorale des bénédictions », après avoir expliqué pourquoi il l’a écrite : « Saluée comme une victoire par le monde laïque, et en particulier par les lobbies LGBT qui y voient enfin une reconnaissance par l’Eglise des relations homosexuelles malgré les multiples restrictions rappelées par le document romain, elle fait l’objet d’une désapprobation publique inédite de la part de conférences épiscopales entières, en particulier d’Afrique et d’Europe de l’Est, ainsi que d’évêques de tous les continents. En outre, de nombreux fidèles, y compris des recommençants, et nombre de prêtres, qui font face, dans une société en perte de repères, à des situations pastorales complexes, en faisant preuve d’autant de fidélité à l’enseignement du Magistère que de charité pastorale, expriment leur trouble et leur incompréhension. »

 

En trois ans, le pape a pris un virage à 180 degrés

Mgr Aillet constate que la doctrine de l’Eglise sur le mariage, exprimée à l’alinéa 4, « reste ferme et inchangée ». C’est la raison « pour laquelle, insiste le texte, il est impossible de donner une bénédiction liturgique ou rituelle à des couples en situation irrégulière ou de même sexe, ce qui risquerait d’induire une grave confusion entre le mariage et les unions de fait (n. 5) ». Et l’évêque de Bayonne rappelle que « l’ancienne Congrégation pour la Doctrine de la foi, dans une réponse ad dubium, le 22 février 2021, avait conclu à l’impossibilité de donner une bénédiction aux “couples” de même sexe ». Il y a trois ans. C’était une réponse claire aux clercs allemands et belges qui prétendaient bénir de telles unions. En trois ans, comment Rome a-t-elle changé de doctrine ?

 

Le début de Fiducia Supplicans : à Rome rien de nouveau

Voici l’analyse de Marc Aillet : « Il est proposé ensuite tout un parcours biblique pour fonder la distinction entre les bénédictions liturgiques (n. 10) et les bénédictions que l’on qualifiera de pastorales, en vue d’éclairer la possibilité d’une bénédiction accordée à une personne qui, quelle que soit sa condition de pécheur, peut la demander à un prêtre, hors contexte liturgique ou rituel, pour manifester sa confiance en Dieu et sa demande d’aide afin de “mieux vivre” et de mieux ajuster sa vie à la volonté de Dieu (n. 20). Cela fait d’ailleurs partie d’une pratique pastorale élémentaire et bimillénaire de l’Eglise, en particulier dans le cadre de la dévotion populaire (n. 23-24), où il ne s’agit jamais d’exercer un contrôle sur l’amour inconditionnel de Dieu envers tous ni d’exiger un certificat de moralité, étant entendu qu’il s’agit ici d’un sacramental, qui n’agit pas comme un sacrement ex opere operato, mais dont l’efficacité de grâce dépend des bonnes dispositions de celui qui la demande et la reçoit. » Et l’évêque conclut à juste titre : « Jusqu’ici, le texte n’apporte rien de nouveau à l’enseignement ordinaire de l’Eglise, en ces matières. »

 

Bénir une personne ou bénir un couple ?

Puis Mgr Aillet passe à ce qui a été présenté « comme son objet propre ». Il écrit : « C’est précisément dans ce contexte [celui de la « vision pastorale » du Pape François] que l’on peut comprendre la possibilité de bénir des couples en situation irrégulière et les couples de même sexe, sans valider officiellement leur statut ni modifier en quoi que ce soit l’enseignement pérenne de l’Eglise sur le mariage. » Ici gît le lièvre. Dans la troisième partie de Fiducia Supplicans, « on glisse subrepticement de la possibilité de bénir une personne, quelle que soit sa situation, à une bénédiction accordée à un “couple” en situation irrégulière ou de même sexe ». Malgré toutes les précisions sur le caractère non liturgique de ces bénédictions, « on est bien obligé de constater que cela a été reçu, quasi unanimement par les pro comme par les contra, comme une “reconnaissance par l’Eglise des relations homosexuelles” elles-mêmes. Or, c’est malheureusement souvent dans ce sens qu’est comprise la pratique – déjà en usage dans certaines Eglises locales – de bénir des “couples” de même sexe, notamment en Allemagne ou en Belgique, et de manière parfaitement publique. Il est à craindre qu’ils se sentent ainsi encouragés, comme en témoigne déjà un certain nombre ».

 

Fiducia Supplicans ou pas, respecter la Création de Dieu

Voilà résumés le trouble et la confusion qu’apporte Fiducia supplicans, mais Mgr Aillet va plus loin sur le plan de la doctrine. Tout en comprenant « le souhait légitime du Saint-Père de manifester la proximité et la compassion de l’Eglise envers toutes les situations, même les plus marginales », il soulève d’autres questions. La première tient aux critères de validité d’une bénédiction, il cite le Responsum ad dubium de 2021 : « Pour être cohérent avec la nature des sacramentaux, lorsqu’une bénédiction est invoquée sur certaines relations humaines, il est nécessaire – outre l’intention droite de ceux qui y participent – que ce qui est béni soit objectivement et positivement ordonné à recevoir et à exprimer la grâce, en fonction des desseins de Dieu inscrits dans la Création et pleinement révélés par le Christ Seigneur. Seules les réalités qui sont en elles-mêmes ordonnées à servir ces plans sont compatibles avec l’essence de la bénédiction donnée par l’Eglise. » L’évêque de Bayonne en conclut : « C’est la raison pour laquelle l’ancienne Congrégation pour la Doctrine de la foi déclarait illicite “toute forme de bénédiction” à l’égard des relations qui impliquent une pratique sexuelle hors mariage, comme c’est le cas des unions de personnes de même sexe. » Comment soutenir le contraire ?

 

Que le pape le veuille ou non un couple lie deux sexes différents

Sa deuxième question est anthropologique et tourne autour de la définition du mot couple. « L’Eglise a toujours tenu que “Ces bénédictions s’adressent à tous et que personne ne doit en être exclu”, mais, même s’adressant à des groupes, elles ne regardent que des personnes. » Aussi Aillet ajoute-t-il : « Nous touchons là à la nouveauté de la déclaration Fiducia supplicans qui ne réside pas dans la possibilité de bénir une personne en situation irrégulière ou homosexuelle, mais d’en bénir deux qui se présentent en tant que “couple”. C’est donc l’entité “couple” qui invoque la bénédiction sur elle. Or, si le texte prend soin de ne pas utiliser les termes d’union, de partenariat ou de relation – utilisés par l’ancienne Congrégation pour son interdiction –, il ne fournit pas pour autant une définition de la notion de “couple”, devenu ici un nouvel objet de bénédiction. Une question sémantique s’impose donc qui n’est pas résolue : la dénomination de “couple” peut-elle raisonnablement être donnée à la relation de deux personnes de même sexe ? N’a-t-on pas intégré un peu hâtivement la sémantique que le monde nous impose mais qui jette la confusion sur la réalité du couple ? Dans son exhortation apostolique Ecclesia in Europa (2003), Jean Paul II écrit : “On observe même des tentatives visant à faire accepter des modèles de couples où la différence sexuelle ne serait plus essentielle” (n. 90). Autrement dit : la différence sexuelle n’est-elle pas essentielle à la constitution même d’un couple ? »

 

Le pape a prévu les réactions à Fiducia Supplicans

Poser la question, c’est y répondre, de même qu’aux autres questions qui suivent : « Si le monde a élargi cette notion à des réalités qui n’entrent pas dans le Dessein du Créateur, la parole magistérielle ne doit-elle pas assumer une certaine rigueur dans sa terminologie pour correspondre le mieux possible à la vérité révélée, anthropologique et théologique ? » Ainsi va-t-il de toutes celles qui en découlent : « Si Dieu ne répugne pas à bénir le pécheur, peut-il dire du bien [benedicere] de ce qui n’est pas conforme concrètement à son Dessein ? » Ou : « N’y a-t-il pas des actes qui sont intrinsèquement mauvais ? » Ou encore : « L’exercice de la charité pastorale peut-il être déconnecté de la mission prophétique d’enseignement ? » Ou enfin : « Peut-on opposer pastorale et doctrine ? » D’une part, ces questions que pose Mgr Aillet à propos de Fiducia Supplicans trouvent des réponses sans ambiguïté dans la doctrine inchangée de l’Eglise, mais surtout, nul ne peut penser que le pape François ne se les soit pas posées.

 

Trois hypothèses sur la stratégie du pape

Alors, pourquoi a-t-il inspiré, autorisé et signé Fiducia Supplicans ? Une supposition, triste mais pas absurde, serait que le pape François a été gagné par le modernisme et qu’il a entrepris de modeler la barque romaine sur l’esprit du monde. Une autre est que c’est un pape avant tout politique, que sa formation de Jésuite porte à tirer des bords entre les forces en présence, en fonction des circonstances, et qui souhaiterait par ce texte s’attirer les bonnes grâces des modernistes nordiques afin d’éviter un schisme qu’il sent poindre – au risque d’en provoquer un autre en Afrique et chez les « tradis de l’intérieur » qui seraient ainsi portés à faire cause commune avec les tradis de l’extérieur. Qu’on me permette ici une troisième, plus optimiste, et tout aussi conforme à ce qu’on croit saisir de la personnalité assez alambiquée du pape François.

 

Convertissez-vous pour que Fiducia Supplicans soit révoquée !

L’arme préférée des jésuites ne passe pas pour le bazooka, mais plutôt pour le fusil à tirer dans les coins, et leur passe-temps préféré demeure le billard à trois bandes. Il est peu probable qu’un homme aussi subtil, aussi conseillé, et aussi habitué à la communication que le pape, ne se soit pas attendu à la levée de boucliers que Fiducia Supplicans a suscitée chez le catholique ordinaire, ni aux réserves inévitables d’épiscopats pourtant gagnés au « progressisme ». C’est donc en toute conscience et à dessein qu’il les a provoquées. Pourquoi ? Peut-être pour montrer la réalité de l’Eglise et des « vraies gens » aux intellos arc-en-ciel qui mènent l’Eglise d’Allemagne à sa perte. Et leur dire : Je ne peux pas aller contre la volonté générale des catholiques. Il s’agirait donc d’éviter le schisme, oui, mais sur une base finalement opposée à la déclaration qu’il a signée. Enfin, celle-ci s’adresse peut-être à nous, le troupeau. Pour nous dire : « Vous condamnez les “couples” homosexuels, soit ! Mais n’y a-t-il pas chez vous, hétéros, beaucoup de “couples irréguliers” ou de pratiques qui sont “en contradiction avec le Dessein de Dieu” ? Alors, balayez devant votre porte ! Convertissez-vous, et je retirerai ce texte qui vous choque ! » On ne sait jamais, avec les Jésuites. Dans ce cas, le pape aura besoin de nos prières, et de beaucoup de Mgr Aillet, de Cardinal Sarah, et d’autres, pour lui rappeler qu’il faut révoquer bien vite Fiducia Supplicans.

 

Pauline Mille