Décidément, l’idée fait florès. Le 1er juillet, le ministre de l’intérieur italien et chef de file de la Ligue, Matteo Salvini, avait fait part de son ambition de créer « une Ligue des ligues en Europe », une association paneuropéenne de partis nationalistes eurosceptiques. Aujourd’hui, c’est Steve Bannon, l’ancien bras droit de Trump, l’ancien directeur de Breitbart qui annonce la création d’une organisation politique, baptisée The Movement. Une organisation destinée à coaliser les mouvements dits populistes, au même dessein souverainiste, qui naissent de-ci de-là en Europe…et faire la nique à Soros, en paralysant à terme Bruxelles.
Le « timing » est choisi, les élections européennes auront lieu en mai prochain. Reste que c’est quand même un Américain qui vient faire son marché sur le Vieux Continent… Peut-il incarner cette bataille du conservatisme contre le mondialisme à la Soros ? Est-ce pratiquement envisageable ?
The Movement : une opération centralisée bien financée à destination des populistes
Engendrer une révolte populiste de droite à travers le continent grâce aux élections du Parlement européen au printemps prochain… Le rêve de Steve Bannon est porté par la réalité du Brexit et celle de tous ces partis populistes européens en attente ou même au pouvoir, en Hongrie, en Italie, en Autriche. Macron et Merkel peuvent, selon lui, se faire du souci : le mois de mai prochain sera « le premier véritable face-à-face continental entre le populisme et le parti de Davos »…
Le parti de Davos, mais plus spécifiquement la cohorte de Soros. Car c’est contre lui que Bannon concentre toute son ardeur politique belliqueuse. « Soros est brillant, a-t-il déclaré au Daily Beast, c’est un démon, mais il est brillant ». Avec The Mouvement, il espère contrer la fondation du pseudo philanthrope, l’Open Society Foundation, dans laquelle le multi-milliardaire a injecté pas moins de 32 milliards de dollars depuis 1984…
Bannon sera secondé par Raheem Kassam, ex-conseiller de Nigel Farage, l’un des artisans du Brexit, et ancien rédacteur en chef de Breitbart UK qu’il a quitté en mai 2018. « The Movement sera notre bureau central pour un mouvement populiste et nationaliste en Europe. Nous allons concentrer notre attention sur les individus et les groupes de soutien intéressés par les questions de souveraineté, de contrôle des frontières et d’emploi entre autres choses », autant d’éléments que citait Salvini dans son projet de « Ligue des ligues ».
Bannon veut provoquer, en Europe, un mouvement de « tectonique des plaques »
L’ancienne éminence grise de Trump s’est dite inspirée par les phénomènes anglais et italien. La campagne « Vote Leave » qui a dû se contenter d’un plafond de dépenses de 7 millions de livres sterling. Ou encore les partis du Mouvement 5 étoiles et de la Ligue dont les dirigeants se sont parfois trouvés à tirer sur leurs propres cartes de crédit… Habitué aux grosses machines de guerre américaines, il s’est montré stupéfait du succès rencontré avec si peu d’argent.
Lors du déplacement de Trump à Londres, à la mi-juillet, Bannon a pris ses quartiers dans un hôtel cinq étoiles et reçu des représentants des mouvements de droite en Europe, de Kent Ekeroth des Démocrates de Suède aux Belges Mischaël Modrikamen du Parti populaire (celui qui avait eu l’idée de The Movement fin 2016, juste après l’élection de Trump) et Filip Dewinter du Vlaams Belang, en passant par Louis Aliot du Rassemblement National – il a également eu des contacts avec le hongrois Viktor Orbán.
Nigel Farage et Marine Le Pen joueront selon lui un rôle majeur dans la mise en place d’un groupe parlementaire européen, un « supergroupe » qui pourrait attirer jusqu’à un tiers des députés après les élections européennes de mai prochain. La fondation de Bannon offrira, elle, à son réseau des conseils, des services de sondages, des groupes de réflexion, ainsi qu’un accès à des financements.
Rompre avec des années d’intégration européenne forcée
« Le nationalisme populiste de droite arrive. Il gouvernera prochainement. Vous allez avoir des états-nations individuels avec leurs propres identités, leurs propres frontières » a lancé Bannon au Daily Beast. Face aux innombrables ONG qui soutiennent la classe politique dirigeante, il était temps qu’il y ait une organisation « du côté des gens ordinaires » !
Jolie perspective de faire éclater l’oligarchie européenne, la gouvernance acéphale, d’arracher le pouvoir au pays légal pour le rendre au pays réel… Seulement plusieurs écueils sont en vue.
D’abord l’argent. « Soros et Bannon vont être les deux plus grands acteurs de la politique européenne pour les années à venir » a déclaré Kassam. Acteurs politiques à coups de millions ? L’argent peut et doit servir les causes. Mais là où il se concentre, les risques de subversion et de manipulation sont toujours plus grands.
Ensuite les populismes observés en Europe ne sont pas tous du même métal. « Les élections européennes seront l’an prochain un test majeur à la fois pour les eurosceptiques et pour les réformateurs et The Movement sera l’endroit où ces deux causes vont se rejoindre », a expliqué Kassam. Mais la gauche a su générer en temps et en heure son propre populisme qui peut brouiller les lignes.
Enfin, on imagine aisément la place accordée à Bannon au sein du mouvement populiste, en cas de victoire aux européennes. Un Bannon qui projette de passer la moitié de son temps sur le terrain européen dès la fin des élections de mi-mandat aux États-Unis. Il compte d’ailleurs lier la droite européenne au Freedom Caucus (groupe parlementaire du Congrès américain de sensibilité très conservatrice) : l’un de ses membres, Paul Gosar était à Londres aux côtés de Bannon, mi-juillet.
Malgré tout, les perspectives risquent fort d’être intéressantes, car Bruxelles, et derrière elle le mondialisme, devra s’accommoder et peut-être trouver des alternatives.
Clémentine Jallais