Aux Pays-Bas, l’euthanasie concerne désormais une mort sur 20 : le rapport glaçant des commissions officielles d’évaluation pour 2022

Pays-Bas euthanasie rapport 2022

 

Les Pays-Bas ont connu en 2022 une hausse inédite du nombre d’euthanasies, en même temps qu’augmentait la part des euthanasies ou suicides assistés dans le nombre total des décès, de telle sorte que le seul vieillissement de la population ne suffit pas à rendre compte de ce qu’il faut bien appeler un engouement pour la « mort choisie ». Au total, 8.720 demandes d’euthanasie ont été honorées, contre 7.776 l’année précédente, soit une hausse de plus de 13 %. Le pourcentage de décès par euthanasie est passé de 4,6 % en 2021 à 5,1% en 2022. Cela veut dire qu’un décès sur 20 a été provoqué par une injection fatale. Sans que l’on puisse parler d’une « nouvelle norme » au sein de la société néerlandaise, cette statistique est en tout cas le signe d’une « normalisation » : on ne peut plus parler d’exception.

L’euthanasie est légale aux Pays-Bas depuis l’entrée en vigueur de la loi en 2002. Jusqu’en 2007, le nombre d’euthanasies annuelles n’a pas dépassé les 2.000 cas ; en 2016, il avait dépassé les 6.000 cas pour la première fois mais le pourcentage relatif au décès totaux n’avait pas énormément varié entre 2017 et 2021, se situant autour d’une moyenne de 4,25 %. Cette évolution prouve bien que la légalité du geste fait progresser la demande et le recours à l’euthanasie, en même temps qu’on assiste à un élargissement des motifs d’euthanasie considérés acceptables au vu de la loi.

 

Les commissions d’évaluations d’euthanasie ne trouvent pas d’explication

Les commissions régionales d’évaluation de l’euthanasie (RTE), chargées de contrôler a posteriori la conformité des actes d’euthanasie avec la loi, ne se hasardent pas à donner une explication au phénomène d’augmentation importante constaté cette année. Le président des RTE, Jeroen Recourt, souligne qu’aucune recherche scientifique n’a eu lieu au regard de l’augmentation constante et qu’il est donc impossible de faire des prédictions quant à l’évolution future du nombre des euthanasies. Il précise tout de même que « rien n’indique que la tendance doive se modifier au cours des années à venir ».

Si le rapport annuel 2022 se plaint de l’augmentation de la charge de travail et prévoit de réclamer l’augmentation des effectifs des commissions, il ne s’inquiète nullement de la progression de l’euthanasie, soulignant au contraire combien tout cela se passe en conformité avec les exigences de la loi, avec seulement 13 constats de non-respect des conditions, soit 0,15 % du total. Négligeable, nous dit-on. Que des médecins aient délibérément donner la mort près de 9.000 fois en un an – dont 6 fois dans le cadre d’un don d’organes ou de tissu associé à l’euthanasie, et 29 fois à des couples qui ont choisi de mourir ensemble – n’est nullement présenté comme un problème et encore moins comme une transgression.

L’association néerlandaise pour la fin de vie volontaire (NVVE) propose une explication à la montée en puissance de l’euthanasie : un nombre croissant de personnes souffrant de démence a demandé et obtenu l’euthanasie, et l’accumulation d’affections liée au vieillissement est elle aussi de plus en plus acceptée pour passer à l’acte.

 

Aux Pays-Bas, souffrances psychologiques et dépression peuvent justifier l’euthanasie

La souffrance psychologique, plutôt que les souffrances physiques insupportables, est également de plus en plus présente dans les dossiers, notamment chez les jeunes. Dans 1,3 % des cas, des troubles psychiques ont suffi à justifier l’euthanasie.

L’acceptation sociale de cette transgression majeure a également évolué au cours de ces dernières années. Les derniers chiffres connus ont été relevés lors d’une enquête en 2016 : seuls 5 % des personnes interrogées affichaient alors leur opposition à l’euthanasie, contre 12 % en 2002.

Le tableau se révèle encore plus inquiétant lorsqu’on regarde de près le rapport 2022 des RTE. Alors que les cancers très douloureux et en phase terminale, souvent mis en avant pour obtenir la légalisation de l’euthanasie, représentaient en effet dans les années qui ont suivi la loi de dépénalisation au Pays-Bas la plus grande part des interventions, leur proportion a diminué pour atteindre aujourd’hui un peu moins de 58 % des cas. On insiste à une augmentation constante d’autres causes : l’euthanasie a ainsi tué, en 2022, 115 personnes souffrant d’affections psychiatriques et 288 souffrant de démence. Sur celles-ci, 282 avaient demandé la mort avant de se trouver dans l’incapacité d’exprimer leur volonté, et 6 ont été exécutées sur la foi d’un testament de vie demandant la mort en cas d’aggravation telle qu’elles ne sauraient confirmer elles-mêmes leur accord pour l’injection létale.

 

Le rapport 2022 évoque 282 euthanasies sur des personnes démentes

Le rapport décrit longuement un de ces cas : l’euthanasie pratiquée sur une dame atteinte de la maladie d’Alzheimer et incapable de donner son consentement ; le médecin a choisi de lui faire administrer un sédatif dans sa compote de pommes afin de pouvoir la piquer tranquillement dès lors qu’elle se serait endormie.

Seule une personne mineure (un adolescent de 12 et 16 ans atteint d’un cancer, qui a pris sa décision en accord avec ses parents) a été euthanasiée en 2022. Mais une autre, à peine âgée de 18 ans et atteinte du syndrome d’Hallervorden-Spätz qui entraîne une forte dégradation de la condition physique, de fortes douleurs ainsi que l’incapacité à parler, a été informée par sa mère de la possibilité de demander la mort, et l’a effectivement demandée au moyen d’une déclaration par écran d’ordinateur interposé. Le père s’étant ému de ce qu’on lui ait suggéré de choisir de mourir, la mère a répondu que la jeune fille avait le « droit » d’être informée quant aux possibilités existantes. « Je compare un peu cela avec l’éducation sexuelle », a expliqué cette femme à la presse : « C’est une affaire qu’il faut aborder de manière tout à fait normale avec son enfant, et surtout sans aller dans le registre de l’émotion. »

On en est là effectivement au Pays-Bas. Le journaliste qui rapporte ces faits observe que l’euthanasie n’est plus un « tabou », dès lors qu’à peu près tout le monde au Pays-Bas connaît au moins une personne y ayant eu recours. À cela s’ajoute l’individualisme des enfants du baby-boom, qui par ailleurs sont de moins en moins « conservateurs » s’agissant des sujets de société, note l’article.

On a bien à faire à une modification du regard sur ce qu’est la vie humaine et sur ce qu’est la mort : à cet égard la manière dont évolue la pratique de l’euthanasie aux Pays-Bas témoigne bien une véritable révolution.

Cela fait des années que les militants du lobby euthanasique réclament le droit de mourir quand on en a tout simplement assez de vivre. Le rapport 2022 évoque discrètement le concept, mais insiste sur les « souffrances insupportables » pour approuver de telles euthanasies.

On y découvre ainsi des cas de personnes âgées, voire très âgées qui souffrent d’un début de cécité, d’ostéoporose et d’articulations douloureuses, de problèmes d’équilibre et de régression cognitive arguer de ce tableau général pour se faire expédier ad patres. En 2022, 379 personnes euthanasiées se trouvaient dans cette catégorie.

 

29 couples ont obtenu la « duo-euthanasie »

L’augmentation du nombre de couple euthanasiées de concert est également importante. 58 personnes au total – soit 29 couples – ont choisi cette mort partagée ; dans deux cas, la commission n’a pas considéré le geste totalement conforme à la loi dans la mesure où les deux candidats avaient été évalués par un même médecin expert, ce qui remet en cause l’autonomie de la décision, selon les RTE. Pour autant, une telle remarque n’entraîne pas de poursuite judiciaire, on se contente en quelque sorte faire un rappel à la loi.

Les RTE n’ont en revanche pas du tout retoqué des médecins qui avaient pris l’initiative de suggérer l’euthanasie à leur patient.

En lisant les exemples de cas publiés dans le rapport, on est frappé par l’importance que prend la conviction du médecin quant au caractère insupportable et sans perspective d’amélioration des souffrances évoquées par le patient, et qui peuvent varier de l’un à l’autre. La perte d’autonomie, les douleurs atroces, la peur d’une mort par asphyxie, la dépendance, l’impossibilité de parler chez des personnes jadis bavardes, le refus d’entrer dans un établissement de soins, l’impossibilité de conduire, de faire du tricot ou de suivre les informations télévisées sont autant d’exemples donnés. Il est ainsi question d’une femme qui n’arrivait plus à trouver un sens à sa vie.

Et c’est peut-être en effet ce qui manque le plus : le sens de la vie, le sens de la souffrance, et aussi la prise en charge de cette souffrance à la fois sur le plan humain et médical. L’euthanasie, c’est la mort rêvée des sociétés sans Dieu – et donc, sans humanité.

 

Jeanne Smits