La lettre de Josef Seifert ne date pas d’hier. Ecrite et envoyée, il y a plus de deux ans, à un cardinal dont le nom est tu, elle a été rendue publique, le 30 avril, par le philosophe catholique afin de porter plus haut et plus fort les avertissements qu’elle contient. Le silence des espaces infinis effrayait Pascal… C’est celui des cardinaux, non moins infini, qui effraie à juste titre Josef Seifert. « Le cœur saignant », comme il l’écrit, l’ami intime du pape Jean-Paul II y voit le spectre d’un « effondrement complet de l’Eglise catholique dans de nombreux pays ».
Les portes de l’enfer ne prévaudront jamais contre elle, nous dit l’Evangile. Seulement, on ne sait pas jusqu’où elle pourra sombrer. On ne sait pas combien de justes il restera.
Un « saint devoir » contre toute déviation de l’enseignement perpétuel de l’Eglise
Ce n’est plus seulement à ce cardinal inconnu que Josef Seifert s’adresse, c’est aux cardinaux du monde entier, les plus hauts dignitaires de l’Eglise catholique – les soutiens du Pape. C’est aussi aux évêques, aux dirigeants de l’Eglise. C’est à tous ceux qui ont le devoir de faire entendre leur voix, publiquement, quand la vérité de l’enseignement catholique est écornée et mise en danger dans le relativisme ambiant et dominant. Lourde charge, en ces temps sombres, où toute démarche seulement interrogative, on l’a vu avec les Dubia, tombe dans un silence mortel ou rencontre la disgrâce pour toute réponse.
Et pourtant, il faut dire cette « énorme crise » au sein de l’Eglise, cette crise qui, selon le philosophe, est peut-être la plus grande à laquelle elle n’ait jamais été confrontée, cette crise unique qui court « du sommet de l’Eglise vers le bas ». Aux cardinaux de donner l’impulsion première, vitale. A eux, en tête, de « ne plus regarder passivement la chute de l’Eglise que seule une intervention divine peut empêcher ».
Si cette lettre n’a pas trouvé l’écho souhaité chez son interlocuteur initial, Seifert espère qu’elle trouvera aujourd’hui quelque résonance chez certains bergers. « Dieu veut nous utiliser tous, mais choisit surtout des cardinaux et des évêques, tout comme il a choisi saint Paul pour répandre l’Eglise et saint Athanase pour la sauver de l’arianisme et de la destruction. » Il prie pour que sa foi dicte son espérance – pour le reste, il ne se dit « pas du tout optimiste ».
« Eradiquer » toute critique face à l’effondrement
Quelle était la motivation initiale de sa lettre ? Ce cardinal encore anonyme avait déclaré dans une interview que les critiques du pape étaient un « phénomène résolument négatif qui devrait être éradiqué, au fur et à mesure, et le plus tôt possible ». Parce que le Pape est « le Pape et le garant de la foi de l’Eglise catholique ».
Toute critique du pape n’est pas résolument négative, auquel cas il faudrait revoir les durs mots publics de saint Paul à l’égard de saint Pierre, ou les admonestations de sainte Catherine de Sienne à l’encontre des deux papes lors du Grand Schisme d’Occident, écrit Seifert…
Et le Pape n’est pas infaillible en tout et pour tout. On en est malheureusement persuadé lorsqu’on avise ce qui a été fait et dit par le siège de Rome au cours de cette dernière décennie. Seifert rappelle en premier lieu la déclaration d’Abou Dhabi (ayant pour titre « La Fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune »), signée le 4 février 2019 par le Pape François et le Grand Imam d’Al-Azhar, où il est dit : « Le pluralisme et la diversité des religions, des couleurs, des sexes, des ethnies et des langues sont voulus par Dieu dans sa sagesse, par laquelle il a créé les êtres humains. »
« Comment Dieu, avec sa volonté créatrice positive, a-t-il pu vouloir des religions qui rejettent la divinité de Jésus, nient la Très Sainte Trinité, rejettent le baptême, tous les sacrements et le sacerdoce ? Ou comment aurait-il même pu vouloir le polythéisme ou le culte des idoles Baal ou Pachamama ? » demande Seifert. « Vous tous, cardinaux et évêques, ne devriez-vous pas prononcer votre ferme “non possumus” lorsque François demande que ce “document” soit la base de la formation des prêtres dans tous les séminaires et facultés de théologie ? »
La dissidence profonde d’“Amoris Lætitia” selon Josef Seifert
Il rappelle que Paul VI avait résisté à « une énorme pression » qui lui commandait de suivre l’exemple des anglicans en autorisant la contraception ; le Saint-Esprit l’en avait pourtant empêché, ouvrant la voie à l’encyclique Humanae Vitae de 1968 qui déclarait l’utilisation de la contraception artificielle comme intrinsèquement mauvaise – l’enseignement de l’Eglise a, sur le sujet, des racines profondes.
Pour Seifert, l’encyclique Veritatis Splendor de 1993 a été écrite pour contrer la dissidence qui s’élevait alors contre Humanae Vitae. Jean-Paul II y a « magnifiquement élucidé » la vérité de la reconnaissance des « actes répréhensibles non négociables », en la défendant contre les positions éthiques relativistes qui « cherchent partout des failles » pour tenter de justifier « l’adultère, la sodomie, la contraception, l’idolâtrie, l’apostasie, le déni du purgatoire, l’enfer et le jugement dernier ».
C’est une semblable dissidence qui se fait jour actuellement. Avec Amoris Lætitia, c’est bien Humanae Vitae qu’on attaque à nouveau. François y « a commencé à mettre en doute, voire à nier, le contenu essentiel de l’Ecriture Sainte et de l’enseignement de l’Eglise », poursuit le philosophe. « Le pape François – je le dis, le cœur saignant – n’est pas “le garant de la foi”. » Rappelons que les critiques alors émises par Seifert sur Amoris Lætitia lui avaient valu, en mai 2017, d’être privé d’enseignement à l’Académie internationale de philosophie de Grenade.
Aux cardinaux de se lever les premiers
Le cardinal ne disait pas « contrôler » ou même « réprimander », mais « éradiquer », un terme à l’arrière-goût totalitaire assez gênant quand on avise ce qui doit être précisément éradiqué, c’est-à-dire une critique saine, un questionnement salvateur, un besoin de lumière. Alors que les hauts dirigeants de l’Eglise ne se privent pour tenter de changer des positions attestées par les anciens papes. Mais alors, ils ne critiquent pas : ils affirment en tirer de nouvelles conclusions.
Dans une très récente interview accordée à l’hebdomadaire croate Glas Koncila, l’un des prélats les plus « progressistes » de l’Eglise, le cardinal Jean-Claude Hollerich, du Luxembourg, a été interrogé sur la possibilité que des femmes soient ordonnées prêtres. Il a répondu que la lettre apostolique Ordinatio Sacerdotalis de 1994 du pape Jean-Paul II était « certainement un véritable enseignement pour son temps, et nous ne pouvons pas simplement le mettre de côté. Mais je pense qu’il pourrait y avoir un espace pour élargir l’enseignement ».
Impossible en revanche d’aller contre le pape régnant…
Pourtant, « ce n’est pas la question culturelle d’un pape latino-américain. Ce n’est pas une question de goût, de style ou tempérament. Non, c’est le oui ou le non au Christ qui nous a dit de prêcher l’Evangile à toutes les nations ». La vérité est toujours opportune et nécessaire. Même les « miseri laici » que nous sommes doivent se lever pour elle. Seifert nous crie : « Corraggio ! »