C’est, en euros, le montant de la rémunération totale de Carlos Tavarès, le patron de Stellantis (ex PSA : Peugeot-Citroën), en 2023, qui se subdivise ainsi : 2 millions de salaire fixe, 6 de bonus annuel dépendant des performances de l’entreprises, attributions d’actions gratuites, jetons de présence, avantages en nature, stock-options. Y compris une prime de performance spéciale de 10 millions récompensant la fusion PAS Fiat-Chrysler réussie en 2021. Un tel revenu indigne LFI. Pour Alexis Corbière, il caractérise un capitalisme « fondamentalement immoral, destructeur, antirépublicain et antidémocratique » et pour Matthias Tavel il est « insultant ». Une proposition de loi limitant de 1 à 20 l’écart entre le plus haut et le plus bas salaire dans les entreprises a été déposée. Pourtant, 70 % des actionnaires ont approuvé ces rémunérations parce que l’entreprise a réalisé un bénéfice record de 18,6 milliards d’euros en 2023, en hausse de 11 % sur un an. Il y a dix ans, quand Tavares a pris les commandes du groupe, PSA (devenu Stellantis) était au bord du gouffre (5 Md€ de pertes en 2012).
Si l’on met de côté l’aspect moral et l’aspect économique de la chose, on découvre un phénomène psychologique intéressant. A la suite des recommandations faites en 2013 par le code éthique gouvernance de l’AFEP et du Medef, la loi Sapin II, entrée en application en 2017, le vote des actionnaires réunis en assemblée générale annuelle est obligatoire pour décider de la rémunération du PDG des entreprises cotées en bourse. En même temps, à partir des années 90, en France et dans tous les grands pays industrialisés occidentaux, ont été votées des lois portant ces rémunération à la connaissance du public, espérant de cette transparence une plus grande retenue. Mais, selon Frédéric Fréry, professeur de stratégie à Centrale Supélec et à l’ESSEC Bussiness School, ces lois ont « paradoxalement provoqué l’effet inverse. Une fois publique, la rémunération est devenue un étalon de la valeur des dirigeants. (…) Pour démontrer qu’ils avaient nommé la perle rare, les administrateurs ont eu tendance à payer encore plus les dirigeants. Leur rémunération, connue de tous, est devenue un signal de confiance envoyé au marché, utilisé à la fois comme outil de mesure et mécanisme d’influence. (…) Tout le monde voulant avoir des dirigeants payés plus que la moyenne, tous les dirigeants sachant ce qu’ils pourraient gagner ailleurs, mécaniquement, cette moyenne a explosé ». La solution, pour casser cette spirale inflationniste, serait de revenir à des rémunérations secrètes, pour qu’elles cessent d’être « utilisées comme outils de mesure de la valeur des individus » et « d’être un enjeu politique ». Mais c’est impossible : l’opinion ne tolèrerait pas un tel retour, car « secret résonne avec dissimulation et transparence avec vertu ». Alors ? il n’y a pas grand-chose à faire. D’excellentes intentions ont, sous la pression des syndicats et de l’opinion progressiste, fait passer de mauvaises lois aux effets pervers.