Mgr Algermissen critique le concept de mort cérébrale : « Le discours doit être honnête »

Algermissen critique mort cérébrale
Mgr Heinz Josef Algermissen (© Stefan Krug)

 

Mgr Heinz Josef Algermissen, évêque émérite de Fulda en Allemagne, a publié jeudi dernier dans l’hebdomadaire catholique Die Tagespost une lettre de lecteur où il réclame une approche « honnête », sur tous les plans, du concept de « mort cérébrale ». Un patient qui fait l’objet d’un tel diagnostic, posé lorsque les instruments de mesure constatent, selon les critères en vigueur, l’absence d’activité cérébrale, est-il un « cadavre qui ressemble à un être humain vivant », ou plutôt « un condamné à mort » ? Il met ainsi le doigt sur une question grave : en utilisant le concept de mort cérébrale pour cesser tout traitement (les soins ordinaires que sont la nourriture et l’hydratation y compris) ou pour prélever des organes indispensables à la survie, on autorise en fait des mises à mort délibérées.

 

Mgr Algermissen : la mort cérébrale permet-elle de condamner à mort ?

La mort cérébrale, on le sait, est invoquée depuis les années 1960 pour justifier une nouvelle définition de la mort – qui a évolué dans le temps et varie selon les pays – permettant notamment de prélever des organes sur des personnes qui ne sont pas en état d’arrêt cardio-respiratoire. La vérification de cet état comporte des critères variables, eux aussi, et qui tendent à s’assouplir en vue de faciliter la récupération d’organes vitaux irrigués et oxygénés en vue de leur transplantation. Les patients donneurs sont-ils pourtant réellement morts lorsqu’ils sont dans cet état de « coma dépassé », comme on l’appelle aussi ? La question est d’importance et a déjà reçu dans les faits des réponses négatives, comme dans le cas de cette mère de famille américaine de 36 ans qui avait été déclarée en état de mort cérébrale et qui s’était réveillée au son de la voix de sa fille. En rapportant ce fait, Clémentaine Jallais citait en septembre dernier le Dr Heidi Klessig pour qui la mort cérébrale invoquée pour décréter la mort légale « est une fiction juridique qui prive de droits civils les personnes vulnérables atteintes de lésions cérébrales ».

Voici la traduction intégrale de la lettre de Mgr Algermissen.

 

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Le discours doit être honnête

 

C’est grâce à Rainer Beckmann et à son article Das Hirntod-Konzept auf dem Prüfstand (DT du 13 mars) [« Le concept de mort cérébrale sur la sellette »] que les questions ouvertes sur le concept de mort cérébrale ont été à nouveau abordées fin février dans le cadre d’une conférence de l’Université catholique de Washington. D’autant plus que le discours public, pour autant qu’il ait lieu, révèle généralement un faible niveau de connaissances, voire un refus de savoir et une indifférence.

Depuis les années 1970, le concept de « mort cérébrale » renvoie à l’avis partagé selon lequel la perte irréversible des fonctions cérébrales est synonyme de la mort chez l’être humain. Cependant, certaines questions doivent être soulevées et clarifiées : la personne en état de mort cérébrale se trouve dans un état de transition maintenu par des mesures externes de soins intensifs. Elle est empêchée d’achever son agonie. Cet état artificiel créé par les possibilités de la médecine intensive présente à la fois des caractéristiques de la vie, tels la régulation de la température et les mouvements réflexes, et des caractéristiques de la mort, ce qui rend si difficile la détermination de son statut ontologique et moral. S’agit-il donc vraiment d’un cadavre qui ressemble simplement à un être humain vivant ? Ou bien, un patient en état de mort cérébrale n’est-il pas plutôt un condamné à mort ? Ne faudrait-il pas abandonner le concept de mort cérébrale en tant que signe certain de la mort ? En effet, les recherches neurologiques suggèrent de ne pas attribuer au cerveau la fonction d’intégration de l’organisme entier. C’est au nom de cette attribution qu’on affichait comme plausible le fait de constater la mort en se fondant sur la perte irréversible de toutes les fonctions cérébrales.

Si nous admettons honnêtement que les organes sont prélevés sur des personnes en phase terminale de mort cérébrale et non pas après la survenue du décès, dont la mort cérébrale ne constitue plus un signe certain, alors la signification du don d’organes apparaît plus clairement : il s’agit d’un don qui est tout sauf évident, un « don généreux » (pape Jean-Paul II) que l’on ne peut exiger de personne, et que l’on peut seulement, à la rigueur, admirer.

Une transplantation d’organe n’est pas comparable à une réparation, où l’on remplace une pièce défectueuse. Un être humain n’a pas seulement un corps, il est ce corps imprégné d’esprit. Parler de telles questions exige d’être honnête.

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Mgr Algermissen pose le problème sous forme de question, notamment parce que Jean-Paul II est volontiers invoqué pour justifier le don d’organes, y compris d’organes vitaux prélevés « à cœur battant ». Celui-ci a déclaré en 2000, dans son discours au 18e Congrès international sur la transplantation d’organes : « On peut dire que le critère adopté récemment pour déclarer avec certitude la mort, c’est-à-dire la cessation complète et irréversible de toute activité cérébrale, s’il est rigoureusement appliqué, ne semble pas en conflit avec les éléments essentiels d’une anthropologie sérieuse. »

 

Où Mgr Algermissen demande une réévaluation honnête de la mort cérébrale

Le monde médical s’en était saisi pour affirmer que le pape approuvait le prélèvement d’organes vitaux dans le cadre de la mort cérébrale.

Pourtant, Jean-Paul II rappelait dans le même discours que « l’Eglise ne prend pas de décisions techniques », et qu’il fallait une « certitude morale » de la mort de la part de l’« agent de santé ayant la responsabilité professionnelle d’établir le moment de la mort ». Il affirmait également : « Les organes vitaux individuels dans le corps ne peuvent être prélevés qu’ex cadavere, c’est-à-dire du corps d’une personne dont on a la certitude qu’elle est cliniquement morte. Cette exigence est évidente, car agir autrement signifierait provoquer de façon intentionnelle la mort du donneur en prélevant ses organes. »

Ce discours exige une lecture critique, honnête, prenant en compte l’ensemble des prémisses, des analyses et des critères qu’il contient – on n’aboutit pas alors à une approbation des critères de la mort cérébrale. Les anglophones pourront prendre connaissance de cette étude de fond publiée par Doyen Nguyen, de l’Université pontificale Saint-Thomas d’Aquin, sur le site de l’Académie Jean-Paul II pour la vie humaine et la famille.

Il s’agit en effet de reconnaître que la mort est ce moment mystérieux où l’âme est séparée du corps : événement dont nous pouvons constater les signes, mais pas la survenue précise.

La mort cérébrale n’est pas ce « signe certain » que l’on a inventé pour des raisons utilitaristes. Encore un domaine où le mensonge semble s’être imposé à toute la société, et où la mise en lumière de la vérité est urgente !

 

Jeanne Smits