Alors que politiques et banquiers préparent la fin de l’argent liquide, l’Angleterre abandonne le papier monnaie en présentant son nouveau billet de cinq livres, un Churchill en plastique. Elle annonce aussi l’abandon du cinquante livres, sous prétexte qu’il est utilisé par les amateurs de fraude fiscale.
Chez nous, la fin annoncée du billet de cinq cent euros fait partie d’un mouvement général dans le monde qui tend à en finir avec l’argent liquide. Sous couleur de lutter contre l’évasion fiscale, les trafics et le crime organisé, le pouvoir, aidé par les banques, pourra ainsi fliquer en permanence le public grâce aux cartes à puce. La liberté se joue aussi dans le portefeuille. Au Royaume Uni cependant, le gouverneur général de la banque d’Angleterre, Mark Carney, a fort habilement assorti l’annonce du retrait progressif de la grosse coupure de cinquante livres d’une présentation en grande pompe du nouveau billet plastique à l’effigie de Winston Churchill, le légendaire premier ministre de la seconde guerre mondiale.
Pourquoi le billet plastique est supérieur à la monnaie de papier
L’argument technique est toujours agité avec profit. Selon Carney, le papier monnaie est cher parce qu’il ne dure pas longtemps, il se salit, se déchire, se perd dans les machines à laver (un détail qui parle à toutes les mères et toutes les épouses), il était temps de le remplacer par le billet plastique, qui dure au moins deux fois plus longtemps, se lave, ressort tout propre de la poche de jean où on l’avait oublié, etc. Le nouveau Churchill de cinq livres est une petite merveille qui permet à l’Angleterre de rejoindre le peloton des trente pays avancés qui sont déjà passés au billet de plastique, des détails qu’on ne vous dit pas le rendent pratiquement infalsifiable, c’est la bête noire des faux-monnayeurs.
Et ce n’est pas tout, sur les futures coupures de dix livres et de vingt livres, des inscriptions en braille permettront aux aveugles de s’y retrouver. Bref, le billet plastique, c’est à la fois le progrès, la morale et l’économie, en un mot, c’est le Bien. Il est donc naturel et souhaitable d’abandonner l’obsolète papier monnaie. Et comme, Mark Carney l’affirme, il n’y a « pas de projet » pour une version plastique du billet de 50 livres, celui-ci sera finalement abandonné. CQFD. Ca tombe bien, il était utile aux fraudeurs et aux malfrats. C’est la preuve que la technique et l’éthique marchent la main dans la main.
Célébrer l’Angleterre mais préparer la fin de l’argent liquide
Maintenant, le billet plastique peut fondre sous un coup de fer, coller dans une liasse au moment du paiement, ou finir par se fendiller si on ne le place pas bien à plat dans son portefeuille, ce qui fait qu’on ne sait pas du tout en fait s’il sera supérieur, à l’usage, au papier monnaie. Mais ce n’est pas grave, puisque son rôle politique et historique est d’être une étape dans la suppression de l’argent liquide.
Pour détourner l’attention de cette réalité fondamentale, Mark Carney s’est livré à un magnifique développement patriotique sur le nouveau billet de cinq livres : « La monnaie d’un pays est la mémoire d’un peuple (…) Nos billets sont des témoignages des réussites remarquables de nos grands hommes. Ce sont des monuments de notre mémoire collective ». Le Churchill sera une illustration, courant dans toutes les mains, de « l’histoire glorieuse de la Grande Bretagne ».
Il est probable que le gouverneur de la banque d’Angleterre est tout à fait sincère, et sa sincérité s’étend à l’usage de l’argent liquide, dont l’usage est resté « plutôt stable » selon lui ces cinq six dernières années en Angleterre : « L’argent liquide est incroyablement important, et les Britanniques l’utilisent chaque jour partout dans le pays. » N’empêche que le résultat pratique de cette débauche de déclarations est, un, la fin du papier monnaie, deux, le retrait du billet de cinquante livres.