Stratégie anti-RN : du Front républicain au mur d’argent

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Emmanuel Macron n’a jamais changé de stratégie : il s’efforce de cuisiner sans cesse une « omelette coupée aux deux bouts », comme le font centristes et socialistes depuis 1945, en rejetant les extrêmes, jadis communistes et gaullistes, aujourd’hui nouveau Front Populaire et RN. Depuis 2017 le chef de l’Etat suscite un front républicain contre l’extrême droite lors des grandes occasions et laisse prospérer une extrême gauche qu’il qualifie justement d’ubuesque afin d’attirer les conformistes avides de protection. Mais depuis les européennes, il n’est pas sûr que cela fonctionne encore. Le RN fait moins peur et l’alliance passée par Ciotti peut provoquer une majorité de droite, comme en 1958 (avec 36 % des voix il y eut un raz de marée gaulliste). Aussi le président, tout en encourageant un front sociétal (voir les footballeurs Thuram et M’Bappé) au secours du front républicain défaillant, a-t-il aussi recours… au bon vieux mur d’argent : la presse relève les incohérences du programme du RN, l’incompétence d’une équipe qui n’a pas l’habitude du pouvoir et mènerait au « décrochement économique ». Le quotidien les Echos est devenu plus terrible pour Jordan Bardella et les siens que Libération ou l’Humanité.

 

Chirac, le Front républicain et les boulistes de Montauban

Chirac avait montré la voie. En mars 2002, c’était un président failli, un soliveau qui n’avait rien fait de son quinquennat et traînait en plus des ribambelles de casseroles, que les médias surnommaient tranquillement super menteur, et qui, au premier tour de la présidentielle, alors qu’il était sortant, ne parvenait pas à rassembler 20 % des votants. Puis, par la magie du front républicain, par la grâce de Jean-Marie Le Pen, le soir de ce premier tour catastrophique, il devenait le sauveur de la République. Le monde de la culture chantait pour lui des marseillaises, le CRIF, l’Eglise qui est en France, les boulistes de Montauban, l’association des rescapés de l’amiante se ralliaient à son panache grisâtre. Macron a repris la recette. Et le Front républicain, cet inventaire à la Prévert, a bien fonctionné en 2017, un peu moins quand même en 2022, mais notre Machiavel de l’Elysée pensait avoir de la marge. Hélas pour lui, il y a eu un hic, un grain de sable dans la machine, le 7 octobre 2023. Et ça a tout changé.

 

Le 7 octobre, Mélenchon a dynamité la stratégie anti-RN

Pourquoi ? Parce que l’extrême-gauche révolutionnaire n’aime pas Israël et que Jean-Luc Mélenchon, influencé par son amoureuse beurrette, a imaginé de conquérir l’électorat de banlieue en soutenant à sa manière la cause palestinienne. Il a poussé le bouchon un peu loin. Soties et sorties avaient fait de ce vieil apparatchik socialiste un personnage bruyant et sentencieux qui finissait par passer pour rebelle, mais la filière des petites arabes l’a érigé en antisémite de service. Comme de son côté, Marine Le Pen avait mené sa dédiabolisation (elle n’a pas sur la question juive et le détail les opinions de son père), le RN ne tient plus son rôle d’épouvantail, et le barrage d’une partie de l’opinion publique se fait contre LFI, donc le Nouveau Front Populaire. Par un renversement renversant, c’est le RN qui sert de rempart. L’avocat Gilles William Goldnadel préfère le RN à LFI, Alain Finkielkraut a déclaré au Point : « La volonté d’exclure le Rassemblement national de l’arc républicain est absurde. On ne peut jouer éternellement la carte de la peste brune ni marquer du sceau de l’infamie xénophobe l’angoisse existentielle d’une majorité de Français devant la pression migratoire. » Serge Klarsfeld a choisi le RN contre LFI.

 

Le RN, rempart contre le Front Populaire et Macron ?

C’est bien embêtant pour Emmanuel Macron. Si le RN est un rempart, il n’est plus nécessaire de dresser un rempart contre le RN, et le président n’a plus d’existence politique. Heureusement pour lui qu’il reste de solides francs-maçons du genre Xavier Bertrand pour continuer à jouer au front républicain. Et l’ancien président François Hollande qui reprend du service en Corrèze, à son plus haut niveau de compétence. Et l’ancien Premier ministre Lionel Jospin, celui-là même qui avait avoué que le « danger fasciste » agité par la gauche était une foutaise, qui ranime la flamme tremblotante de l’union contre l’extrême droite. Heureusement qu’il y a les cultureux, mais ils ne pèsent plus grand chose. Heureusement qu’il y a les footballeurs, mais même comme ça, le président n’est pas sûr d’y arriver. Alors il a actionné la presse économique, et les hebdomadaires bourgeois, le Point, l’Express pour qu’ils jouent le grand air de l’économie en danger. Faut voir comme ils arrangent le pauvre Jordan. Son programme n’est ni fait ni à faire. Il est contradictoire, inapplicable. D’ailleurs il y renonce déjà. Quel démagogue !

 

Un mur d’argent en carton-pâte pour pousser le RN vers la droite

L’argument pourrait séduire dans la bouche d’un Raymond Barre. Mais voyons, qui s’est succédé depuis 45 ans au pouvoir ? Avec quelles promesses ? Quels programmes ? Quels résultats ? Depuis les 101 propositions de Mitterrand, elle a sacrément morflé, l’économie française. Regardez son rang dans le monde. Regardez la pauvreté croissante. La dette publique. La dépense publique. Les prélèvements obligatoires. Le casse-tête jamais résolu des retraites. La baisse relative de productivité par rapport aux Etats-Unis. La faillite de l’Education nationale. Celle de la recherche. L’état de l’industrie, en particulier nucléaire. Et ils disent craindre une incompétence ! Et ils redoutent un décrochage économique ! Ils n’ont pas froid aux yeux. Et les Echos reprennent cette ritournelle ! Ce nouveau mur d’argent est en carton recyclé ! De mon temps les deux cents familles parvenaient au moins à paraître sérieuses. Aujourd’hui, elles ne sont plus qu’une force supplétive dans le grand guignol qui nous tient lieu de politique. Depuis que l’argument moral ne fonctionne plus, la peur du décrochement économique reste la dernière cartouche d’un pouvoir aux abois. En forçant le RN à abandonner ses propositions les plus gauchistes, il tente de le détacher des pauvres pour faire remonter le Nouveau Front Populaire et régner ainsi sur le chaos.

 

Pauline Mille