C’est la troisième modification des lois sur l’avortement depuis l’arrivée au pouvoir de François Hollande. Dans un des rares domaines où la France n’est pas soumise à la réglementation européenne – les lois sur l’avortement demeurent de la compétence des Etats membres de l’UE – le pouvoir a fait de la banalisation absolue de l’« IVG » une priorité de fait. Les députés ont supprimé le délai de réflexion de 7 jours pour obtenir un avortement légal, rejetant par 40 voix contre 22 les amendements de l’UMP, de l’UDI et FN visant à rétablir ce que la commission avait adopté dès le 19 mars. Ils ont aussi autorisé les médecins à pratiquer des avortements chirurgicaux dans les centres de santé, et les sages-femmes à pratiquer les « IVG » par RU 486, alors que 57 % des avortements se font aujourd’hui par voie médicamenteuse.
L’objectif de ces mesures est double.
D’une part, il s’agit de faciliter l’accès à l’avortement alors que le délai légal d’une semaine, encadré par deux rendez-vous chez le médecin, fait qu’il s’écoule en moyenne deux à trois semaines entre la découverte d’une grossesse « non désirée » et le passage à l’acte. Ce délai était déjà ramené à deux jours pour les femmes qui risquaient de dépasser le délai légal de 12 semaines de gestation – lui-même augmenté de deux semaines par les lois Aubry en 2001.
Les avortements chirurgicaux et par RU486 accessibles en centre de soins ou chez la sage-femme
On n’en finit pas d’agir pour que l’avortement soit de plus en plus simple à obtenir… Il faut noter que Marisol Touraine, ministre de la Santé, a favorisé tous les amendements allant en ce sens, au nom du gouvernement.
L’un des effets de la disparition du délai de réflexion sera d’ailleurs de limiter encore davantage les avortements chirurgicaux, seuls autorisés en France au-delà de 7 semaines de gestation, le recours au RU 486 étant considéré comme risqué, passé ce délai. Or les avortements chimiques, s’ils sont profondément traumatisants pour les femmes qui avalent les pilules abortives sous contrôle médical mais qui vivent en direct l’expulsion de leur tout-petit chez elles, souvent seules, sont aussi bien plus faciles d’accès. Et le seront encore davantage dès lors que les sages-femmes pourront délivrer les pilules mortelles, véritable « pesticide anti-humain » comme les qualifiait le Pr Jérôme Lejeune.
D’autre part, les dispositions votées ou maintenues par l’Assemblée nationale dans la droite ligne de la commission contribuent toutes à banaliser l’avortement, à le « normaliser ». C’est-à-dire à en faire un acte médical (qu’il n’est pas, puisqu’il ne vise ni à soigner ni à guérir, mais à mettre fin à un processus sain qui se déroule normalement) comme un autre. Mais remboursé à 100 % par la collectivité alors qu’il résulte d’un choix individuel de la femme – même s’il est établi que ce « choix » est souvent imposé par le père de l’enfant, par l’entourage ou par la pression sociale.
L’IVG est un droit : pourquoi imposer un délai de réflexion ?
Tout cela relève de la logique de la résolution parlementaire adoptée à la fin de 2014 pour affirmer que l’IVG est un « droit fondamental » de la femme : dénuée de portée pratique en elle-même, elle produit néanmoins ses effets alors que toutes les nouvelles mesures qui réglementent cet acte contribuent à faire de plus en plus de l’avortement un droit indiscutable.
Les tenants de la suppression du délai de réflexion ont balayé les arguments de l’UMP accusant la gauche de vouloir « détricoter la loi Veil » avec sa logique plus restrictive qui entend faire de l’avortement une exception. Ces arguments ne manquent pas d’hypocrisie : c’est dès son adoption que la loi Veil a permis la réalisation de quelque 200.000 avortements chaque année, bon an, mal an si l’on ose dire, ses restrictions étant de pure forme et nombre d’entre elles n’ayant d’ailleurs jamais été mises en œuvre. Si l’opposition parlementaire a choisi cette tactique, c’est qu’il est impossible aujourd’hui de se dire opposé à l’« IVG » en tant que telle : réclamer l’abrogation de la loi Veil (et de ses successives aggravations) fait du politique un dangereux ovni extrémiste. Alors, dans un chœur quasi unanime, ils justifient l’avortement légal tel que l’a voulu la loi Veil et abandonnent par le fait même toute cohérence.
A gauche, on insiste pour dire que la loi Veil n’est pas trahie, au contraire : ses garde-fous, ses restrictions n’avaient qu’un rôle tactique, elle « représentait un équilibre dans un contexte donné mais n’a pas vocation à être figée pour l’éternité », a déclaré Marisol Touraine devant les députés : « La société a évolué. La relation à l’IVG ne s’est pas banalisée, elle s’est normalisée. Une femme qui a pris sa décision n’a pas besoin de temps. »
L’Assemblée nationale supprime le délai de réflexion, pas la douleur et le regret
« Infantilisation », « culpabilisation », les mots n’ont pas manqué pour dénoncer la volonté de députés – en majorité des hommes, soulignent les élus PS – qui ont voulu rétablir le fameux délai de réflexion.
L’avortement est pourtant un acte sans retour, choisi dans une situation difficile et sous la pression d’un contexte qui pourrait être perçu différemment par la candidate à l’« IVG », surtout si elle obtenait (comme le prévoyait la loi Veil sans jamais avoir été mise en œuvre sur ce plan), aide, conseil, assistance, soutien. Mais la notion de « détresse » qui était censée justifier l’avortement a déjà était extirpée de la loi. En 2015, on n’avorte plus par détresse ou par désespoir, mais en exerçant son droit absolu… de vie ou de mort.
Pour autant, les nouvelles dispositions voulues par Marisol Touraine, la gauche, l’extrême gauche, les écologistes et une partie de la droite n’en révèlent pas moins leur propre paradoxe. Une femme n’a pas besoin de réfléchir parce que sa décision est prise, qu’elle est un droit et qu’elle est donc un bien, disent-ils en substance. Mais pour dénoncer la volonté de rétablir le délai de réflexion, ils sont les premiers à affirmer que ces sept jours d’attente sont pour beaucoup de femmes un « calvaire ». C’est le titre d’un article du Monde qui démarre sur ces mots : « Une “ punition ”, une “ humiliation ”, une “ torture ” », rapportant ce qui ressort des témoignages de quelque 70 femmes sur la manière dont elles ont vécu cette attente.
Pas si banal que ça, l’avortement. La nouvelle « norme » n’a pas encore eu raison du réel. D’ailleurs l’article du Monde s’achève sur le témoignage de deux femmes (sur 70 !) qui ont décidé de garder leur enfant grâce au délai de réflexion. « Si j’avais agi dans l’urgence, je le regretterais encore aujourd’hui », dit l’une. « J’ai maintenant une magnifique petite fille », dit l’autre.
En supprimant le délai de réflexion, l’Assemblée ne protège pas les femmes qui avortent de la culpabilisation, elle les propulse vers un avenir souvent fait de regrets, de regrets silencieux et de plus en plus interdits.
Anne Dolhein