Après le cinquantième anniversaire de la Loi Veil, le Sénat vient d’adopter une proposition de loi de l’ancien ministre socialiste des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes, Laurence Rossignol, visant à « réhabiliter » les femmes condamnées pour avoir avorté avant la loi Veil qui dépénalisa l’avortement et inventa le mot IVG. Pour Laurence Rossignol, c’est d’abord une « démarche mémorielle après des décennies de honte et de silence ». Mais il s’agit aussi, explicitement, de criminaliser le droit qui a permis la condamnation des avortées : « C’est une façon de dire que la honte doit changer de camp, que ces législations étaient criminelles. » Voilà qui est clair. Et ce qui est tout aussi clair, c’est que le Sénat, qui se prétend de droite, et que tout le monde classe à droite, a voté la loi, en attendant de la transmettre à l’Assemblée nationale. Cela donne la preuve que, sur les sujets dits sociétaux, les majorités sont aujourd’hui transpartisanes. En d’autres mots, et en bon français, la maçonnerie diabolise deux mille ans de christianisme et vingt-cinq siècles de droit romain pour couronner le triomphe du droit à l’avortement, dont l’inscription dans la Constitution était l’avant-dernier succès.
Le Sénat unanime en faveur de l’avortement
Dans le détail, c’est encore plus flagrant. Le texte du groupe socialiste, adopté à l’unanimité en première lecture et soutenu par le gouvernement, veut faire reconnaître à l’Etat les souffrances des femmes condamnées en vertu de lois attentatoires à leur liberté et dangereuses. L’Etat devra reconnaître que les lois en vigueur avant 1975 ont constitué « une atteinte à la protection de la santé des femmes, à l’autonomie sexuelle et reproductive » et « aux droits des femmes », et qu’elles ont conduit à « de nombreux décès », sans compter les « souffrances physiques et morales ». Pour le Sénat, il n’y a pas le moindre doute, les avortées, leurs maris ou compagnons, les services sociaux, n’ont pas la moindre responsabilité : les seuls coupables, sont les anciennes lois, l’ancien droit. Celui qui régit la France depuis vingt siècles. Et, comme le note notre confrère Le Monde, l’alliance de la droite et des centristes qui tordit longtemps le nez devant la constitutionnalisation de l’IVG se trouve aujourd’hui « totalement alignée sur cette initiative ».
De la loi Veil à l’adoration du droit à l’avortement
Ce projet de loi ne sort pas de nulle part. Au mois de janvier est paru dans Libération un appel qui demandait la réhabilitation des fautives et la diabolisation de la loi. Parmi les signataires, l’inévitable prix Nobel de littérature Annie Ernaux, deux comédiennes de second rang, Anna Mouglalis, Laure Calamy, et la présidente de la Fondation des femmes Anne-Cécile Mailfert qui approuve la proposition de loi : « On parle de plus de onze mille personnes condamnées, c’est essentiel de pouvoir les réhabiliter, de leur dire “On n’aurait jamais dû vous condamner pour avoir exercé votre liberté”. » Une pétition de ladite Fondation des femmes demandait d’ailleurs de « réparer une injustice historique ». Suzy Rojtman, porte-parole du Collectif national pour les droits des femmes, s’est elle aussi frottée les mains : « C’est un très bon signal : à l’heure où une sage-femme vient d’être arrêtée au Texas pour avoir pratiqué des avortements, la France va exactement dans le sens inverse. » Tout est bon pour chasser le grand méchant Trump. Et pour Sarah Durocher, présidente du Planning familial, cela va « rendre un peu de dignité » aux femmes « qui ont vécu dans le silence ».
Criminaliser le droit ancien c’est nier l’histoire
La fonction symbolique (on n’ose écrire eschatologique) de cette loi est proclamée. Le coq français, malmené en Afrique, bafoué par Trump et Poutine en Ukraine, bientôt surclassé militairement par l’Allemagne qu’il a lui-même poussé à réarmer sur fond d’Ukraine, retrouve sa fonction de phare moral du monde : « Alors que la défense du droit à l’avortement est remise en cause dans le monde, il faut dire au monde entier qu’il y a des pays qui ne plient pas », a proclamé Laurence Rossignol. La boucle est en effet bouclée. Avec sa loi, Simone Veil prétendait en 1975 parer à des « situations de détresse », puis, le lobby de l’avortement a imposé le remboursement de l’IVG par la Sécurité sociale, la proclamation du « droit à l’avortement », et enfin son inscription dans la Constitution sous Emmanuel Macron : il était logique, naturel, inévitable que le droit précédent ce mouvement soit à la fin criminalisé. Ce qui était interdit est célébré, ce qui était mal est devenu bien, et l’ancien droit est renommé crime. Ainsi le veut la révolution arc-en-ciel. Et tant pis pour le côté ridicule, irrationnel et pour ainsi dire magique de la chose : si criminaliser la loi punissant l’avortement est condamnable pour un chrétien, criminaliser toute loi rétrospectivement revient à nier l’histoire, ses contextes, la diversité des lois. C’est une sorte de vaudou franc maçon.