Une table portant une presse vieille de deux siècles pour marquer le sceau qui allait solenniser l’inscription de la liberté d’accéder à l’« IVG » servait d’autel sur la place Vendôme, vendredi matin, protégé par un dais décoré d’images hautes et étroites de promotrices historiques de l’avortement légalisé comme autant de niches avec leurs « saintes » laïques… L’assistance officielle, truffée de ministres, de stars, de militantes féministes lui faisaient face comme pour un rituel dans un sanctuaire religieux, avec ses rangées de chaises et ses travées. Au fond, derrière des barrières ménageant un large espace de sécurité, quelques centaines de gens ordinaires étaient venus assister à l’événement voulu par Emmanuel Macron pour marquer doublement cette consécration : par son caractère public et accessible, et par le choix du 8 mars, Journée internationale de la femme dont la date a été officialisée par Lénine dès 1921 pour commémorer la grève ouvrière et la manifestation de femmes russes à Petrograd pour réclamer « du pain et la paix » ce jour-là quatre ans plus tôt, l’un des premiers actes de la révolution bolchevique..
Une assistance finalement assez clairsemée malgré le temps radieux dont jouissait Paris, vendredi, laisse planer le doute sur le prétendu soutien ultra-majoritaire et populaire à cette mesure faisant de l’avortement un tabou auquel il est désormais interdit de toucher. Le sourire macabre de Macron, incapable de contenir sa joie mauvaise au moment de la Marseillaise interprétée par Catherine Ringer, révélait à quel point ce moment était à ses yeux crucial. La chanteuse des Rita Mitsouko était accompagnée en sourdine par des membres du Chœur de l’armée française. Avaient-ils eu droit à la l’objection de conscience ?
Le scellement de la liberté de recourir à l’IVG mis en scène comme un rite religieux
En douze minutes de discours, grandiloquent et boursouflé, Emmanuel Macron a lui aussi accentué le caractère quasi-religieux de ce scellement novateur par le choix d’un vocabulaire aux relents liturgiques. Lui qui venait de gratifier d’une longue accolade l’une des signataires, la diplomate Claudine Monteil, présente sur l’estrade, du « Manifeste des 353 salopes » rassemblant en 1971 des femmes du monde de la politique, des arts et du show-biz revendiquant leur propre avortement clandestin, a parlé de « lumière » : « Destin de Catherine, Marceline, Bernadette, de ces trois cent quarante-trois qui osèrent à la une du Nouvel Observateur donner un peu de leur lumière à toutes celles qui avaient trop longtemps vécu dans l’ombre de la honte. »
Toutes ces militantes du droit de tuer l’enfant à naître « arrachèrent leurs droits à l’armure étouffante du patriarcat » en luttant à la fois pour le droit de vite et le droit d’avorter, poursuivit Macron, qui revendiqua s’être engagé avec « humilité » dans « les pas de ces combattantes ».
Il a parlé de ceux qui ont « porté cette espérance » de l’inscription de l’avortement dans la Constitution, « peut-être aussi grâce à ces jeunes Françaises qui ont parfois converti le regard d’un père, d’un oncle, changer un vote »…
La Constitution amendée au terme d’une « conversion »
« Aujourd’hui, ces militantes des droits des femmes se souviennent peut-être du premier jour de leur engagement pour le droit à l’avortement », dit Macron ; comme s’il s’était agi d’une sorte de première communion. Et d’ajouter, aussitôt, pour qu’on ne doute pas de ce qu’il s’agit véritablement d’un acte religieux : « C’était un drame qu’elles ont lu, la violence qu’elles ont vécue, une vie meurtrie dont elles ont entendu l’écho. Une conversation devenue conversion. Et pour toujours. »
Convertis, conversion : on abandonne les vieilles croyances pour se tourner vers la nouvelle divinité qui ne donne pas sa vie pour l’homme, mais exige le sacrifice des tout-petits.
Pour Macron, les « faiseuses d’anges » d’alors « sont aujourd’hui devenues des faiseuses de possible, de liberté, d’espérance » : l’IVG, voyez-vous, permet aux femmes de « choisir de vivre ». En choisissant la mort…
Mais ce n’était pas encore assez. Emmanuel Macron a achevé son discours avec ces mots : « Oui, Marianne, notre Marianne est cette femme libre qui tous nous représente. Et nous oblige, en mémoire pour nos mères, et leur bataille en viatique pour nos filles et leur liberté. Et tous, lorsque le droit à l’avortement sera devenu enfin universel, nous nous souviendrons : tout a commencé ce jour-là, ce huit mars deux mille vingt-quatre, où la France a été grande parce qu’elle a voulu l’être pour toutes les femmes, universellement. Alors merci. »
Un droit religieux et « universel » à l’IVG scellé dans la Constitution
Qu’est-ce que le viatique, sinon la sainte communion portée à un mourant, au moment où il a la possibilité l’obtenir la rémission de toutes ses fautes ? Une fois de plus, c’est l’horrible inversion, la mort qui vient se substituer à la vie, l’universalité de la vérité odieusement singée pour en faire une loi portant au pinacle un acte qui coupe de la grâce en même temps qu’il plonge les femmes qui le subissent dans des drames qui les marque souvent à vie.
Emmanuel Macron a annoncé au cours de son allocution qu’il entendait œuvrer à l’inscription de cette « liberté garantie de recourir à l’interruption volontaire de grossesse dans la charte des droits fondamentaux de l’Europe », et même au-delà, « pour que ce droit devienne universel et effectif ». Elle a vite disparu, l’hypocrite mention d’une « liberté » plutôt que d’un « droit ». Et Macron a même lâché : « La France est devenue aujourd’hui le seul pays au monde dont la Constitution protège explicitement le droit à l’interruption volontaire de grossesse en toutes circonstances, et nous ne trouverons le repos que lorsque cette promesse sera tenue partout dans le monde. »
« En toutes circonstances » ? C’est-à-dire sans limites et sans conditions ? Dans l’esprit de Macron, c’est bien ça. Et cela explique et éclaire son rictus satisfait lorsque Catherine Ringer, modifiant les paroles déjà sanglantes de la Marseillaise, a chanté : « Aux armes citoyens, citoyennes, Formons nos bataillons, Marchons, chantons, cette loi pure dans la Constitution. »
La pureté, cette vertu oubliée et aujourd’hui diaboliquement travestie…