Barnier et Hamilton : l’Europe et le budget, quoi qu’il en coûte

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Les commentaires politiques en France depuis le 7 juillet ressortissent moins à l’analyse sérieuse qu’à ce qu’on appelle en Amérique Infotainment, c’est-à-dire le divertissement du public par l’information. Les uns donnent dans le genre Voici en découvrant les coulisses de la nomination de Michel Barnier à Matignon et le secret de ses consultations, les autres parlent de dénis de démocratie divers, de motion de censure, de Mélenchon et de Le Pen. Mais pas un ne se demande pourquoi Macron, l’homme du Quoi qu’il en coûte face au covid et la guerre en Ukraine, a choisi un Premier ministre inconditionnel de l’Europe de Bruxelles, réputé de droite et soucieux de l’argent public. C’est que personne ne prend la peine de se souvenir d’Alexandre Hamilton, personnage influent aux Etats-Unis d’Amérique à la fin du XVIIIème siècle.

 

Barnier, transpartisan de naissance et nourri au biberon de l’Europe

Nos lecteurs savent que Michel Barnier, qui fit ses premières armes sous Pompidou, a conservé depuis, sous l’étiquette gaulliste propre à rassurer les Français, un attachement fanatique à l’Europe de Bruxelles – aussi bien quand il était ministre que commissaire européen et négociateur du Brexit. Or son Europe n’est pas l’Europe de Charlemagne, mais celle d’un Monnet ou d’un Soros, ouverte sur le monde : Barnier a été invité par le Bilderberger Group. Ce grand flandrin proche de la Nouvelle Société de Chaban-Delmas à ses débuts et du style jeune giscardien alors, n’a jamais brillé à Paris. En revanche, à Albertville où il a organisé en 1992 des jeux olympiques d’hiver, Mitterrand étant président, il a gardé la réputation d’un homme de dossiers, sérieux, courtois, non politique. Traduisons : s’il est resté fidèle à son étiquette gaulliste, c’est qu’aucune conviction de parti ne lui importait, pas plus que les controverses qui font la vie politique de la nation parce que son lieu d’action et de réflexion n’est pas la nation : il était transpartisan pour ainsi dire de naissance, parce que c’est un élu local et un acteur supranational. Comme le recommande la pensée mondialiste, il vit local et pense global.

 

Un budget quoi qu’il en coûte ouvert à toutes les subventions

C’est aussi, par les fonctions qu’il a occupées, un as des financements croisés, et, disciple plus concret d’Edgar Morin et du Tao qu’Emmanuel Macron, il a l’esprit de la vallée, il laisse venir à lui les suggestions et les subventions de tous les bassins versants. Il a bâti ses JO en évitant toutes les questions propres à la nation, attaché à la Haute Savoie et à Bruxelles, sujet de l’empire exemplaire, mendiant global se faisant une clientèle locale avec la manne de Bruxelles. En somme un grand commis du mondialisme. C’est cela qu’Emmanuel Macron a installé à Matignon pour faire la politique de l’Europe de Bruxelles et plus si affinité. Alors on va me dire, oui mais, si tant est que Barnier ne soit pas censuré d’entrée, il va devoir écrire un budget, et cela ne va pas être de la tarte. D’abord parce que Macron a indisposé tout le monde, et que le peuple est prêt à descendre dans la rue, persuadé qu’il a droit à beaucoup plus d’argent et de considération. Même s’il était plus sage, d’ailleurs, le RN et le NFP le pousseraient à réclamer. Et puis il y a les finances publiques, que Le Maire, l’homme trop intelligent, a bien amochées, avec une dette astronomique et un déficit budgétaire qui a filé à 5 % et des bananes, beaucoup plus que ce qu’autorise l’Europe de Bruxelles avec ses fameux critères dits « de Maastricht » !

 

Coincé par Bruxelles, le RN et le NFP : la solution Hamilton

Comment va donc pouvoir faire ce pauvre Barnier ? Ce n’est pas sa tête de chouchou du prof ni les copains qu’il a pu se faire à Bruxelles qui vont lui sauver la mise. Non. Mais la question ne se pose pas comme cela. La question est double : que lui demandent ses maîtres « d’en haut » et que réclament les Français « d’en bas », pour reprendre son vocabulaire. François Hollande ne connaît pas les derniers, qu’il appelle les « sans dents », mais, tout requinqué qu’il est, comme un escargot par la pluie de vacuité tombée cet été, il a bien exposé le problème des premiers en vantant son bilan financier : « J’ai réduit les déficits » rappelle-t-il tout fiérot en omettant de préciser qu’il avait en même temps considérablement alourdi la dette durant son septennat. C’est toute la subtilité des critères de Maastricht en même temps que la politique d’intégration par la dette. Et c’est ici qu’il faut rappeler qui était Alexandre Hamilton.

 

Plus il en coûte mieux c’est pour Hamilton et l’Europe

Alexandre Hamilton fut un militaire et homme politique américain qui a beaucoup pesé entre 1787 et sa mort en 1804. Il eut une grande influence sur la première assemblée constituante américaine et fut le premier secrétaire du Trésor. Progressiste, fédéraliste, c’est-à-dire visant à limiter l’autonomie des Etats fédérés pour augmenter le pouvoir de l’Etat fédéral, partisan d’une augmentation des impôts et taxes, il a donné la garantie de l’Etat fédéral aux dettes des Etats fédérés pour avoir barre sur eux et les fondre dans le moule fédéral, créant ainsi une dette fédérale, moyen d’intégration fédérale. Les Anglo-Saxons nomment moment hamiltonien, en souvenir de cet Hamilton, le moment où plusieurs Etats mettent leur dette en commun pour s’abandonner à l’Etat fédéral qu’ils créent ainsi. C’est le modèle que suit aujourd’hui l’Europe fédéraliste depuis que son rêve de faire dette commune, longtemps combattu par la réalité, a commencé à prendre forme avec les énormes dépenses publiques qu’a engendrées la gestion du covid. Le quoi qu’il en coûte, caricatural en France, a frappé toute l’Europe, aggravant volontairement un endettement déjà fort : ce qui était, en paroles, condamné par les grands argentiers, était, en pratique, encouragé par les politiques.

 

Les critères de Maastricht servent à construire l’Europe par la dette

C’est là qu’il faut se demander à quoi servent les critères de Maastricht. Dits « de convergence », ils sont quatre : la maîtrise de l’inflation, la stabilité des taux de change et la convergence des taux d’intérêt sont devenues obsolètes en zone euro, restent les plus connus qui fixent une valeur maximum, calculée en pourcentage du Produit intérieur brut (PIB) au déficit budgétaire et à la dette de chaque Etat membre. A quoi servent-ils ? Réponse immédiate : à punir celui qui ne les respecte pas, par des amendes, des admonestations, ou, s’il est faible, comme la Grèce, à le mettre en tutelle. La France a dépassé plusieurs fois les valeurs maximales sans trop de sanctions. Or, que constate-t-on : que ces critères et les sanctions liées n’empêchent pas les Etats membres, même quand ils réduisent un peu leur déficit budgétaire comme l’a fait François Hollande, de creuser toujours plus une dette excessive qui les lie entre eux et les asservit à leurs prêteurs. Tel est le souhait de l’Europe de Bruxelles, dont les nations indépendantes sont les ennemies. Les critères de Maastricht ne sont pas les critères d’une économie saine mais, comme leur nom l’indique, les critères de convergence d’économies asservies : c’est un instrument d’ingénierie financière comme il y a des instruments d’ingénierie sociale.

 

Barnier ton budget c’est tout bon si ça rime avec Hamilton

On voit par là que Michel Barnier sera autorisé à faire du déficit, si c’est un bon déficit, s’il ne s’oppose pas à l’Europe de Bruxelles et à ses objectifs. S’il agit dans la logique d’Hamilton, comme Macron l’a fait avec son traitement social quoi qu’il en coûte du covid, comme l’Europe en prend le chemin par ses investissements d’armement face à la guerre en Ukraine (et l’on voit par là que Donald Trump, en demandant à l’Europe de pousser ses budgets militaires, ne s’oppose nullement à la doctrine d’Hamilton). C’est ainsi par exemple que, pour résoudre le problème politique que posent le NFP et le RN, Barnier sera autorisé fort probablement à amodier la réforme des retraites, et à relever le SMIC. Pour qu’il préserve l’essentiel du programme euro mondialiste, ses maîtres lui donneront un peu de mou financier pour lâcher du lest social. Et peut-être même un moratoire côté immigration, quitte à rouvrir les vannes un peu plus tard. La NEP n’a pas empêché l’URSS d’avancer, et les quelques facilités laissées à Barnier par Bruxelles et l’Europe pour établir son budget ne tueront pas le projet fédéral. Elles gêneront peut-être les petits patrons, mais tout le monde s’en fiche : l’avenir, c’est l’intelligence artificielle, le revenu universel, l’Europe sur le modèle Hamilton, le monde unifié par Hamilton.

 

Pauline Mille