La fin de l’assouplissement quantitatif de la BCE peut faire exploser la bombe de la dette italienne… et l’euro

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Alerte rouge sur les finances italiennes. La banque HSBC estime que le redressement économique de l’Italie est plus faible qu’annoncé et que le pays risque un grave choc financier quand la Banque centrale européenne réduira fortement ses rachats de dette italienne. L’assouplissement quantitatif mené par la BCE – une création monétaire massive par rachat d’emprunts – a fait merveille. Il a épongé la moitié du montant brut des emprunts italiens, diminuant ses taux d’intérêt d’au moins 100 points de base (soit un point de pourcentage). Mais il n’a en rien changé les pathologies chroniques d’un pays dont la stabilité politique se détériore et qui menace la pérennité de l’euro. C’est une bombe prête à exploser, avec des répercussions prévisibles sur la politique italienne.
 

Comment la BCE va peser sur l’avenir politique de l’Italie

 
Fabio Balboni, économiste de HSBC et ancien expert pour le Trésor britannique lors de la crise des dettes européennes, interrogé par le Daily Telegraph, est pessimiste : « La fin de l’assouplissement quantitatif constitue une sérieuse menace pour l’Italie. Quand la BCE se retirera, le pays devra trouver de nouveaux acheteurs sur marge pour ses bons souverains. Et ce ne sera pas facile. »
 
Or l’Italie devra refinancer sa dette à hauteur de 17 % de son PIB l’année prochaine (environ 15 % pour la France), un des ratios les plus élevés au monde, alors qu’on ne voit aucun acheteur sérieux prendre la relève. Les banques italiennes et les fonds étrangers ont jusqu’ici été systématiquement vendeurs. La question centrale est : quels taux l’Italie devra-t-elle offrir alors que la dette nette de la Banque d’Italie auprès de la BCE atteint 432 milliards d’euros ? La BCE doit réduire de moitié le rythme de son assouplissement quantitatif en janvier, de 60 à 30 milliards d’euros par mois. Au moment même où l’Italie entre dans une période électorale explosive.
 

A droite et à gauche, des forces opposées à l’euro : M5S, Forza italia, Lega Nord

 
Au plan politique, en effet, le parti social-démocrate PD (Partito democratico) de Matteo Renzi, auquel appartient l’actuel président du Conseil Paolo Gentiloni, a plongé à 24 % dans les sondages, cédant le pas à des partis qualifiés de « populistes » par les médias dominants, nationalistes de droite ou souverainistes antilibéraux de gauche. A gauche, le Mouvement Cinq Etoiles (M5S) de Beppe Grillo, qui affiche 5 points de plus que le PD, exige un référendum sur l’appartenance à l’euro si l’Allemagne refuse la mutualisation des dettes. A droite, le parti de Silvio Berlusconi Forza Italia remonte, exigeant la restauration de la « souveraineté monétaire » avec une devise parallèle pour les échanges intérieurs et les impôts. Forza Italia pourrait ajouter ses forces à celles de la Lega Nord de Matteo Salvini (à 15 % d’intentions de vote) qui confiait au Daily Telegraph que l’euro – et sa surévaluation massive pour les économies du Sud – était « un crime contre l’humanité ». Ces élections législatives du printemps prochain pourraient porter au parlement trois blocs incapables de constituer une majorité stable « et de faire passer des réformes importantes », commente HSBC.
 

Le rebond cyclique n’a pas fait baisser la dette publique italienne : 132% du PIB

 
Certes pour l’instant la zone euro a retrouvé le chemin de la croissance. Le rebond cyclique a permis à l’Italie de s’extraire d’une dépression économique pire que celle des années 1930. Pour autant, le pays conserve un taux de dette publique sur le PIB de 132 %, mettant à rude épreuve un pays privé de banque centrale et de souveraineté monétaire. Et cela alors que le resserrement monétaire s’annonce : le FMI vient de relever que l’Europe a davantage contribué au commerce mondial l’an dernier que les Etats-Unis et la Chine réunis, et que dans les pays du nord de l’Europe les entreprises ont atteint leurs limites de capacités.
 
Le problème est que le montant des emprunts toxiques logés dans les banques de la zone euro atteint mille milliards d’euros et que le niveau d’endettement des Etats les plus faibles est bien plus élevé qu’avant la crise de 2008, ce qui augmentera leur difficulté à payer leurs intérêts. « Dans de nombreux Etats européens, le manque de convergence salariale couplé avec un taux élevé de chômage pourrait menacer l’union monétaire », estime le FMI.
 

La fin de l’assouplissement quantitatif : une bombe qui attend d’exploser

 
Ce qui inquiète le FMI, c’est l’éventualité d’un « choc asymétrique » qui frapperait un pays ou un groupe de pays de l’Union monétaire. L’union bancaire n’est pas terminée, et elle manque encore d’un véritable filet de sécurité pour éviter l’effondrement qui faillit emporter l’euro en 2012. Le FMI suggère timidement la création d’une « capacité fiscale centrale » pour stabiliser l’ensemble. Mais ses cerveaux doutent que l’Allemagne accepte une véritable union fiscale. Même s’il existe un fonds de secours européen (l’ESM), ses conditions d’activation sont tellement draconiennes qu’aucun Etat ne souhaite l’activer sauf cas extrême.
 
L’Italie est à l’évidence le maillon faible, plus que ne l’a été la Grèce en raison du poids de son économie dans la zone euro : le PIB de l’Italie (1.850 milliards d’euros) est neuf fois plus important que celui de la Grèce (194 mds euros). Son économie est lestée d’une dette d’entreprises « zombies » considérable : 19 % du capital investi est noyé dans des sociétés improductives, taux le plus élevé des pays de l’OCDE (6 % en France). L’assouplissement quantitatif a eu tendance à faire oublier tout cela et à masquer le fait qu’un taux de déficit public de 3 %, objectif du gouvernement en haut de cycle, sera essentiellement dû à l’action de la BCE. « Le risque est que tout cela soit brutalement dévoilé dès que tombera le bouclier de la BCE », commente Ambrose Evans-Pritchard dans le Telegraph.
 

Matthieu Lenoir