Le propos a été prononcé au terme des deux jours des Etats généraux du christianisme, organisés par La Vie, qui se sont tenus en fin de semaine dernière à Strasbourg. Le plus étonnant étant que ce propos a été tenu par Bernard Cazeneuve, ministre socialiste de l’Intérieur, dans la cathédrale même de Strasbourg : « Les valeurs républicaines sont largement celles de l’Evangile. »
Pour être percutant, ce message n’est ni tout à fait original, ni même absolument faux. Ce n’est pas même une première, puisque, mi-septembre, le ministre s’exprimait déjà, à l’occasion de son inauguration, qui présidait sa dédicace et consécration, pour louer le « génie de notre peuple », qui, semble-t-il, n’est plus tout à fait le génie du christianisme.
A Strasbourg, Bernard Cazeneuve se sera aventuré dans l’histoire de notre pays, pour aboutir au thème de cette réunion qui, actualité oblige, tournait autour du « vivre-ensemble ».
« Les valeurs républicaines sont largement celles de l’Evangile »
Malgré une certaine réalité, malgré 1905, le ministre se sera attaché à faire le lien entre les valeurs défendues par l’Eglise et celles proposées par la République, en y insistant à plusieurs reprises : « A mes yeux, les valeurs qu’ils [les chrétiens] défendent contribuent tout particulièrement à la cohésion sociale, car elles rejoignent celles du pacte républicain. »
Bernard Cazeneuve n’avait pas tout à fait tort. Il existe une proximité chrétienne de la devise républicaine, et, en homme avisé, le ministre rappelait cette parole prononcée il y a trente-cinq par le pape Jean-Paul II au Bourget : « On sait la place que l’idée de liberté, d’égalité et de fraternité tient dans votre culture, dans votre histoire. Au fond, ce sont-là des idées chrétiennes. Je le dis tout en ayant bien conscience que ceux qui ont formulé ainsi, les premiers, cet idéal, ne se référaient pas à l’alliance de l’homme avec la sagesse éternelle. Mais ils voulaient agir pour l’homme. »
Pour autant, il n’a pas voulu ignorer les « difficultés éprouvées par les catholiques français à embrasser sans réserve l’héritage révolutionnaire ». Mais il a volontiers martelé son message : « (…) notre devise nationale, “liberté, égalité, fraternité” rejoint bien à certains égards le message évangélique. »
De Jean-Paul II à saint Thomas d’Aquin et saint Paul
Au soutien de cette devise, le ministre ne se contentait pas de Jean-Paul II ; il conviait aussi saint Paul, saint Thomas d’Aquin ou l’épisode d’Abel et de Caïn.
D’où une troisième insistance : « Faire vivre les valeurs républicaines, qui sont aussi largement celles de l’Evangile, constitue pour moi l’une des clés de ce renouveau que vous appelez de vos vœux. »
Dans cette France qui est « historiquement un pays de tradition chrétienne », Bernard Cazeneuve a donc tenu à poser la question : « (…) comment les chrétiens français pourraient-ils vivre leur engagement sans être conscients et fiers de défendre également les valeurs de la République ? »
Bernard Cazeneuve s’en dit convaincu, la laïcité ne doit pas être un instrument de combat, mais « un principe juridique de neutralité religieuse ». Evoquant cette fois Emile Poulat, il cite : « La Laïcité, c’est une société qui donne place à tous. »
Pour tous : et les exemples donné par le ministre sont là pour manifester ce qu’il appellerait sans doute : son ouverture d’esprit.
Bernard Cazeneuve a à la fois raison et tort
Bernard Cazeneuve n’a pas fondamentalement tort. D’abord, parce que nombre de clercs (sans parler des fidèles) aujourd’hui dans l’Eglise partagent, de façon plus ou moins affirmée, cette façon de voir.
Ensuite, et peut-être surtout, parce que, effectivement, liberté, égalité et fraternité dévient des vertus chrétiennes.
Le problème est que, sous l’influence de la Laïcité (pour faire court) ces vertus sont, comme disaient Chesterton, devenus folles.
Bernard Cazeneuve n’aura sans doute pas assez réfléchi au propos de Jean-Paul II au Bourget. Lorsque celui-ci évoquait le fait du manque d’alliance avec la sagesse éternelle, il soulignait très précisément cette déviance de certaines idées autrefois chrétiennes.
Le ministre ne peut pas l’ignorer : il y a dans la République française, du fait de ses lois notamment, aujourd’hui comme hier, nombre d’exemples d’opposition à l’Eglise, à sa loi, à sa pratique. Des lois qui ont été prises et mises en place dans le sang d’hommes chrétiens – et d’enfants à naître.
Pour que son propos soit honnête, il faudrait d’abord que la République fasse repentance de ces agissements douloureux !