Bill Gates, ou le mythe du bon milliardaire

Bill Gates mythe milliardaire
 

Un récent livre du journaliste américain Tim Schwab (pas de lien avec Klaus !) est venu contester le « mythe » Bill Gates, le milliardaire qui se « rachète » de sa richesse fabuleuse en s’adonnant à une philanthropie tapageuse. The Bill Gates Problem: Reckoning With The Myth Of The Good Billionaires, pose de multiples questions sur la sincérité, l’utilité, l’efficacité et même l’altruisme de ce prétendu bienfaiteur de l’humanité. L’homme qui a fait preuve d’une ambition agressive pour prendre le pouvoir sur Microsoft aurait-il tant changé qu’il mérite aujourd’hui le genre d’hommages qu’on lui a prodigué en Inde, où un « love-in » avait été organisé pour ses soixante ans dans un lycée en 2015 ? Près de 2.000 enfants brandissaient le portrait du héros sous le slogan : « Grow rich, help others » (devenez riche, aidez les autres).

Le livre est sorti quelques jours à peine après Controligarchs de Seamus Bruner, qui dénonce lui aussi Bill Gates et ses achats frénétiques de terres agricoles…

Pour Tim Schwab, Gates s’est en réalité beaucoup aidé lui-même. Sa promesse de donner 95 % de sa fortune (pour éradiquer la polio, on y reviendra) remonte à 2010. Il assurait trois ans plus tard que l’argent ne lui servait à rien au-delà d’un certain seuil ; il fallait « faire le travail de Dieu ». La Fondation Bill et Melinda Gates a été créée en 2000 (quelques mois à peine après que Microsoft eut été retoqué pour « abus de monopole ») et a reçu de leur part au fil des ans une « dot » de 67 milliards. Mais dans le même temps, la fortune de Gates a plus que doublé en vingt ans : il « vaut » aujourd’hui 117 milliards de dollars. Et les dons, ainsi que le veut le droit fiscal américain, lui ont permis de récupérer une somme rondelette sur les impôts : 50 %, pour être précis.

 

Bill Gates, un milliardaire qui vit comme tel

Avec une fortune qui ressemble au PIB d’un pays comme l’Equateur ou la Slovaquie, il peut s’offrir à peu près ce qu’il veut en termes d’immobilier, de voitures de luxe et de jet privé ; il paraît même qu’il importe du sable des Caraïbes pour agrémenter le lac privé de sa demeure de Xanadu dans l’Etat de Washington. Pour quelqu’un qui prétend lutter contre le « changement climatique », et surtout l’agriculture traditionnelle, il n’a pas peur de dépenser de l’énergie et de laisser son « empreinte carbone » partout où il passe. Cela ne parvient pas à ternir sa réputation, tant il est mis en avant comme le « gentil » universel.

Pour Schwab, il est grand temps de voir la réalité au sujet de sa Fondation et de sa bienfaisance affichée : « Elle est un outil manié par Bill Gates pour faire progresser sa vision du monde. Ce n’est pas tellement qu’il donne de l’argent ; il achète de l’influence. »

De manière « totalement irresponsable, anti-démocratique et non transparent », Gates peut peser sur le cours des choses, persuadé qu’il est d’avoir raison sur tout. Et s’il finance fortement l’aide internationale – en faisant la promotion de la contraception en particulier – par son pouvoir, il entraîne également les gouvernements à investir dans les projets qu’il affectionne. Manière d’exercer le pouvoir sur l’argent du contribuable…

 

Bienfaisance ou influence ? Bill Gates « travaille pour lui »

En lançant une lutte acharnée contre la polio et en finançant des programmes de vaccination massive et de recherche sur les vaccins, Gates a peut-être fait plus de mal que de bien, argumente Tim Schwab. Sa Fondation prétend avoir sauvé la vie de « 122 millions d’enfants » ; mais il s’agit du nombre d’enfants de moins de cinq ans qui seraient morts depuis 1990 si le taux de mortalité infantile était resté le même depuis lors – or s’il s’est amélioré, la Fondation ne peut s’en attribuer seule le mérite, d’autant que l’augmentation globale du niveau de vie a certainement joué un rôle.

Schawb rappelle notamment la recherche en vue d’un vaccin contre le papillomavirus humain menée en Inde. Sept filles d’âge scolaire sont mortes du fait de ces études menées – on l’a su plus tard – sans consentement personnel et parental, assure le journaliste. Si la Fondation nie énergiquement, assurant que les morts sont attribuables à d’autres causes, Schwab affirme qu’il n’y a jamais eu d’autopsie.

Sur le front de la polio, la focalisation de Gates sur cette maladie contribue à détourner des fonds d’autres maladies bien plus létales comme la diphtérie et la rougeole, d’autant que l’éradication complète des tout derniers cas en arrive à la phase la plus difficile, la plus chère et la moins « rentable ». Au point que Gates a obtenu que le Pakistan considère la lutte contre la polio comme la priorité des priorités là où 25 millions de personnes font face à d’autres maladies tropicales et que 28 millions souffrent de malnutrition.

 

Le mythe du bon millionnaire Bill Gates lui permet de peser sur le pouvoir politique

Bill Gates a joué un rôle de premier plan quant au vaccin anti-covid ; Schwab lui reproche surtout d’avoir favorisé les brevets et la protection de la propriété pour des laboratoires comme Pfizer et Merck pour empêcher la technologie de profiter à tous, au détriment de l’Afrique (une bénédiction déguisée, plutôt ?). Par ailleurs, les dons de sa fondation représentent 88 % des fonds donnés par des organisations philanthropiques à l’OMS. Vous avez dit influence et pouvoir ?

Schwab, qui a la réputation d’être de gauche, affirme : « Un homme dont la fortune repose en grande partie sur les méthodes ingénieuses de Microsoft en vue de l’évitement légal de l’impôt dans le monde entier servirait mieux la planète s’il donnait cet argent aux gouvernements pour qu’ils le consacrent à l’aide et au développement, plutôt que d’agir comme s’il était Dieu. »

Cela ne nous épargnerait sans doute pas de la tyrannie de la bien-pensance. Mais il est sûr qu’avec ses milliards de dollars, Gates l’impose à sa propre façon, ajoutant le poids du monopole au penchant totalitaire du pouvoir.

 

Anne Dolhein