Il y a moins d’un an, au prix d’immenses manifestations, l’armée remettait le pouvoir aux civils – ce qui n’était pas arrivé depuis 1966 – chassant du pouvoir le président Blaise Compaoré, qui, après 27 ans à la tête du pays, comptait briguer un nouveau mandat malgré la Constitution. Le Burkina Faso était, depuis, en pleine « transition démocratique ». La campagne électorale devait même s’ouvrir ce 20 septembre 2015, pour les quatorze candidats en lice. Mais le Régiment de sécurité présidentielle (RSP) a opéré jeudi un coup d’état militaire, démettant illico le président Kafando et son premier ministre Isaac Zida de leurs fonctions – jusqu’à aujourd’hui, ils étaient toujours pris en otage dans le palais.
Coups de feu en l’air, couvre-feux, interdictions de rassemblement… on dénombre déjà plusieurs morts. Mais la population est partagée.
La fin du « régime déviant de la transition » au Burkina Faso
C’est à la télévision nationale que le RSP a annoncé avoir dissous « les institutions » et « mis fin au régime déviant de la transition ». Ce corps d’élite de 1.300 hommes de l’armée burkinabè, créé en 1995 par un président méfiant, a nominé dans la foulée son propre général, Gilbert Diendéré, à la tête du « Conseil national pour la démocratie », la nouvelle autorité auto-proclamée.
Un homme fort à la réputation en dents de scie. Proche de l’ex-commandant de la force Licorne, le général Emmanuel Beth, Gilbert Diendéré était décoré de la légion d’honneur en 2008 par Nicolas Sarkozy, pour avoir aidé à la libération de plusieurs otages occidentaux au Mali et au Niger… Mais tancé par l’ONU, trois ans auparavant, « pour trafic d’armes » avec les rebelles sierra-léonais, contre des diamants… (Comme dirait Leonardo DiCaprio dans « Blood Diamond » : « CCA : C’est Ça l’Afrique »)
Mais c’est aussi et surtout l’ancien chef d’état-major particulier du président déchu Blaise Compaoré… Les rumeurs vont bon train sur l’implication de l’ancien potentat. Pourtant le discours du général n’y fait écho en rien et invoque davantage des « problèmes » légaux pour les toute prochaines élections et « beaucoup de tentatives de fraude ». Un seul remède : le franc coup d’état. Le CND parle bien de futures élections « inclusives et pacifiques » – cela reste à voir…
Condamnations unanimes du coup d’état militaire
Le président de l’Assemblée de transition, de nombreux partis politiques, la société civile et les syndicats ont appelé à la mobilisation populaire. Toute la communauté internationale a condamné ce coup d’état, du Conseil de sécurité de l’ONU à l’Union africaine, en passant par la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) qui avait aidé à la transition et poussait à « la stabilité politique ».
L’Union européenne a, elle, appelé à la libération immédiate des otages. Otages que sont Michel Kafando, ancien diplomate à la retraite avant qu’on ne vienne le chercher pour prendre la tête du Conseil national de transition (CNT). Et le Premier ministre Isaac Zida, qui fut autrefois – et c’est là que commencent les difficultés – le numéro 2 du régiment putschiste.
Le Premier ministre Isaac Zida était l’ancien numéro 2 du régiment putschiste
De fait, les tensions ne datent pas d’hier. Isaac Zida n’est arrivé à son poste de Premier ministre que grâce au soutien de Gilbert Diendéré et de ses anciens collègues. Arrivé au pouvoir, il s’en est affranchi – la couleuvre était difficile à avaler. Fin décembre 2014, un commando a pénétré en pleine salle du conseil de ministres, pour interpeller Isaac Zida qui nourrissait le projet d’affectations lointaines pour un certain nombre de ses anciens comparses (le général Gilbert Diendéré devait partir en tant qu’ambassadeur à La Havane)… Et en février, des insurgés du Régiment l’ont menacé d’exiger son départ s’il persévérait dans sa volonté de dissoudre le RSP.
Certains voient aussi en cette date du 17 septembre, une coïncidence qui n’en est pas peut-être pas une. L’enquête sur l’assassinat de Thomas Sankara, relancée par le régime de transition démocratique, devait communiquer ce jour-même les résultats de l’autopsie du corps de l’ex-président assassiné le 15 octobre 1987 à Ouagadougou, à l’aube de la prise de pouvoir de Blaise Compaoré. Le général Gilbert Diendéré, alors déjà bras droit de Compaoré, figure parmi les premiers suspects…
Mais surtout, l’étincelle serait partie des récentes décisions du Conseil constitutionnel de rendre inéligibles tout ancien soutien du parti de Compaoré, c’est-à-dire toute personne ayant pris position pour le changement de constitution que cherchait à mettre en place Compaoré pour briguer un nouveau mandat… Ce qui éliminait, de fait, totalement l’opposition (la Cour de Justice de la Cédéao s’y était d’ailleurs opposée, cet été, invalidant en juillet ce nouveau code électoral).
Le RSP de Gilbert Diendéré : « une armée dans l’armée »
Quelle que soit la « transition », ambition et corruption sont, semble-t-il, toujours au rendez-vous… Les nouveaux dirigeants avaient néanmoins laissé une faille considérable dans leur projet « démocratique » : le RSP, fort de ses 25 ans de pouvoir au service de Compaoré, n’a pas été dissous à la chute du président-dictateur, il y a un an. Lundi, la Commission de réconciliation et de réforme burkinabè parlait encore d’« une armée dans l’armée » et recommandait sa dissolution. Un peu tard…
Les prochaines élections devaient à coup sûr la réaliser, mais elles lui ont laissé un an pour s’organiser. « Derrière les hommes du RSP se trouvent probablement les candidats qui ont été écartés et qui ne peuvent se présenter aux prochaines élections » confient des sources de l’agence FIDES.
A présent, est-ce-que la population descendra dans la rue, est-ce que l’armée réagira ? Rien n’est moins sûr.
Clémentine Jallais