En France, les décisions des instances de régulation et des juges sont la continuation, par d’autres moyens, de la guerre politique et commerciale. L’autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, communément appelée ARCOM est, citons-la : « garante de la liberté de communication et veille au financement de la création audiovisuelle et à la protection des droits ». Telle est sa mission. Elle n’a donc nullement vocation à censurer telle ou telle chaîne. Or c’est ce qu’elle vient de faire en ôtant à C8 l’autorisation d’émettre sur la TNT, la télévision numérique terrestre, c’est-à-dire, concrètement, en la supprimant de fait, du moins en limitant grandement sa diffusion. C’est une décision politique analogue à celle que vient de prendre le front républicain pour éviter que l’élan populaire de juin ne se transforme en majorité électorale, puis que le RN, premier parti sorti des urnes, n’ait de poste d’influence à l’Assemblée nationale. La vieille tactique du « cordon sanitaire » sert à priver le peuple de sa liberté d’expression.
L’ARCOM indépendante ! De qui ?
En quelques années, C8 était devenue la sixième chaîne la plus suivie de France, derrière les mastodontes historiques TF1, France 2, France 3, M6 et France 5, dominant le classement TNT, avec 3,1 % de parts de marché devant TMC, 2,8 %. Cette progression a inquiété le pouvoir. En France, l’Etat est malin comme un singe. Si le vieil ORTF a été dissous voilà plus de cinquante ans, le pouvoir garde l’œil et la main sur l’audiovisuel par l’intermédiaire de l’ARCOM qui a succédé au CSA (conseil supérieur de l’audiovisuel). Cet organisme « indépendant » se compose de 9 « sages » nommés ainsi : l’un, le président dont la voix est prépondérante, par Macron, trois autres par les présidents de l’Assemblée macronistes Braun-Pivet ou Ferrand, trois autres par Gérard Larcher et les deux derniers par la Cour de cassation et le Conseil d’Etat. A considérer les prises de position constantes de Gérard Larcher ces dernières années et l’orientation des juridictions suprêmes, le Conseil d’Etat surtout, voilà qui correspond parfaitement à la tactique du cordon sanitaire.
La cible derrière C8 et sa fréquence TNT, c’est Bolloré
Camille Broyelle, professeur de droit public à Assas très comme il faut, juge la décision de l’ARCOM « politiquement courageuse », mais insuffisante en ce qu’elle ne touche pas toute sa cible, le groupe Bolloré : « En réalité, les manquements à la loi ne sont pas liés aux outrances de Cyril Hanouna. Le principal manquement est dans l’exploitation de chaînes afin d’assurer la promotion d’une idéologie. Il est également imputable à CNews. (…) Il reste que politiquement, la décision est forte et laisse à penser que l’ARCOM se montrera particulièrement vigilante à l’égard des médias audiovisuels du groupe Bolloré. » Voilà qui est clair : ce qui est insupportable aux yeux de cette « juriste » c’est Bolloré et son idéologie. Autrement dit des chaînes non politiquement correctes. Mme Broyelle oppose la notion de pluralisme à celle de médias d’opinion mais semble ne pas voir que les chaînes dont elle suppose le pluralisme ne le pratiquent pas et sont des médias d’opinion. On songe, pour la TNT, à TMC et Quotidien, de Yann Barthès. Il a une conception très personnelle du pluralisme, mais son opinion plaît à Mme Broyelle.
Un cordon sanitaire et un déséquilibre colossal
Cependant il ne s’assure pas que le public « dispose de toutes les opinions, afin d’être véritablement éclairé ». C’est aussi le cas des médias publics, que ce soient les radios (on songe à France Inter et France Info), ou les télévisions. Le groupe France Télévisions (France 2, France 3, France 5) a publié en février une répartition du temps de parole de ses invités en fonction de leur étiquette politique : un déséquilibre évident s’avoue en faveur de la gauche et de la « droite » molle au détriment du RN. Encore seuls les invités sont-ils observés. Si l’on s’intéressait aux chroniqueurs et aux présentateurs de plateau, ou encore à la parole idéologique et politique des invités non politiciens (sportifs, cultureux), le déséquilibre deviendrait carrément colossal. Or l’ARCOM n’a jamais mené nulle enquête, elle n’a donné aucun avertissement, et moins encore d’amende : tout le contraire de ce qu’elle a fait contre C8 et CNews, les chaînes censément « d’opinion » du groupe Bolloré.
Le culot et les sophismes de l’ARCOM
C’est grave, car c’est en se fondant sur les sanctions prises que l’ARCOM a justifié sa décision. Benoît Loutrel, membre de l’ARCOM, a en effet déclaré aux représentants de C8 : « Sur les huit dernières années, vous cumulez 7,6 millions d’euros de sanctions. La chaîne la plus sanctionnée après la vôtre, c’est 380.000 euros… Nous avons déjà eu cette discussion sur l’enjeu de la maîtrise de l’antenne. » La persécution univoque menée par l’ARCOM sert donc d’argument à la censure finale. Mme Broyelle devrait être satisfaite, l’ARCOM visait, à l’origine, les deux chaînes de Bolloré. Ainsi a-t-elle infligé 50.000 euros d’amende à CNews parce que Benoît Lejeune, interrogé sur l’antisémitisme dans les universités, a dit le 28 septembre 2023 : « C’est une des conséquences, comme une partie du trafic de drogue, comme la surpopulation carcérale, comme l’abaya, comme tout ça. » L’ARCOM, a jugé que « ces propos véhiculent plusieurs stéréotypes négatifs » et « imputent des faits et comportements graves à un groupe de population dans son ensemble ». Cela peut donc « encourager à des comportements discriminatoires » à l’égard de ce groupe de population, « en raison de son origine et de sa religion ». Le sophisme est grossier : Lejeune n’a nullement dit que tous les arabo-musulmans sont antisémites, il a seulement constaté un lien entre des comportements décrits et une certaine immigration massive.
L’ARCOM, le système et le cordon sanitaire
Mais l’ARCOM, prétendument impartiale, fait partie d’une constellation de pouvoirs qui veillent à l’étanchéité du cordon sanitaire dressé autour d’opinions qui plaisent au peuple, et dont le système entend interdire à tout prix la progression, censurant donc férocement les informations propres à les favoriser. Ainsi en février 2024 le Conseil d’Etat a-t-il donné satisfaction à Reporters sans Frontières qui attaquait CNews, exigeant que soient mesuré, outre les temps de parole des politiques, celui des chroniqueurs, animateurs et invités de toute sorte. C’est toute une nébuleuse idéologique qui agit, associations, régulateur, juges administratifs. Tous concentrés sur le seul groupe Bolloré. On attend avec impatience la publication d’un audit de ce type mené sur France Info. Par des sages indépendants ! On touche là à la grande rigolade de la liberté de la presse en France. Même si Vincent Bolloré ni Cyril Hanouna ne sont vraiment mon type d’hommes, j’ai quand même le devoir d’en rire.