Impuissant à juguler la campagne en faveur du Brexit, le premier ministre britannique David Cameron menace : si le Royaume uni quitte l’Union européenne, la troisième guerre mondiale est à redouter. Il invoque l’histoire de l’Angleterre et la grande figure de Churchill pour provoquer un sursaut chez les partisans du oui à Bruxelles.
On connaissait David Cameron sous les traits d’un héritier de Tony Blair à la sauce conservatrice, jeune, col ouvert, affectant de prendre n’importe quel problème par son côté pratique et fidèle de l’alliance américaine : voici qu’il menace et prend un ton tragique pour tenter d’enrayer la dynamique du Brexit. Si la Grande Bretagne dit non à Bruxelles, cela pourrait selon lui menacer la sécurité du continent au point de provoquer une troisième guerre mondiale. « Les longues rangées de tombes blanches amoureusement entretenues des cimetières militaires du Commonwealth sont un rappel muet du prix que notre pays a payé pour restaurer l’ordre et la paix en Europe. Pouvons-nous être sûrs que la paix et la stabilité de notre continent sont assurées sans l’ombre d’un doute ? Est-ce que nous pouvons nous payer le luxe de prendre ce risque ? Je n’aurai jamais la légèreté de l’affirmer. »
Cameron invoque toute l’histoire de l’Angleterre contre le Brexit
Voilà un langage dont les partisans du Brexit ont moqué la grandiloquence, ce qui n’a pas empêché Cameron d’en remettre une couche. « Ce qui se passe chez nos voisins importe à la Grande Bretagne. Ç’a été vrai en 1914, en 1940, en 1989, cela reste vrai en 2016. (…) L’histoire enseigne que quand nous tournons le dos à l’Europe cela n’est pas bon et que nous le payons très cher par la suite. » Le premier ministre britannique ne s’en est pas tenu à ces quelques dates, c’est toute l’histoire moderne de l’Europe vue par l’Angleterre qu’il a invoquée, « les moments cruciaux de l’histoire européenne, Blenheim, Trafalgar, Waterloo, l’héroïsme de notre pays pendant la Grande guerre et par-dessus tout notre résistance isolée en 1940 ». Pour les lecteurs non Britanniques, la bataille de Blenheim fut en 1704 le tournant de la guerre de succession d’Espagne, la victoire de Malborough empêchant les troupes de Louis XIV de prendre Vienne. Cameron partage ici la conception classique anglaise de l’équilibre européen qui consiste à combattre la principale puissance continentale, la France du dix-septième au dix-neuvième, l’Allemagne au vingtième. Il aurait pu ajouter l’invincible armada et l’Espagne pour le seizième, et il pense peut-être à Kiev et à la Russie pour le vingt-et-unième. La menace, dans cette stratégie de la peur, ne serait plus incarnée par Napoléon, Hitler, Guillaume II ou Louis XIV, mais par Poutine. Cameron a en effet pris connaissance des sondages qui montrent que ce qui nourrit le plus le vote pour le Brexit, à part la question de l’emploi, est la sécurité nationale et la préoccupation que cause la Russie de Vladimir Poutine.
La menace de la troisième guerre mondiale pour provoquer un sursaut
En invoquant le spectre de la troisième guerre mondiale contre le Brexit, Cameron prend dans une certaine mesure la pose de Winston Churchill au début de la seconde, promettant des larmes de la sueur et du sang, et il a enrôlé l’homme au cigare dans sa campagne, assurant que celui-ci aurait voté contre le Brexit. Cela a pour conséquence de provoquer une petite controverse outre-manche, certains citant ses paroles contre la Communauté européenne de défense en 1953, « nous sommes avec eux, nous ne faisons pas partie de leur communauté », d’autres citant ses exhortations à construire « l’union de l’Europe ». Sans autre effet que de montrer que Churchill, comme Cameron, était un politicien anglais disant tout et son contraire en fonction de son intérêt.
Une autre controverse s’esquisse sur le fond même de la question. Qu’est-ce qui a empêché la troisième guerre mondiale depuis 1945, l’Union européenne, l’OTAN, la dissuasion nucléaire, la fatigue des peuples européens ? Est-ce que l’Union européenne ne serait pas facteur de guerre, en Ukraine, par exemple ? Des questions bien intéressantes, mais qui n’ont au fond pas d’importance dans la stratégie lancée par Cameron contre le Brexit. Dans les campagnes anciennes sur la question européenne, sur Maastricht, l’Euro, la constitution, l’argument massue des européistes était : nous allons apporter la prospérité, et refuser la solution de Bruxelles amènerait le chaos économique. Or, depuis 2008 et la crise grecque, le chaos est là, avec l’Europe de Bruxelles, et les peuples s’aperçoivent que Bruxelles, et le mondialisme dont l’Union est le cheval de Troie, est la cause du problème, non sa solution. Le seul argument qui reste aux adversaires du Brexit est donc : l’Europe, c’est la paix, en sortir va provoquer la troisième guerre mondiale. Dans ce nouveau rôle, Cameron joue à contre-emploi, mais il n’avait pas le choix.
Pauline Mille