Le projet de loi C-63 limitant fortement la liberté d’expression a été présenté en février dernier par le gouvernement du Canada. Il est désormais en cours d’examen par la Chambre des Communes et le gouvernement de Justin Trudeau en a accéléré le traitement dans le processus législatif, lui donnant la priorité par rapport à d’autres questions urgentes. L’inquiétude qui grandit, depuis dix mois, au Canada (nous en avions parlé en mars) n’est encore rien par rapport à la terreur qui résultera de l’instauration d’une telle loi, si elle est adoptée dans les termes proposés.
Le but affiché est extrêmement louable (comme souvent) : protéger les enfants des agressions sexuelles en ligne. Mais c’est un appât, un leurre comme l’écrivait une chroniqueuse dans Le Journal de Montréal, « un leurre grossier, un véritable piège à cons pour nous faire accepter une loi qui assassine la liberté d’expression et la démocratie, et qui créera un climat social délétère ». Parce qu’elle se fondera sur la notion de « crime de haine », une notion dont commencent à se prévaloir nombre de pays en Occident.
Et qui définira ce qui est haineux ? De quelle morale se réclamera le gouvernement pour dépouiller et emprisonner des personnes pour des faits qu’elles n’ont même pas commis mais dont on suppose qu’elles pourraient s’en rendre responsables ? Car c’est bien ce que prévoit le très progressiste projet de loi C-63, au-delà d’une histoire de protection de mineurs.
Bienvenue dans le nouveau monde woke, qui est, par essence, furieusement totalitaire.
« L’Occident s’enfonce comme un somnambule dans le cauchemar de Trudeau »
Il est toujours remarquable de voir comment l’Etat prétend corriger des faits dont il est lui-même en partie coupable pour imposer contrôle et contrainte. Oui, au Canada (comme partout en réalité dans les pays occidentaux), le nombre d’infractions sexuelles a explosé, affichant 200 % d’augmentation entre 2014 et 2022 – et ces chiffres seraient évidemment minimisés.
Oui, il faudrait agir… mais en quel sens ? Le Canada dispose depuis des décennies de dispositions permettant de poursuivre les « propos haineux » dans ses lois fédérales et provinciales. D’ailleurs, le parti conservateur, par la voix d’une députée, propose le projet de loi C-412 (Loi sur la protection des mineurs dans l’ère du numérique) qui modernise les dispositions actuelles ciblant le harcèlement criminel en ligne, tout en préservant les libertés civiles des Canadiens.
Mais le gouvernement a très manifestement un autre objectif, et le parti libéral pousse envers et contre tout son C-63, exactement de la même façon qu’il a poussé, en son temps, le projet de loi C16. Comme le rappelle le talentueux psychologue Jordan Peterson, dans une tribune publiée par le Telegraph, « cette loi prétendait faire rien de moins louable que de mettre encore plus de pauvres masses opprimées et intersectionnelles du monde sous protection juridique, en étendant la Charte canadienne des droits à ce qu’on appelle “l’identité de genre”, qui n’existe pas, et à “l’expression de genre”, qui n’est rien d’autre qu’un choix à la mode ».
Ce faisant, cette loi a obligé à utiliser certaines formes de langage, même dans le privé (et Peterson est bien placé pour en parler, ayant été condamné pour ce motif précis) et semé encore davantage la confusion, en particulier chez les enfants.
Une nouvelle bureaucratie extra-judiciaire, aux pouvoirs d’un tribunal
Le projet de loi C-63 a la même trajectoire. Seulement ses effets seront encore pires.
En effet, comme l’affirme son propre exposé des motifs, il vise à « ériger en infraction parmi les crimes haineux le fait de commettre une infraction prévue à cette loi ou à toute autre loi fédérale en étant motivé par de la haine fondée sur certains facteurs… la race, l’origine nationale ou ethnique, la langue, la couleur, la religion, le sexe, l’âge, la déficience mentale ou physique, l’orientation sexuelle ou l’identité ou l’expression de genre ». L’auteur en serait considéré comme « coupable d’un acte criminel passible de l’emprisonnement à perpétuité ».
Autrement dit, on ne pourra plus sous le régime de la loi C-63 exprimer librement son opinion sur tous ces sujets dont l’orientation est définie par l’Etat, y compris dans le cadre privé. Et, Peterson le souligne, le diable résidant toujours dans les détails, les méthodes et les outils d’application sont hors norme.
L’administration Trudeau établirait une nouvelle « Commission de sécurité numérique », spécialement dédiée, aux pouvoirs effroyablement illimités, une sorte de système judiciaire parallèle dont le travail consistera essentiellement à surveiller et à contrôler Internet et auquel ceux qui exploitent des services en ligne devront rendre des comptes précis. Vis-à-vis de ces derniers, les membres de cette Commission auront toute autorité, puisque leurs actions ne seront « soumises à aucune règle juridique ou technique de preuve », comme le souligne le texte.
N’importe qui pourra dénoncer n’importe quoi à cette Commission (on imagine déjà les sourires de requins). Ainsi se confirmera véritablement l’adage de Sartre, « l’enfer, c’est les autres »… Comme l’écrit Peterson, on trouvera « d’abord, les mouchards et les informateurs que ce projet de loi autorise et récompense, y compris les toutes dernières personnes à qui vous voudriez conférer ce pouvoir si vous avez un minimum de bon sens ; ensuite, ceux qui détestent la liberté d’expression et qui souhaitent la réglementer, voire l’interdire, de sorte que les seules choses qui peuvent être dites ou, éventuellement, pensées, leur soient favorables ou agréables ».
Projet de loi C-63 : la surveillance et la répression par le « discours de haine »
Mais ce n’est pas fini et notre article de mars dernier évoquait le film Minority Report : le projet de loi C-63 permettrait à une personne, « avec le consentement du procureur général, de déposer une dénonciation devant un juge de la cour provinciale si elle craint pour des motifs raisonnables qu’une autre personne ne commette » une infraction.
Vous aviez bien lu : on ne parle pas d’intention criminelle établie, mais de supposition, subjective donc, qu’un crime pourrait éventuellement être commis par une personne pour telle ou telle raison. Comme l’écrit Michael Taub dans un autre article du Telegraph, le scénario est « cauchemardesque ». Jordan Peterson note que cela dépasse, et de loin, le crime de pensée tel que l’avait défini George Orwell. Sous l’empire de cette nouvelle loi, on pourra être puni pour un « crime futur défini par la “peur” d’une personne de voir un événement se réaliser », écrit-il.
Ce sera au magistrat de déterminer si oui ou non, il y a « prépondérance des probabilités ». Et alors, la personne accusée pourra être confinée à son domicile, avec un bracelet électronique fixé à la jambe, interdite d’accès à ses amis et à sa famille, que ce soit en personne ou en ligne, et être obligée de fournir des échantillons de ses fluides corporels chaque fois qu’on le lui demande pendant une période d’au moins un an. Sans parler des amendes pouvant atteindre 50.000 dollars canadiens par personne et par jour.
Cerise sur le gâteau, la dénonciation sera encouragée, puisque les accusateurs, qui se considéreraient donc comme « victimes », pourraient eux aussi recevoir jusqu’à 20.000 dollars, plus les frais judiciaires… Sans effort, l’Etat se construira ainsi sa propre armée d’agents de recouvrement pour dettes idéologiques.
La liberté d’expression au Canada ? Comme chez les Nazis
On chercherait en vain un autre texte législatif canadien qui écrase autant de droits sacrés et fondamentaux garantis par la Charte, entend-on dans les médias. L’association Canadian Citizens For Charter Rights And Freedoms (C3RF) n’hésite pas à le comparer à la sinistre « loi d’habilitation » de l’Allemagne nazie de 1933 qui permettait au dictateur allemand de créer des lois inconstitutionnelles « sans l’approbation du Parlement ou du président du Reich ».
Les libertés civiles garanties par la Charte sont, de fait, contournées par le projet de loi C-63. Comme elles l’étaient par l’article 13 de la loi canadienne sur les droits de la personne qui interdisait les communications en ligne « susceptibles d’exposer une ou plusieurs personnes à la haine ou au mépris » et qui avait fini par être abrogé, en 2014, tant on craignait, même à gauche, pour la sauvegarde de la liberté d’expression. Comme elles l’étaient aussi par le projet de loi C-36, présenté en 2021, qui devait protéger les personnes contre les « crimes haineux, la propagande haineuse et les discours haineux » et qui, en fin de compte, a été abandonné, assailli par les critiques.
Mais le fruit occidental devient mûr.
Les médias libéraux s’affligent de ces pays où la liberté d’expression des femmes est de plus en plus diminuée – ce qui est vrai. Mais cette liberté répond à leur logique qui est éminemment restrictive. Quand la liberté des groupes et des communautés (selon les critères woke) est promue, les droits et les libertés individuels sont écrasés : les nouvelles classes marxistes effacent l’homme, dans sa libre conscience. On définit un faux « Bien public » et quiconque y contrevient est non seulement puni, mais effacé de la société. On n’a jamais autant singé Dieu… Sauf que leur paradis est bien sûr un enfer et leur loi un esclavage.
Justin Trudeau est vraiment un avant-gardiste de compétition.