Les électeurs de Cheyenne (Wyoming) ont rejeté le candidat qui promettait de gérer la ville grâce à l’IA. Mais l’idée commence à prendre

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Victor Miller espérait devenir le nouveau maire de Cheyenne, au Wyoming. Mais sa campagne atypique n’a pas séduit les électeurs : ceux-ci ont préféré le maire sortant, Patrick Collins qui avec une majorité écrasante et plus de 6.000 voix participera au scrutin final en tant que favori en novembre. 300 et quelque bulletins seulement ont été comptés en faveur du candidat qui avait promis de gérer la ville en suivant docilement les injonctions d’un système d’intelligence artificielle. L’IA n’engendre pas la confiance… Pour l’instant.

Miller avait « customisé » un robot ChatGPT, baptisé « Vic » (Virtual Integrated Citzen) par ses soins, et il ne comptait pas s’en servir comme assistant, mais comme principal décisionnaire au cas où il aurait été élu. Miller lui-même, en tant qu’humain élu, aurait été le maire officiellement élu qui s’engagerait à assurer que « chaque action soit légalement et pratiquement exécutée ».

Assurant que ni le robot, ni lui-même n’ont d’attaches avec un parti politique, Miller, employé de bibliothèque qui s’est intéressé à l’IA en utilisant ChatGPT à titre personnel, a inscrit « Vic » comme candidat à l’élection, sans autre précision, affirmant par ailleurs que le poste de maire est réservé à un être humain « dans le système actuellement en vigueur ». « D’où le fait je j’apparais comme l’humble avatar carné », expliquait-il, vantant une nouvelle ère enfin « débarrassée des politiciens » où les choses se passeront « de manière juste » : « une démocratie qui fonctionne ».

 

Gérer une ville grâce à l’IA, c’est éliminer l’homme

Le robot, fort de son intelligence artificielle, est capable de traiter d’impressionnantes quantités de données et de prendre des décisions sans préjugés : pendant la campagne, Miller menait d’ailleurs campagne avec « Vic » et présentait avec lui l’approche « hybride » de la gouvernance qu’il comptait mettre en œuvre.

Lors d’un « entretien » avec le très sérieux Washington Post, média mainstream qui à sa façon a adoubé la démarche qu’il faut bien qualifier d’inhumaine, voire d’anti-humaine, de Miller, le robot répondait ainsi cet été : « Prendre des décisions susceptibles d’affecter un grand nombre de personnes exige d’arriver à un équilibre minutieux entre des considérations dictées par les données et l’empathie humaine. » « Vic » proposait d’utiliser l’IA pour enrichir les données des points de vue de l’opinion publique et des retours de la communauté des citoyens, et même d’organiser des réunions municipales où les habitants pourraient faire part de leurs problèmes, de consulter des experts, d’évaluer les répercussions humaines des décisions envisagées et de les présenter de manière transparente.

Cerise sur le gâteau : la moitié de son salaire de maire aurait été offert à une association à but non lucratif et l’autre moitié aurait été investi pour financer l’amélioration constante du robot.

 

Le candidat Miller, un simple « avatar carné » de l’intelligence artificielle

En juillet dernier, « Vic (et Victor) » ont mis en ligne un message sur X sous le titre « Enivrons-nous d’intelligence », expliquant qu’ils avaient « hacké le système » en confiant les formalités de la candidature à l’humain : « Le moment est venu de hacker notre démocratie. Nous utiliserons des avatars carnés pour nous inscrire à l’élection, et nous nous enivrerons d’intelligence… Il est temps d’embrasser l’avenir. »

Miller n’a pas su convaincre… Mais il a déclaré à la suite du scrutin qu’il s’y attendait plus ou moins, soulignant que de vrais électeurs ont cru à la viabilité de son entreprise et que l’expérience l’encourage à continuer. Il se prétend le premier à avoir mené une telle campagne, même si quelque chose de semblable a eu lieu au Royaume-Uni avec le candidat travailliste Steve Endacott qui avait mené campagne aux législatives avec l’aide de l’IA et comptait consulter systématiquement celle-ci, totalement à l’écoute des électeurs et de leurs doléances, pour toutes les prises de décision. De la petite bière, s’il faut en croire Miller : ce dernier ne voulait être que l’instrument de l’IA, tandis qu’Endacott l’utilisait comme « outil ».

Pas plus que Miller, Endacott n’a été élu – il est arrivé bon dernier lors des élections. A croire que les électeurs ont compris à quel point il est dangereux de confier l’humanité au bon vouloir de l’intelligence artificielle.

Mais un pas a été franchi. L’idée d’un robot investi d’un pouvoir de décision indiscutable, absolu, sur des fonctionnaires devenus des exécutants systématiques sur tous les plans, depuis le vote en assemblée au recrutement des collaborateurs, est désormais bel et bien sur la table. C’est un nouveau pas vers le vrai « grand remplacement » de l’homme – et de l’âme – par des robots… sans foi ni loi.

 

Gérer une ville par l’IA : si c’est possible, pourquoi pas un pays ?

Et si l’IA peut gérer une ville, pourquoi pas un pays, une entreprise, une institution internationale, une armée, une épicerie… Il n’y a pas de limites. D’autant qu’après une première élection « humaine » d’une IA, il n’y aurait plus aucune raison de la remplacer.

La candidature de « Vic », il faut la comprendre comme une sorte de coup d’essai, comme une version extrême de quelque chose qui se met doucement en place avec ou sans l’approbation du corps électoral. Victor Miller l’a laissé entendre en commentant sa défaite : il envisage des milliers de candidats IA aux commandes d’ici à deux ans, puisque des gouvernements mènent déjà des recherches et des expériences avec des IA pour utiliser des robots dans l’exécution des tâches qui leur sont propres. C’est le cas dans l’Indiana et en Australie où l’on travaille actuellement à mettre en place une réglementation de l’utilisation de l’IA à ce niveau, même si aucun robot n’a été désigné responsable d’un pouvoir politique, que celui-ci soit symbolique ou effectif.

Le même Miller a mis sur pied la « Rational Governing Alliance » – l’alliance pour le gouvernement rationnel – qui a pour objectif de faciliter l’avènement de la gouvernance IA où les humains ne serviraient plus qu’en tant qu’intermédiaires légaux et physiques. « Les graines d’une révolution dans la gouvernance ont été plantées et commencent déjà à germer », déclarait-il à Fox News il y a un mois. Il ne cesse de vanter l’efficacité, l’honnêteté et l’impartialité d’une gouvernance par robot.

Ou l’ultime tyrannie. Si l’intelligence artificielle est contrôlée par l’homme, elle l’est dans un sens bien précis et selon les données qui lui auront été injectées. Et si elle ne l’est plus, c’est encore plus inquiétant, et pour l’humanité tout entière.

 

Jeanne Smits