Marché des émissions carbone : les carburants bientôt « taxés » par l’UE

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Ce n’est pas encore techniquement une taxe directement perçue par l’Union européenne qui se profile pour 2027, mais cela y ressemble fort. C’est à cette date que l’UE a prévu d’étendre le champ d’application de son système de quotas d’émissions, l’ETS, désormais appelée ETS2, en l’appliquant directement à un produit acheté par les consommateurs : gaz, essence et autres combustibles dits « fossiles » utilisés pour le chauffage et le transport – les particuliers sont donc concernés.

S’il s’agissait d’une taxe directement versée à Bruxelles, la nouvelle réglementation constituerait un accaparement visible du droit régalien de prélever l’impôt : objectivement, il s’agirait de l’usurpation d’un pouvoir qui appartient en propre au « roi », au souverain.

L’affaire est un peu plus complexe puisqu’elle se réalise au travers du marché carbone européen, jusqu’ici imposé à quelque 10.000 entreprises, couvrant 40 % des émissions totales de l’UE. Par son truchement, chaque entreprise concernée se voit attribuer un plafond d’émissions, et peut vendre les droits dont il n’a pas besoin où acheter ceux qui lui manquent à un prix déterminé par le marché. Pour les entreprises déficitaires en droits carbone, on peut dire qu’il s’agit d’un impôt déguisé imposé par une entité politique supranationale et portant littéralement sur du vent, mais dont bénéficie directement un vendeur doté d’une marge d’émissions plus confortable.

 

Le marché des émissions carbone s’étend aux fournisseurs d’énergies fossiles

A partir de 2027, à la suite d’une directive approuvée par les parlementaires européens en 2021, les fournisseurs de combustibles « fossiles » vont devoir acheter des droits d’émissions pour chaque tonne de CO2 émise par les produits qu’ils vendent. C’est donc bel et bien une contribution qui pèsera notamment sur la consommation des particuliers vivant dans l’Union européenne, que ce soit pour le chauffage ou l’automobile. On s’accorde à dire que ces coûts supplémentaires seront « probablement » répercutés sur les ménages et les entreprises.

Donc : pas un impôt façon TIPP, puisque les fournisseurs devront acheter des droits sur le marché, mais un débours contraint pour tous par décision de l’Union européenne, et directement fonction des achats de chacun.

C’est tellement vrai que l’on calcule actuellement le surcoût annuel qu’entraînera l’application de la directive pour la moyenne des ménages.

Il sera variable puisque dans le système ETS, la tonne de carbone se négocie ; elle est passée d’un peu plus de 5 euros la tonne entre 2016 et 2018 à une vingtaine d’euros en 2020, pour augmenter fortement depuis 2022 – il lui est déjà arrivé de dépasser les 100 euros la tonne. Aujourd’hui elle tourne autour de 70 euros.

 

Les taxes sur les carburants profiteront à l’UE via les quotas de carbone

Demain – en 2027 – on s’attend à voir ce prix directement répercuté à la pompe une fois l’ETS étendu aux carburants. Dès 2030, selon les calculs de Business Insider, une famille habitant une maison non mitoyenne aux Pays-Bas devrait voir sa facture grimper de 400 à 1.335 euros par an selon les scénarios envisagés (60 à 200 euros la taxe carbone sur la tonne de CO2).

Dans un scénario à 200 euros la tonne, selon des experts allemands cités par Euractiv, « un prix du carbone de 200 euros équivaut à un supplément (…) de 53 centimes par litre de diesel et de 47 centimes par litre d’essence ». Le site touteleurope.eu affirme cependant que l’UE vise « un nouveau prix du carbone loin de ce montant, à 45 euros la tonne pour le bâtiment et le transport routier, jusqu’en 2030 ». Maigre consolation – une bonne dizaine de centimes par litre, c’est déjà beaucoup, et de toute façon rien n’empêche que le prix de la tonne ne soit revu à la hausse, et pas seulement après cette date butoir de 2030.

Bref, les portefeuilles individuels vont être touchés. C’est même l’objectif de l’extension de l’ETS : par l’augmentation progressive du coût des énergies « fossiles », il s’agit d’inciter les consommateurs et les entreprises à adopter des énergies plus « écologiques », nous dit-on. On omet d’ajouter qu’elles sont plus chères et exigent des investissements pharaoniques qui elles aussi, pèsent sur les consommateurs…

 

La taxation des émissions carbone compensée par un nouveau Fonds social de l’UE

Mais le tableau ne serait pas complet s’il ne favorisait pas la redistribution des richesses qui est au cœur de l’action dite écologique. C’est ici qu’interviendra en effet une nouvelle usine à gaz européenne, qu’il va bien falloir financer elle aussi : le Fonds social pour le climat, destiné à compenser les hausses de prix pour les plus pauvres.

Celui-ci doit être mise en place dès 2026, pour empêcher de voir se creuser les inégalités (comprenez : pour faire payer plus par les « riches ») et pour éviter des mouvements sociaux contestataires.

Le Fonds social pour le climat (FSC) aura droit à une enveloppe de 65 milliards d’euros sur la période 2026-2032, ayant pour source les recettes générées par la vente de quotas d’émission de gaz à effet de serre du second marché carbone (ETS2) propre au bâtiment et au transport routier. S’y ajoutera un cofinancement par les Etats membres de l’UE des mesures réalisées, à hauteur de 25 % : le Fonds social pour le climat aura donc un budget global de 86,7 milliards d’euros sur la même période.

Puisqu’en 2026 l’ETS2 ne sera pas encore actif, le fond sera financé la première année par les revenus obtenus de la mise aux enchères de 50 millions de quotas du marché carbone actuel, soit 4 milliards d’euros attendus directement prélevés, pour le coup, par l’Union européenne, puis répartis entre les Etats selon leurs besoins, Etats qui à leur tour les redistribueront aux ménages. Par la suite, ce seront les fonds circulant par le jeu des achats de droits d’émission qui seront taxés au profit du FSC.

De façon indirecte et complexe, l’UE déterminera bien le prélèvement d’une taxe progressive sur les ménages. Une fois le principe accepté, on n’est plus dans un contexte de nature mais de degré : non pas de contributions des Etats souverains mais de prélèvements sur les citoyens et les entreprises, le risque étant de voir leur nombre et leur importance se démultiplier.

Surtout, de tels mécanismes montrent qui est roi, qui exerce le pouvoir, qui possède le droit – ou se l’arroge – de prélever l’impôt. Les traités européens n’autorisent pas aujourd’hui l’UE à taxer directement les citoyens ou les entreprises. Mais elle est en train de le faire en entrant par la petite porte. En attendant une taxe carbone globale ?

 

Jeanne Smits