Le cardinal archevêque de Paris a donné une longue interview à La Croix pour évoquer la laïcité telle qu’elle se pratique et s’utilise en France dans le contexte des attentats de Paris du mois de janvier. Première surprise (mais est-vraiment une suprise ?) le cardinal André Vingt-Trois n’est pas loin de s’aligner sur la mobilisation du 11 janvier.
« De cet épisode, il reste cependant le sentiment réconfortant que, dans une situation de grande crise, les gens qui ne bougent généralement pas de chez eux sortent dans la rue au nom de valeurs jugées suffisamment essentielles pour qu’on ne les abandonne pas au seul jeu politique », affirme le cardinal.
Il avait été moins affirmatif au sujet des « Manifs pour tous » qui avaient mobilisé des millions de personnes, au fil des mois, pour défendre le socle de toute société humaine : le mariage et la famille. Mais sa prudence d’expression est bien connue…
La laïcité, une valeur du 11 janvier ?
Et quelles sont donc « ces valeurs du 11 janvier », l’interrogent les deux journalistes de La Croix, Bruno Bouvet et Samuel Lieven. Réponse : « La liberté d’expression et l’opposition à toute agression délibérément antisémite. Ce sont là deux éléments constitutifs de l’identité française et républicaine. » Il est bien révolu, le temps où l’enseignement de Grégoire XVI dans Mirari Vos dénonçait la liberté de la presse comme « funeste » et « exécrable » en ce qu’elle revendique le droit de répandre des « monstres de doctrines » et des « prodiges d’erreurs » était compris par le catholique moyen…
C’est bien cette liberté sans frein qui a permis de gangrener dans la société tout entière ce qui restait d’attachement commun à la loi naturelle.
Cela ne veut pas dire que le cardinal Vingt-Trois n’est pas attaché au respect de la loi naturelle. Mais que l’air du temps, et une fausse conception de la liberté, ont insidieusement gauchi le discours public de bien des autorités religieuses.
Dans “La Croix”, le cardinal Vingt-Trois plaide pour la liberté d’expression
Il poursuit : « La caricature, comme manière à la fois comique et grave de pointer des enjeux de société, est une pratique ancienne qui est inscrite dans notre culture. Cela dit, on ne peut fonder une culture exclusivement sur la caricature. Le risque serait d’entrer dans une spirale de la dérision et de l’agression permanente dont on voit bien les dégâts qu’elle produit dans la vie publique. Ce n’est pas la caricature qui engendre la communion entre les Français. »
Est-ce un tel discours ampoulé que les catholiques de France attendent du cardinal de Paris ? Les caricatures de la Très Sainte Trinité et de la Mère de Dieu, publiées par Charlie – et que la simple décence empêche de décrire ici – sont-elles une « manière comique et grave de pointer des enjeux de société » ? Non : la caricature peut croquer les hommes, toujours pécheurs, toujours susceptibles de critique, mais elle n’a pas à viser ce que les hommes ont de plus sacré. Mieux : ce qui est véritablement sacré. Pas de liberté sans vérité, en effet.
La religion ne menace pas la paix, affirme le cardinal Vingt-Trois
Nous voulons bien, avec le cardinal, que « les racines réelles de la barbarie » n’aient « rien de religieux » ; que nous soyons « avant tout confrontés au délire politique de groupes qui veulent s’accaparer la société au service d’une vision totalitaire : exécutions, terrorisme, destruction d’œuvres d’art ». Le cardinal précise : « A vouloir expliquer la barbarie uniquement par les excès d’une religion, on alimente le vieux fantasme selon lequel la société serait plus paisible si personne ne croyait en rien. »
L’air est connu : il est chanté par l’ONU et l’UNESCO, sur l’air de John Lennon – « Imagine there’s no heaven, and no religion too »… (Imaginez qu’il n’y ait pas de ciel, ni de religion non plus…) Extirper la religion du cœur de l’homme, rejeter Dieu, c’est ouvrir la porte aux pires totalitarismes qui soient. Mais le propos du cardinal manque de précision : il y a des religions barbares, qui se trouvent être barbares parce qu’elles sont fausses. Voilà un langage qui ne s’accorde pas non plus avec la laïcité, qui au mieux, laisse faire les religions, et au pire les persécute.
La laïcité, facteur de cohésion ? Cela dépend des temps…
Certes l’heure est complexe. Comment obtenir la « cohésion sociale » de visions du monde aussi divergentes que celles de la culture française chrétienne et celle de la culture musulmane qui est à la fois politique et religieuse ? Vouloir l’imposer « en imposant un enseignement scolaire sur la laïcité est une dangereuse utopie », souligne le cardinal Vingt-Trois. Pour lui, la laïcité est « une pratique de la vie commune construite sur le respect mutuel » – ce qui est bien éloigné de la pratique effective de la laïcité, depuis la Terreur… « Personne ne fera renoncer les gens à ce qu’ils croient sous prétexte que la République est laïque », assure le cardinal. Elle s’y emploie pourtant avec énergie – et avec un succès que l’on mesure mieux en prenant un recul de deux siècles.
Pour le cardinal, le plus important est d’« accueillir chacun avec ses convictions ». C’est peut-être une manière – hasardeuse – d’obtenir une paix sociale, mais pour un prélat de l’Eglise, un successeur des apôtres, revêtu de la pourpre du sang des martyrs, le conseil est un peu court. On se réjouit de le voir nier à l’Etat le droit de fixer le contenu des religions, que ce soit la religion catholique ou la religion musulmane (puisque Valls et Cazeneuve veulent réformer l’islam…) : « C’est très bien de vouloir rassembler les religions, mais à condition de faire droit à ce qu’elles représentent réellement. Nous ne sommes pas les auxiliaires religieux de la République. » Mais il est impossible de « rassembler les religions », sinon sur le plan naturel et autour des vérités naturelles qu’elles défendent plus ou moins parfaitement. Ou alors on tombe, nécessairement, dans le syncrétisme.
La caricature au nom de la laïcité, forme de persécution
Le cardinal Vingt-Trois conclut – et ce faisant il contredit de fait ses propos sur la liberté d’expression et la caricature – en posant une question de droit : « Peut-on impunément tenir des propos orduriers sur les gens et sur leur croyance sans recours judiciaire possible ? » Et il poursuit : « Par ailleurs, la dérision accompagne d’une certaine façon le christianisme depuis ses débuts. “Heureux si l’on vous persécute en mon nom…” Un Évangile qui ne suscite plus aucune résistance n’augure pas grand-chose de bon. »
Oui, la persécution est notre lot, mais ce n’est pour cela qu’il faut la justifier au nom de la laïcité ou de la liberté d’expression. Nous avons le devoir d’aimer nos ennemis – pas de leur donner raison.