Le catholicisme zombie, pure extravagance de sociologue en mal de publicité ou notion reflet d’une certaine réalité ?

Catholicisme zombie Emmanuel Todd Charlie
 
Il a beaucoup été question, dans la sphère intellectuelle française, de l’étrange concept de « catholicisme zombie ». En effet son inventeur, Emmanuel Todd, sociologue, essayiste, l’a remis au centre des polémiques en l’utilisant pour justifier son blasphème, prudemment prononcé plusieurs mois après l’hystérie collective du 11 janvier 2015 : « Non, il n’a pas été Charlie ». Les « Charlie » auraient été des postcatholiques, pour ne pas dire des catholiques qui s’ignorent. La bonne conscience de gauche, caractéristique, qui a défilé le 11 janvier, a ordonné d’être Charlie sous peine d’être moralement exclu du corps civique, suivant sa « morale » si particulière. Etre qualifié de « catholique », ou y être assimilé, tient de l’insulte grave dans la gauche française. Quelques catholiques ont cru devoir répondre que non, ils n’étaient ni morts ni « zombies » donc ; mais ils ont été considérés comme hors-sujet, n’étant ni visés ni directement concernés par le débat.
 
Ce catholicisme zombie tient-il avant tout de la pure extravagance de sociologues en mal de publicité ou reflète-t-il une certaine réalité ? Quelles en seraient alors les limites ? 
 

Un catholicisme zombie d’Emmanuel Todd : essai de définition

 
Qu’est-ce que ce « catholicisme zombie » ? La notion remonte à 2013, tirée d’études sociologiques en principe sérieuses. A l’époque, M. Todd a constaté le détachement très large, sinon total, du catholicisme, de régions qui jusqu’aux années 1980-90 se distinguaient par une pratique catholique très supérieure à la moyenne, significative –avec un tiers, voire une moitié de messalisants. Or depuis, la pratique et la croyance catholique tendent à disparaître dans ces régions également, comme en Bretagne, en Vendée, au Pays Basque, etc., avec des églises désormais aussi vides qu’ailleurs, ou presque. Il y a eu dans cette expression nouvelle la volonté d’obtenir une résonnance médiatique maximale. Est-ce forcément illégitime ? Non, mais le terme employé, « zombie », n’est pas flatteur. M. Todd entend évoquer un postcatholicisme persistant, c’est-à-dire des habitudes sociales et comportementales, hors de toute pratique religieuse, distinguant le postcatholique du matérialiste moyen. Le catholique zombie serait un stade avancé du long processus de sortie des valeurs issues de la Religion, mais non sa phase terminale. Un terme autre que « zombie » n’aurait pas créé de telles polémiques, explicitement recherchées par l’auteur.
 

Charlie est-il un zombie ?

 
Le terme « zombie » vient du créole français d’Haïti, se rattache à l’univers de la sorcellerie vaudoue, et désigne à l’origine des spectres supposés apparaître sur convocation du sorcier (sens original de 1846 en français) ; par extension, il désigne des morts-vivants. Le zombie au sens moderne et universel, fait son apparition dans le cinéma d’horreur en 1968, avec The Night of the Living Dead, soit La Nuit des Morts-Vivants : il est en effet un corps plus ou moins décomposé qui se relève de façon monstrueuse et attaque les vivants. Le vivant tué, ou souffrant d’une blessure mortelle, deviendrait un zombie. Leurs morsures seraient contaminantes. Les zombies sont réputés fort dangereux, très difficiles à tuer – étant déjà morts – mais d’une intelligence limitée, voire nulle. Ne subsisteraient au mieux que de vagues souvenirs d’une existence humaine passée, et des comportements mimétiques de cette vie. En ce sens, M. Todd a cru bon de qualifier un postcatholique de catholique zombie. Il a réussi un coup médiatique, et le zombie, présent dans des milliers de films et téléfilms, pour la plupart de qualité fort discutable, évoque, pour toute personne née après 1970 et vivant dans le monde occidental, une référence évidente. Il est vrai qu’elle n’est guère flatteuse pour les postcatholiques, le terme de zombie pouvant maintenant les qualifier de crétins irréfléchis, suivant sans en avoir conscience des réflexes pavloviens et des comportements catholiques. Ils ont au fond été les plus vexés, preuve d’ailleurs qu’ils existent, tandis que le catholique, croyant et pratiquant, pleinement conscient d’obéir aux commandements et Dieu et de l’Eglise suivant des choix réfléchis, conscients, n’a rien d’un zombie.
 
Le catholique zombie posséderait une véritable valeur-travail. Le pur matérialiste, on n’ose dire le marxiste zombie, tendrait à considérer le travail comme un mal inévitable, évaluant sa rentabilité par rapport au non-travail dans un calcul rendu difficile pour les bas salaires par les prestations sociales. Considérer qu’il faut travailler paraît une considération éthique issue du catholicisme. Cette valeur aiderait à comprendre le taux de chômage plus bas de l’Ouest de la France. A quoi s’ajouterait aussi un patronat plus proche des ouvriers, insistant sur la cohésion morale de l’entreprise et sur l’apprentissage. Soit, ici encore, une préoccupation sociale éthique issue du catholicisme. Plutôt que de s’en indigner, il serait souhaitable de voir dans cette expression une reconnaissance du rôle économique et social important et utile des valeurs catholiques. Il serait regrettable que ce postcatholicisme et le détachement des valeurs de leur fondement métaphysique conduisent à terme à leur disparition, comme tombent les feuilles vertes d’un arbre déraciné.
 
Le catholicisme zombie induirait d’autres des comportements éthiques : les populations concernées se suicideraient moins et divorceraient moins. Des comportements naturels subsistent quelque temps même après l’oubli du surnaturel. Il est fort à craindre qu’ils disparaissent aussi à terme.
 
Ainsi, les foules de Charlie auraient été des catholiques zombies. Sans trop réfléchir, par réflexe, beaucoup ont défilé. L’Humanité aurait été attaquée au travers du journal satirique. Le raisonnement est un peu court. Les manifestations ont en effet rappelé les embrigadements totalitaires. Les opposants, qui n’ont certes pas toujours fait preuve du meilleur goût, ont été poursuivis comme des blasphémateurs par les catholiques zombies. Pour l’exemple précis de Charlie, ce concept paraît fonctionner, définissant l’adhésion – être Charlie – comme la non-adhésion – ne pas l’être : les premiers seraient des catholiques zombies et les seconds des populations qui n’ont jamais été catholiques – lourde formulation pour ne surtout pas dire musulmanes. S’il y a là une part de vérité, est-ce si simple ?
 

De nécessaires limites à ce concept voulu largement explicatif de la France d’aujourd’hui

 
Ce catholicisme zombie paraît donc recouvrir quelque réalité. Toutefois, outre le terme disgracieux et peu flatteur choisi sans guère d’innocence, faut-il accepter sans réserve cette notion, quitte à reprendre celle plus neutre et respectueuse, de postcatholicisme ?
 
Or, ce catholicisme zombie se dissout fort bien dans un millénarisme de gauche et plus particulièrement dans sa version matérialiste. Chanter l’égalité, la fraternité, ou même la liberté, peut être vu comme une manifestation de vertus chrétiennes certes, mais surtout de « vertus chrétiennes devenues folles », selon le mot juste de Chesterton. Elles ne sont plus aucunement orientées vers Dieu, d’où la folie. Charlie est explicitement athée. Ainsi se multiplient des absurdités manifestes, comme admettre parfaitement, sans aucune réserve, le « droit » à l’avortement au nom de la liberté humaine en général, ou des femmes en particulier : pourtant l’enfant à naître n’est-il pas aussi un être humain ? Quelle est donc sa liberté à lui ?
 
Ces grands principes débouchent aussi sur une hypocrisie formidable et un décalage complet entre les discours et les comportements : au nom de la fraternité, on évoquera une sacro-sainte mixité « sociale », pour ne pas dire ethnique, que subiront les pauvres dans certains quartiers, tandis que les Tartufes pratiquent de facto une ségrégation géographique en habitant dans d’autres quartiers, souvent plus riches. Même les enseignants du secteur public, massivement de gauche –au moins à 90%- sont pour leurs enfants les champions du contournement de la fameuse carte scolaire obligatoire, si fraternelle, trouvant l’option rare permettant d’obtenir le bon lycée public, voire, et c’est aussi fréquent qu’indicible, privé. Un zombie malhonnête serait-il si bête ? L’hypocrisie est détestable, mais témoigne d’une intelligence, certes pervertie.
 
Certes, il est vrai que les postcatholiques reprennent souvent avec le plus d’enthousiasme le ton de moralisation insupportable de la gauche avec un mode d’expression de prêcheur particulier. Mais il n’est pas parfaitement évident qu’ils se distinguent de l’ensemble. Il en est de même pour l’accusation facile de « totalitarisme », qui serait typique de zombies sommant d’être Charlie. La Corée du Nord ne doit absolument rien au catholicisme, et forme le totalitarisme le plus abouti aujourd’hui. La sommation de suivre de grands enthousiasmes collectifs correspond à la mentalité socialiste et communiste en général, sans qu’il besoin d’invoquer quelque postcatholicisme.
 
Quant à la fameuse polémique sur Charlie, qu’en est-il vraiment ? Les catholiques zombies ont beaucoup défilé, nettement plus que la moyenne des Français. Mais cette interprétation sur les variations significatives du succès des marches en hommage à Charlie occulte un fait essentiel, encore plus tabou dans la gauche intellectuelle qu’une lointaine et reniée origine catholique : la présence plus importante qu’ailleurs d’immigrés d’origine musulmane, qui sans approuver les assassinats, ne tenaient certainement pas à rendre hommage à des blasphémateurs de l’Islam. Ceci peut se comprendre. Curieusement les catholiques n’ont souvent pas voulu se souvenir des horribles blasphèmes récurrents de Charlie, beaucoup plus anticatholique qu’antimusulman. Les catholiques zombies n’ont pas assez de souvenirs du catholicisme pour être choqués, suivant le propos de Todd, assez logique là. A l’indicible question ethnique et pour le coup non plus postreligieuse mais religieuse –avec des convictions islamiques plutôt fortes de 8 millions de personnes en France-, s’ajoute aussi la dimension sociale : le phénomène Charlie est souvent perçu par les pauvres comme un enthousiasme de bourgeois de gauche, le terme essentiel étant bourgeois, donc ne les concernant nullement. L’abstention aux manifestations a donc pris une forme de protestation politique fort discrète par définition, mais significative. On s’étonnerait presque de voir des sociologues de gauche –presque un pléonasme tant cette discipline est gangrenée, détournée par l’idéologie dominante- ignorer complètement les facteurs sociaux, hier exclusifs –autre erreur contraire- dans la grille de lecture marxisante.
 

Le postcatholicisme rappelle la nécessité de l’évangélisation et de la transmission de la foi dans les familles

 
Ce postcatholicisme, dit catholicisme zombie par Todd, reste pertinent en sociologie pour étudier ces masses d’individus, plusieurs millions surtout dans l’Ouest de la France, voire le Nord et certaines anciennes Chrétientés isolées du Midi. Il rappelle la nécessité de l’évangélisation, dans une France devenue terre de Mission, y compris dans les derniers pôles de résistances catholiques au XXème siècle. Elle doit reposer sur l’énoncé ferme des vérités chrétiennes, dans toute leur spécificité. Au fond, la génération catholique progressiste précédente en insistant sur les valeurs humaines, du type solidarité, bonnes en soi, mais oubliant toute la surnature, a préparé le postcatholicisme de la génération suivante. C’est donc exactement ce qu’il ne faut pas faire ; les parents doivent donc enseigner à leurs enfants les prières et les pratiques religieuses régulières, en montrant l’exemple.
 

Octave THIBAULT

 
Livres à l’origine du débat sur le catholicisme zombie :
 
Qui est Charlie? Sociologie d’une crise religieuse, Emmanuel Todd, édition du Seuil, 2015, 243 pages.
 
Le Mystère français, Emmanuel Todd et Hervé Le Bras, coédition Seuil-La République des idées, 2013, 336 p., 17,90 €.