En Chine, où les taux de natalité s’effondrent, les bureaucrates rêvent maintenant de familles à trois enfants !

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Ils sont marrants ces Chinois… Après avoir imposé la politique de l’enfant unique, il ne leur serait pas inenvisageable d’imposer celle des enfants multiples ! Plusieurs entreprises du pays ont récemment tenté de jouer « les décideurs » de natalité en obligeant ou en aidant leurs employés à se marier. Une idée qui a été du goût du gouvernement puisque son média officiel, Le Quotidien du peuple a parlé d’une « nouvelle tendance du mariage civilisé » qui « mérite que l’on s’y attarde. »

Il faut dire que la démographie de la Chine sombre et que ses perspectives sont dramatiques. Maintenant, l’Etat communiste peut-il espérer obtenir aisément un revirement, quarante-cinq ans après l’implacable planification des naissances de Mao Zedong ? Après avoir disposé selon son bon vouloir du corps des mères, imposé des centaines de millions d’avortements forcés, des stérilisations clandestines, prétextant la nécessité du développement économique et du risque de surpopulation ? D’abord, il faudrait instaurer une tout autre politique financière, qui favorise véritablement les familles. Et tenter aussi de changer l’état d’esprit de ces nouvelles générations qui n’entendent pas vraiment faire de bébés.

 

Fonder une famille dans les trois trimestres à venir… pour le bien de la Chine !

Malgré une très légère hausse des naissances qui sont passées sous la barre des 10 millions depuis 2022, la population chinoise diminue pour la troisième année consécutive ; et c’est une première depuis la Grande Famine de 1958-1961, même s’il fallait bien s’y attendre. Les communistes de Mao Zedong voulaient une transition démographique rapide : ils l’ont eue, mais elle a dépassé leurs objectifs initiaux. Les Chinois ont adopté de manière durable ces choix de fécondité, aux antipodes des familles des années 1960 qui avaient, elles, de nombreux enfants (7,51 de taux de fécondité en 1963 contre 1,05 en 2022 selon des chiffres officiels).

Le déclin de la population chinoise s’accélère, l’inquiétude augmente. Et c’est précisément ce qui fait réagir certaines entreprises, soucieuses de contrer l’inéluctable. A chaque fois, leur cible est le mariage – parce qu’en Chine, socialement, on n’a pas d’enfant si on n’est pas marié (ou très peu : moins de 9 % des naissances y ont lieu hors mariage). Et en 2023, le nombre de mariages a chuté de 20 % par rapport à l’année précédente.

L’entreprise du secteur chimique, Shandong Shuntian Chemical Group, a fait ainsi circuler en janvier un mémo à l’attention de tous ses salariés célibataires âgés de 28 à 58 ans, nous apprend le New York Times : il leur enjoignait de se marier avant le 30 septembre prochain, sous peine de voir leur contrat résilié ! Devant la levée de boucliers sur les réseaux sociaux, la direction est revenue sur sa décision… le jour de la Saint-Valentin.

Si ce chantage était un peu gros, la chaîne de supermarchés Pangdonglai a été plus diplomate. Elle a demandé à son personnel de ne pas réclamer de « cadeaux », afin de réduire le coût des mariages (le marié verse habituellement à la famille de sa femme une dot qui peut s’élever à des dizaines de milliers d’euros). Elle a également exigé que le nombre de tables d’invités aux mariages des employés soit limité à cinq. Toutes ces mesures ont été imaginées pour limiter le coût d’un tel engagement qui représente bien souvent un frein pour les hommes.

 

Taux natalité : une préoccupation publique justifiant l’intervention de l’Etat ?

Les autorités n’ont peut-être pu soutenir l’ultimatum illégal de l’usine chimique, mais elles ont abondé dans le sens de Pangdonglai qui rejoint, par la mise en place de ces mesures, leurs nouveaux désirs « natalistes ». En effet, de plus en plus, une certaine pression sociale se fait jour de la part du gouvernement. Le NYT raconte que les autorités n’ont pas hésité à aller rendre visite aux femmes à leur domicile pour leur demander si elles envisageaient de tomber enceintes. Elles ont appelé à la création d’une « atmosphère sociale favorable à la fertilité », y compris sur les lieux de travail.

Mais si dans le sens de la réduction du nombre d’enfants, les moyens autoritaires peuvent malheureusement faciliter les choses (les communistes ont très bien su faire), il n’en est pas de même quand on veut l’augmenter.

Y a -t-il seulement, en Chine, une vraie politique familiale incitatrice ? « Nous devrions encourager activement un nouveau type de culture du mariage et de la procréation » avait déclaré le président Xi Jinping, lors du congrès national des femmes de 2023. Mais y a-t-il un programme qui draine une politique de logement favorable aux familles, offre un cadre d’allocations systématiques, une exemption totale ou partielle de l’impôt sur le revenu ?

La Hongrie est parvenue à réinstaurer une telle politique depuis 2010, bien que la conjoncture économique rende difficile son appréciation. Mais l’Etat chinois, au fur et à mesure qu’il « réautorisait » le deuxième (en 2016), puis le troisième enfant (en 2021), n’a développé que fort peu d’aides, et ce sont souvent les collectivités locales qui ont pris son relais : la ville de Tianmen, par exemple, a connu une augmentation de 17 % du nombre de nouveau-nés entre 2023 et 2024, en raison de nouvelles mesures financières incitatives importantes.

L’agence de presse nationale Xinhua a annoncé, ce 5 mars, que l’Etat allait élaborer des politiques favorisant la natalité et octroyer des allocations familiales : nous verrons ce qu’il en est réellement.

 

Les familles avec enfants ont été, en réalité, les cibles

Et puis même les espèces sonnantes et trébuchantes ne font pas tout : reste à persuader les jeunes générations chinoises qui ont adopté un modèle capitaliste de consommation profondément individualiste. Les femmes, en particulier, disent non, comme nous le rapportions en octobre dernier, fuyant cette dépendance comme la peste ou consacrant tellement d’argent à leur enfant unique qu’il leur est impensable d’aller plus loin.

Il y a un conformisme social désormais établi qu’il va être difficile de renverser. Même les membres du Parti ne donnent pas vraiment l’exemple de ce qu’ils prônent, avait fait remarquer, en 2021, un éditorial de China Reports Network qui n’avait tenu que quelques heures en ligne…

Le slogan « ni mariage, ni enfant » est devenu l’étendard de nombre de jeunes, comme d’ailleurs dans le reste des pays dits développés : l’Occident a ses DINK (Double Income, No Kids : double salaire, sans enfant). Et même lorsqu’ils en veulent bien, ils retardent de toute façon le moment de procréer. Quand on vous donne tous les moyens de la culture de mort depuis un demi-siècle, ceux qui font le choix de la vie, donc de la joie mais aussi des difficultés qui vont avec, se font plus rares que les autres.

Pourtant, comme le notait l’article paru sur le site en ligne Mercator, la démographie est aujourd’hui la véritable épée de Damoclès pour l’humanité. Il cite l’économiste Jesús Fernández-Villaverde qui juge que les projections de l’ONU sont trop optimistes et ne tiennent pas pleinement compte de l’accélération du déclin : la population mondiale atteindra selon lui son maximum vers 2055, puis commencera à décliner, et il est probable que cela se produise à un rythme rapide.

La Chine a perdu beaucoup, beaucoup de temps… et des centaines de millions d’enfants.

 

Clémentine Jallais