L’industrie du divertissement, dont le cœur bat à Hollywood (La La Land pour les initiés) a lancé ce week-end une offensive mondiale contre Donald Trump. A la cérémonie des Oscars, et à celle des Césars, où George Clooney et Jean Dujardin ont fait leur devoir militant de citoyens du monde contre la bête populiste.
Même quand on ne déteste pas Donald Trump, on s’agace parfois, et on s’étonne, que l’homme le plus puissant du monde passe des heures à twitter, la nuit, le jour, à tout bout de champ. La raison en est pourtant assez facile à trouver si l’on relève en même temps ses sorties récurrentes contre les médias orientés et falsificateurs : c’est qu’il a identifié un adversaire cohérent, que l’on pourrait, par analogie avec le complexe militaro-industriel, nommer complexe information-divertissement, agrégat d’intérêts, de préjugés et de comportement opposé au « populisme » qu’il représente. Pour se défendre de cette entité ennemie, il s’adresse aux réseaux sociaux, faisant la même analyse que Marine Le Pen, « le vrai contre-pouvoir, c’est internet ».
Trump dans le collimateur de l’industrie du divertissement
C’est fort de cette conviction que ses partisans ont monté une opération sur les réseaux sociaux contre ce qu’ils nomment « l’aristocratie libérale d’Hollywood », ou le « parti des limousines allongées », les amateurs de caviar aux idées généreuses qui se gardent de s’informer des vrais problèmes des gens. Ayant relevé la charge menée contre Trump voilà quelques semaines aux Golden Globe Awards par Meryl Streep sous couleur de féminisme, charge qui a été suivie d’une véritable floraison mondiale de manifestations de femmes contre Trump, un groupe Facebook conservateur a contre attaqué. Ce groupe, nommé Tempe Republican Women aposté un texte dont voici l’extrait le plus significatif : « Il ne fait pas de doute que l’industrie du divertissement (« entertainment », en anglais d’Amérique, recouvre un champ très large, des jeux au spectacle) fait plus pour exploiter, amoindrir, et stéréotyper la femme que Trump. » Ce qui n’est pas niable et implique deux choses : un, Hollywood, alias La La Land, ferait mieux de balayer devant sa porte avant d’attaquer Trump, et deux, s’il ne le fait pas, c’est qu’il entre dans un processus militant, politique, contre le nouveau président.
Après les Golden globes, les Oscars : La La Land ne lâche rien !
Cela non plus n’est pas niable. Après les innombrables interventions d’acteurs, de scénaristes, de réalisateurs, d’humoristes, avant, pendant et après la campagne présidentielle, après la bronca anti-Trump menée par Meryl Streep aux Golden Globe Awards, la cérémonie des Oscars en a donné une nouvelle preuve. D’emblée le présentateur Jimmy Kimmel a donné le ton : «Bienvenue aux spectateurs américains et à ceux des 220 pays qui nous détestent aujourd’hui.» Les invités ont suivi, préférant toutefois le registre de l’allusion lourdingue à celui de la philippique qu’avait choisi naguère Meryl Streep. Ainsi le comédien mexicain Gael Garcia Bernal s’est-il présenté en « travailleur immigré et être humain», adversaire de « n’importe quel mur ». La La Land est bon public : il a été ovationné. Consigne avait été donnée de ne pas aller trop loin cependant, et notre confrère du Figaro, arbitre des élégances, s’est félicité que « ces 89ème Oscars (semblent) avoir trouvé un bon compromis entre divertissement et militantisme »
Clooney enrôle Dujardin dans une offensive mondiale
Sans doute les Césars visaient-ils le même équilibre. Le césar d’honneur a été décerné à George Clooney, militant démocrate anti-Trump bien connu. Il a fait un petit dégagement contre sa bête noire, traduit par Jean Dujardin (Brice de Nice, OSS 117) avec qui il est devenu copain voilà quelques années en tournant une publicité mondiale pour Nescafé. Il s’est posé en défenseur de la liberté dans un style littéraire et pompeux, avec pour idée centrale : « Les actes de ce président ont alarmé nos alliés et renforcé nos ennemis ». Rien de bien bouleversant on le voit, mais le vrai message était en fait le devoir militant que ressent Clooney, et qu’il a exprimé ainsi : « En tant que citoyens du monde, nous devrons travailler de plus en plus dur pour que la haine ne triomphe pas. » C’est dit : il existe une ardente obligation mondiale, pour l’aristocratie de La La Land, à lutter contre Trump et la bête populiste.
L’exemplarité mondiale de l’industrie du divertissement : des Césars aux Oscars
Dans leurs limousines allongées, les grandes consciences progressistes ont un cœur gros comme ça malgré leur vie « de rêve » – ou à cause de cette vie « de rêve » : Jordan Horowitz, le producteur de La La Land, a fièrement proclamé la mission pédagogique et la grandeur morale de l’industrie du divertissement : « Nos rêves seront les rêves de demain ». Elles accomplissent donc leur devoir militant contre Trump et pour l’avènement d’un monde meilleur. Elles participent à une opération mondiale qui inclut le Poutine Bashing global, ou la promotion sans frontière d’Obama : ainsi a-t-on vu un « collectif » spontané (?) proposer la candidature de l’ancien président américain à l’Élysée en 2017. En s’essuyant les pieds ostentatoirement sur la nécessité d’être citoyen d’un pays pour prétendre le diriger.
Tout cela contribue à la naissance d’un monde sans frontières. Le devoir d’ingérence naguère théorisé par Bernard Kouchner pour les États s’étend aux particuliers et aux associations. La gouvernance mondiale n’est plus un projet mais un fait qu’il ne s’agit plus pour ses partisans que de faire croître. La La Land en est à la fois le modèle et le fer de lance, l’industrie du divertissement couplée aux grands médias jouant le rôle de propagandiste
Couac aux Oscars : La La Land en plein narcissisme
Il n’est pas sûr pourtant que cela marche. Un couac magistral a eu lieu lors de la cérémonie des Oscars. Faye Dunaway et Warren Beaty, qui devaient remettre le prix du meilleur film, ont appelé l’équipe de La La Land, et l’on en était déjà aux remerciements quand ils se sont aperçus que le vrai vainqueur était un autre film, Moonlight.
Que cet autre film soit tout aussi politiquement correct que La La Land n’a aucune importance : l’anecdote montre que ce petit monde est complètement centré sur son nombril, déconnecté de la réalité. Le titre québécois de La La Land est d’ailleurs Pour l’amour d’Hollywood. L’oscar du meilleur film étranger a été remporté en 2012 par The artists, où jouait Dujardin, tout à la gloire de Hollywood entre les deux guerres. L’industrie du divertissement ne connaît qu’elle-même et se célèbre elle-même à l’infini. Son souci militant n’est qu’une grimace qui sert à compenser la « mauvaise vie » qu’elle mène et donne en modèle, pour reprendre la terminologie de Frédéric Mitterrand.
Trop acharnés contre Trump, Dujardin et Clooney ont mal lu Marx
Ainsi La La Land se trouve coincé, les sorties d’un Clooney, d’un Dujardin, d’une Meryl Streep l’indiquent, dans une contradiction insoluble : il est frivole, narcissique, irréel, mais c’est ce que ses commanditaires lui demandent d’être, c’est à ce prix qu’ils peuvent vendre du rêve aux populations abêties. Et c’est parce qu’ils vendent ce rêve que sa voix est précieuse à la gouvernance mondiale. Ce qui fait que les acteurs, les producteurs et les autres sont de bons prescripteurs, c’est que l’industrie du divertissement paraît neutre, comme le sport.
Sans doute transmet-elle un message politique, et sans doute les plus conscients de ses hérauts sont-ils impatients de donner un contenu plus partisan, plus conceptualisé à leurs paroles. Ainsi François Ruffin a-t-il attaqué le patronat lors des Césars, déplorant que le gouvernement ne fasse pas assez pour le soumettre, ainsi Meryl Streep, George Clooney et Jean Dujardin ont-ils égratigné Donald Trump. Mais cela peut être contre-productif : de même qu’un publi-reportage, pour faire de la bonne publicité, doit garder les apparences d’un vrai reportage, de même l’industrie du divertissement ne doit-elle pas prendre un aspect militant pour que sa propagande passe bien. Clooney, Streep et Dujardin ont mal lu Marx et Gramsci : bien sûr, il faut investir le culturel, mais en douceur, presque en douce. L’idéologie dominante ne doit pas être détectable par ceux qu’elle dirige.
Pauline Mille