Tous ceux qui s’affirment prêts à prendre le pouvoir en France après les élections européennes et législatives envisagent de le faire au nom d’une coalition, qu’elle soit ouvertement minoritaire comme le Nouveau Front populaire qui va du Nouveau parti anticapitaliste aux socialistes indépendants mais auquel il manque plus de cent sièges pour atteindre la majorité, ou qu’elle fabrique celle-ci par des accords improbables, comme Ensemble, qui louche à la fois sur sa gauche et sur sa droite. Beaucoup, à gauche et dans les journaux, s’en réjouissent. La Croix se félicite que l’Assemblée redevienne le centre de la vie politique. Le Monde vante la « culture du compromis » en Allemagne, celle du consensus à l’ONU ou dans les collectivités locales. Beaucoup notent que les coalitions sont pour nos voisins européens un mode de gouvernement usuel, et qu’il en existe une grande variété. Sans être la panacée, ce serait une manière d’éviter les catastrophes en période de tension et d’avancer malgré une opinion émiettée. D’ailleurs, font observer les historiens réquisitionnés au secours de cette thèse, la troisième République entre les deux guerres a le plus souvent gouverné par coalitions. Précisément, ces arguments se retournent contre leurs auteurs, car l’expérience montre que les coalitions sont une fabrique féconde de catastrophes.
Les coalitions gouvernent autoritairement
Les coalitions peuvent gouverner sans que tous les partis qui forment la majorité soient au gouvernement : ce fut le cas du Cartel des gauches en 1924 ou la SFIO choisit le soutien sans participation, ce que fit aussi le PC lors du Front Populaire en 1936. Les coalitions peuvent même gouverner sans majorité, ce que vient de faire Ensemble depuis les législatives de 2022, en tâchant de trouver une majorité au coup par coup sur tel ou tel projet (comme avec LR sur la loi immigration), ou en engageant la majorité du gouvernement par le troisième alinéa de l’Article 49 de la Constitution, la loi étant adoptée sans vote si aucune motion de censure n’est votée. Dans l’opposition, tout le monde critique cette procédure, au pouvoir, tout le monde l’utilise. Le tableau récapitulatif de l’usage qu’en ont fait les premiers ministres depuis 1958 montre que ce sont les Premiers ministres de centre gauche qui l’ont le plus utilisé : Michel Rocard 28 fois et Elisabeth Borne 23 fois, alors que Balladur et Villepin ne s’en sont servi qu’une fois et Michel Debré 4. Aujourd’hui, non seulement les deux coalitions prétendant au pouvoir sont divisées (la droite du PS a peu d’affinités avec LFI et la gauche de Renaissance n’envisage nul dialogue avec les Républicains, même anticiottistes), mais aucune majorité ne semble possible sur aucun projet. Cela d’autant plus que le RN vient d’annoncer par la voix de Marine Le Pen qu’il censurerait tout gouvernement où entreraient LFI et les écolos.
Même folkloriques, les coalitions étouffent la voix du peuple
Mais même si la situation était moins instable et bloquée, ni l’observation de nos voisins, ni le rappel de notre histoire ne porte à penser que les coalitions puissent être la panacée. La Belgique s’enorgueillit tristement du plus grand nombre de possibilités d’alliances entre divers lapins et diverses carpes. Wikipédia en répertorie vingt, plus que de parfums de glaces chez Bertillon, et la dernière, la coalition Rocket, qui tire précisément son nom d’une glace, a été envisagée en Flandre après les élections régionales de 2024. Il y en a de très poétiques, la Vivaldi, la coquelicot, la lilas, l’olivier, la suédoise, la bourguignonne, la portugaise, la Jamaïcaine, la rouge romaine, la violette, la turquoise et même l’arc-en-ciel, et le très explicite cordon sanitaire formé par l’ensemble des partis « classique » pour contrer à Anvers le parti nationaliste flamand Vlaams Belang. La recette, on le voit, est internationale.
Une fabrique de catastrophe économique et de société arc-en-ciel
Ce qui frappe l’observateur, c’est que cette grande variété d’arrangements politiciens entre partis n’empêche ni l’instabilité, ni le blocage du pouvoir (657 jours sans gouvernement, record mondial), ni surtout le déclin et la division du pays, la paupérisation de la Wallonie, la socialisation de l’économie, l’affaiblissement de l’industrie, la montée des impôts, l’endettement, l’invasion migratoire, l’inféodation à l’Union européenne et à l’OTAN, etc. Bref, la culture du compromis et la floraison des coalitions ne règle aucun des problèmes politiques, économiques et sociaux qui se posent aux Belges. En outre, et peut-être surtout, le consensus si difficile et instable s’acquiert d’abord sur les faits de sociétés, c’est-à-dire les mœurs : la Belgique est pionnière en matière d’inclusion, LGBTQ, de droit à l’avortement et à l’euthanasie. Bref, quelle que soit la couleur choisie par la coalition, toutes mènent au déclin national (ou plutôt maintenant fédéral) et à la victoire de la révolution arc-en-ciel, et aucune ne prend en compte les besoins des peuples.
En Allemagne non plus ce n’est pas la panacée
Pour ne pas faire trop long, j’ajoute vite qu’il en va de même en Allemagne, où le recul d’une industrie naguère prospère va de pair avec l’invasion, la déchirure sociale, la division des communautés, la dénatalité, ce qui explique la montée régulière de l’AFD malgré sa diabolisation. Si l’on examinait les pays scandinaves, on verrait que les coalitions ne donnent pas plus de réponse sérieuse aux problèmes qui se posent à tous les peuples d’Europe et mènent au même déclin, au même asservissement et à la même déchéance morale. A l’inverse, on le voit en Hongrie, on l’a vu un temps en Pologne, les gouvernements jouissant d’une bonne majorité autour d’un parti dominant, donc d’un programme cohérent fortement soutenu par le sentiment populaire peuvent améliorer les choses. Même quand le gouvernement a besoin d’une apparence formelle de coalition, comme en Italie, ce qui compte, c’est la force du parti dominant et l’assentiment profond du peuple autour du programme qui assurent la cohésion de la majorité – un peu à la manière des gouvernements forts allemands de naguère portés par la pseudo-coalition CDU-CSU (c’est-à-dire deux faces d’un même parti chrétien-social) : des décisions peuvent être prises sans compromis permanents, avec pour seul arbitre le vote populaire.
L’histoire des coalitions c’est le « désastreux régime des partis »
L’histoire de la troisième République confirme qu’en France, où la « culture du compromis » triomphait alors dans toute sa splendeur, les coalitions furent entre les deux guerres une formidable fabrique de catastrophes. Ce n’est pas pour rien que le général De Gaulle y conçut une grande horreur pour « le régime des partis » et qu’il demanda à Michel Debré en 1958 une Constitution donnant les coudées franches à l’Exécutif. Ce n’est pas pour rien non plus que le président du Conseil Paul Reynaud, promoteur d’une coalition dite d’union nationale, à bout de compromis et d’impuissance, après un désastre militaire qu’il n’avait ni vu venir ni su empêcher, passa le pouvoir, à bout de nerf et d’expédients, au maréchal Pétain le 16 juin 1940. Ce n’est pas pour rien enfin que la chambre et le Sénat du Front populaire, réunis en congrès à Vichy le 10 juillet suivant, donnaient les pleins pouvoirs au même maréchal. Le désastre où ils avaient mis la France les écrasait, de sorte que, conspués par le peuple et conscient de la faillite de leurs tambouilles, ils couraient se réfugier sous l’aile d’un pouvoir qu’ils espéraient fort pour faire oublier ce qu’ils avaient fait.
Au bilan, la guerre et la catastrophe
Et le bilan des coalitions au pouvoir depuis la victoire dans la grande guerre jusqu’à l’effondrement de 40 était en effet accablant. Du point de vue financier, elles n’avaient jamais su régler la question des dettes, celles de l’Allemagne à titre de réparations, celle de la France auprès des banques anglaises et américaines. Elles n’avaient jamais su tenir tête à nos anciens alliés ni conserver les garanties nécessaires face à l’Allemagne, et cela bien avant l’arrivée au pouvoir d’Hitler. Elles n’avaient jamais su imposer une juste fiscalité sur les profits de guerre et d’après-guerre pour équilibrer les comptes de la nation, développer l’agriculture et mener une politique sociale équitable, s’en tenant à une habitude d’emprunts irresponsable qui devait amener des dévaluations spoliant les classes moyennes. Elles n’avaient jamais mené une politique militaire propre à assurer la défense du pays. Le Front populaire n’avait pas fait mieux que les autres, se payant le luxe d’un décret amnistiant la fraude fiscale tout en provoquant l’évasion des capitaux ! Le tout sur fond de démagogie et de dérivatifs divers, anticléricalisme, antimilitarisme, antiparlementarisme, permettant de dissimuler plus ou moins bien échecs, magouilles et lâchetés aux yeux de l’opinion. La catastrophe finale en découla nécessairement.