Commémorations du 70e anniversaire de la victoire sur l’Allemagne nazie en Russie : l’Europe absente – Cuba, la Chine et l’Inde aux côtés de Poutine.

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Les commémorations du 70e anniversaire de la victoire sur l’Allemagne nazie à Moscou sont devenues un événement politique. La presse a parlé du « boycott » de l’Europe, volontairement absente – une dérobade mi-fière, mi-excusée, aux arguments douteux et peu probants, que certains n’ont pas hésité à qualifier de « faute politique ». Cette défection mal digérée montre en effet la pusillanimité européenne et en particulier française, face aux impératifs américains. Elle met aussi en valeur l’engagement et le soutien réels de la Chine et de l’Inde aux côtés de la Russie.
 
Vladimir Poutine a fait ça en grandes pompes : ce furent les commémorations les plus importantes depuis 1945. Le 9 mai – la Russie a retenu cette date en raison de la seconde capitulation allemande signée ce jour à Berlin – la fin de la « Grande guerre patriotique » fut saluée sur la place Rouge, avec des fastes inédits. 16.000 soldats russes, près de 200 véhicules blindés, 143 avions et hélicoptères, sans compter les nouveautés de son matériel militaire « de défense », des missiles S400 aux tout nouveaux chars Armata T-14, présentés comme les plus puissants du monde par son constructeur. Un concert patriotique auquel se sont jointes bon nombre de villes russes.
 

Absence des chefs d’état de l’Europe aux commémorations de la victoire de 45 : les dindons de la farce ?

 
Démonstration de force, posture de combat. La presse européenne n’a pas mâché ses mots pour caractériser les festivités de cet événement mémoriel auquel étaient invités les chefs d’État de 69 pays. Mais qui ont été boudées par plus de la moitié, la palme revenant à l’Europe dont aucun chef d’État n’a répondu positivement, excepté celui de la République tchèque.
 
La France avait envoyé son ministre de la défense, Laurent Fabius, qui s’est défilé juste avant la parade, évitant ainsi de s’afficher à la tribune des officiels. Ce, alors que le 6 juin dernier, Vladimir Poutine s’était rendu lui-même en Normandie… Une décision largement critiquée en France où se fait sentir un vent plus russophile. Jean-Luc Mélenchon – on ne s’en étonnera pas – a carrément critiqué la « faute politique autant qu’historique » du président français. Une bonne partie de la droite a soulevé aussi l’« affront », de Gérard Longuet à Jacques Myard, sans compter le mouvement de Dupont-Aignan et le FN.
 
Mais ce n’est pas dans l’air du temps au gouvernement, qui cherche plutôt en ce moment à revendre les deux navires de guerre Mistral commandés par la Russie, en 2011, au constructeur naval français DNCS/STX pour un montant de 1,2 milliard d’euros et dont Paris a cassé le contrat au motif du rôle de Moscou en Ukraine… (la Chine serait, en passant, un acheteur sérieux).
 
La fronde n’a pas empêché Poutine de remercier « les peuples de Grande-Bretagne, de France et des États-Unis pour leur participation à la victoire ».
 

L’Allemagne et son arrangement bancal

 
L’Allemagne, en revanche, a participé à la session de rattrapage ! Angela Merkel s’est rendue à Moscou le lendemain des grandes cérémonies – une issue diplomatique bancale qui n’a néanmoins pas déplu au chef d’État russe, l’ambassadeur de Russie à Berlin a même parlé d’un « geste de réconciliation ». Elle est allée déposer une gerbe sur la tombe du Soldat inconnu, rendant hommage à l’Armée rouge et à son « rôle décisif dans la libération de l’Europe ». Puis s’est entretenue avec Vladimir Poutine au sujet des relations bilatérales entre la Russie et l’Union européenne (UE) et de la situation en Ukraine. Évoquant les menaces russes en Crimée, mais soulignant aussi la nécessité du rapprochement des espaces économiques de la Russie et de l’UE. De fait, il est tout dans l’intérêt de l’Allemagne de se tourner vers cet « Est » attractif, et bien des parlementaires allemands ont récemment plaidé pour la fin de la russophobie.
 
Seulement il est un « grand frère » qui n’y tient pas du tout. Il faut parler des États-Unis qui ne cessent d’écarter l’Allemagne et toute l’Europe des bras tentants de la Russie. Des États-Unis qui n’étaient pas à Moscou à regarder défiler la parade, mais soignent leurs relations avec Poutine malgré leur bras de fer en Ukraine – une Ukraine qui a changé toutes ses habitudes de commémorations cette année afin de se disjoindre des festivités russes : le 8 mai au lieu du 9, des coquelicots – symboles anglo-saxons – au lieu des rubans de Saint-Georges, et plus de « grande guerre patriotique » à la russe, mais une simple Seconde guerre mondiale…
 

Cuba, la Chine et l’Inde, aux côtés de Poutine

 
De toute façon, Poutine était suffisamment bien entouré… Si Le Journal du dimanche a titré « Poutine seul sur sa place Rouge », les personnalités présentes sous le daim des officiels l’ont assez démenti. Outre onze chefs d’État africains, une douzaine de chefs d’État asiatiques et le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, Vladimir Poutine a accueilli les présidents cubain et vénézuélien ainsi que les numéros un de la Chine et de l’Inde – qui affirme ainsi face aux USA et à l’UE sa nouvelle « autonomie stratégique ». Cette conformation laisse entrevoir la force croissante de l’entente des pays du BRICS et la réalité du modelage géo-politique de l’Asie, sous l’égide économique de la Chine et dans une évolution post-communiste générale.
 
Presque une photo de famille, en fait.
 

Clémentine Jallais