La Haute Cour de Londres a accepté pour la première fois de considérer un mariage islamique comme tombant sous le coup du droit matrimonial britannique malgré l’absence d’enregistrement civil de l’union d’un couple en voie de séparation au bout de 20 ans de vie commune. Cette reconnaissance du mariage selon la charia, le « nikah », fait couler beaucoup d’encre outre-Manche où l’on souligne les deux aspects de cette innovation : d’une part, la décision fait d’une certaine manière entrer dans le droit britannique les dispositions de la charia, mais d’autre part, il s’agit de protéger l’épouse en cas de séparation ou de divorce sur le territoire du Royaume-Uni. La charia, comme on le sait, favorise le divorce facile au profit du mari.
Nasreen Akhter et Mohammed Shabaz Khan avaient conclu leur union lors d’une cérémonie publique devant un imam dans un restaurant chic de Londres devant quelque 150 invités. Tous deux d’origine pakistanaise, ils ont vécu à Londres, Birmingham et Dubaï à la faveur des déplacements professionnels de M. Khan, homme d’affaires.
Le mariage islamique selon la charia considéré comme un mariage selon le droit britannique
Lorsque le couple a connu des difficultés, Nasreen Akhter a cherché à faire valoir ses droits en justice, mais s’est heurtée à l’argumentation de Mohammed Shabaz Khan qui a fait valoir l’absence de mariage, faute de cérémonie civile permettant d’attester de la légalité de l’union. Manière de renvoyer Nasreen Akhter devant une cour islamique – comme cela se fait déjà couramment au Royaume-Uni – où la femme, en cas de divorce, est souvent contrainte à d’importantes concessions, notamment sur le plan matériel. De fait, en l’absence de mariage légal, les femmes mariées selon le seul régime de la nikah ne bénéficient d’aucune protection légale selon le droit britannique.
Cela pourrait bien changer avec la décision du juge de la Haute Cour puisqu’il a tenu compte du fait que les deux époux se sont toujours mutuellement présentés comme tels, qu’ils ont vécu comme mari et femme, que leur statut de couple marié a été reconnu par les Emirats Arabes unis, et qu’ils avaient à l’égard de leur union les mêmes attentes que les époux mariés sous le régime du droit matrimonial britannique.
La jurisprudence de la Haute Cour favorise les droits des femmes épousés selon la charia
Dans les faits, cela n’est pas faux : le mariage résulte de la volonté des parties de vivre comme mari et femme conformément à une réalité qui précède le droit positif.
En l’occurrence, le juge a refusé de considérer que la cohabitation des deux intéressés avait eu lieu dans le cadre d’un « non mariage », faute d’avoir respecté certaines conditions de validité : il a conclu – un peu bizarrement – qu’il s’est bien agi d’un mariage selon le droit britannique, mais en l’occurrence d’un mariage « non avenu », décision qui permet à l’épouse d’obtenir un décret de nullité qui lui permettra d’obtenir, notamment, une part des biens dont bénéficiait le couple au cours de sa vie commune. A défaut, Nasreen Akhter n’aurait rien pu obtenir. Une spécialiste du droit matrimonial britannique, Hazel Wright, a expliqué que son mariage a été qualifié de « valide mais non avenu, offrant un espoir à de nombreuses personnes qui sans cela se trouvent victimes de discrimination ».
La formulation paraît désigner une contradiction interne. Mais l’explication, c’est qu’on ne saurait pas parler de mariage nul s’il n’y a pas eu une cérémonie constituant visiblement et vraisemblablement un mariage en bonne et due forme. En somme, le mariage selon la charia a été considéré dans cette affaire comme relevant pleinement du droit du mariage applicable au Royaume-Uni, mais en cette occurrence estimé nul par défaut de l’entier respect de ce droit.
Au-delà, cette affaire montre l’emprise de l’islam en Grande-Bretagne : même si l’objectif du juge était de sauvegarder les intérêts de cette femme musulmane, la charia fait son entrée dans les cours par la petite porte…