C’est la première fois qu’une Cour suprême majoritairement républicaine (6 contre 3) est appelée à statuer sur ce phénomène qui infeste notre société. L’industrie pornographique est en effet montée au créneau au sujet d’une loi du Texas qui exige que les « sites pour adultes » utilisent une technologie de vérification de l’âge pour empêcher les mineurs d’accéder à du « matériel sexuel » qui leur serait « préjudiciable. »
A ceux, nombreux, qui attendent cette décision, les remarques inquiètes faites à l’audience du 15 janvier ont déjà donné des indications : les juges, y compris la très démocrate Elena Kagan, sont presque tous convaincus que le gouvernement doit avoir le pouvoir de restreindre l’accès des enfants à la pornographie.
Les conséquences que sa consommation engendre chez eux sont désastreuses et les études se multiplient sans que cette industrie qui pesait 10 milliards de dollars en 2024, n’y trouve rien à redire. Et pour cause : ces enfants d’aujourd’hui sont ses clients de demain, esclaves détournés, rendus addicts, affectivement et sexuellement insatisfaits et instables, quand ils ne sont pas transformés en agresseurs et violeurs, en miroir de tout ce qu’ils ont pu voir.
La Cour suprême pourrait trouver des faiblesses au Premier Amendement
Pour l’industrie pornographique, c’est certain, la loi autorisée par la cour d’appel fédérale du Texas viole le droit constitutionnel à la liberté d’expression, le fameux Premier Amendement. Mais la plupart des juges sont restés largement dubitatifs au vu des difficultés à pouvoir protéger les mineurs : en bref, ils ont reconnu que la pornographie était devenue un problème majeur pour les parents, comme l’a noté Michael Cook sur le média en ligne Mercator.
Certes, une précédente affaire similaire, en 2004, Ashcroft contre ACLU, avait donné lieu à une annulation de l’exigence fédérale de limitation de l’âge. Mais les temps ont changé, les smartphones sont arrivés, toute la connectivité ambiante a élargi l’accès à la pornographie d’une manière phénoménale, sans que les tentatives de filtrage ne fonctionnent efficacement. « Vous admettrez que nous vivons dans un monde totalement différent », a déclaré le juge Clarence Thomas.
Cette nouvelle affaire, connue sous le nom de « Coalition pour la liberté d’expression c. Paxton », pourrait donc bien faire revoir sa copie à la Cour suprême. Si ce n’est que la vraie question ne réside pas dans le fait que les enfants puissent avoir accès ou non à ces immondices, mais qu’elles existent librement, avec une telle impunité. Car dans ce nouveau monde hyper-connecté, les enfants sont forcément éclaboussés. D’autant que l’industrie du porno, sans qu’elle ne l’avoue jamais, fait tout pour les cibler : il suffit de voir les bandeaux publicitaires qui apparaissent lorsqu’un enfant regarde un dessin animé sur un site de streaming ou joue à des jeux vidéo sur des sites illégaux…
En France, 2,3 millions de mineurs fréquentent des sites pornographiques
La réalité est que le droit à la liberté d’expression ne pèse pas vraiment lourd face aux dommages indiscutables que le visionnage de la pornographie cause aux mineurs. A ce titre, un rapport édifiant qui vient d’être publié par l’Institut Wheatley de l’Université Brigham Young et l’Institute for Family Studies : il réalise une synthèse de toutes les études et sondages sérieux effectués depuis vingt ans.
La première impression est l’écrasante progression du phénomène. Si l’industrie du porno a été multipliée par 4 en moins de quinze ans, avec l’essor de l’Internet (2,5 milliards de dollars seulement en 2007), le nombre de ses clients aussi, en particulier les jeunes. Selon une étude française de l’ARCOM de mai 2023, le nombre de mineurs exposés a crû de 36 % en l’espace de seulement cinq ans : dès 12 ans, plus de la moitié des garçons se rend en moyenne chaque mois sur ces sites, ils sont près des deux tiers à s’y rendre entre 16 et 17 ans.
Chaque mois, ce sont donc 30 % des mineurs qui se rendent sur un site pour adultes (contre 37 % pour les adultes), et 9 % le font quotidiennement. Ce qui fait que 12 % de l’audience des sites adultes est réalisée par les mineurs (17 % sur certains sites) ! Un chiffre considérable qui s’explique par une confrontation précoce : selon une étude nationale américaine, la plupart des enfants commenceraient à regarder du matériel sexuellement explicite entre 10 et 14 ans, la toute première fois n’étant pas volontaire pour plus de la moitié d’entre eux.
En somme, aujourd’hui, la très grande majorité des mineurs ont déjà été exposés à du contenu pornographique. « En fait, la pornographie régulière est la norme, et non l’exception, pour les garçons comme pour les filles », a déclaré l’un des co-auteurs de l’étude. Et notre système judiciaire a tout fait pour protéger les droits des fournisseurs de pornographie à distribuer ce matériel aux enfants (et aux adultes) sans contrainte.
Les enfants, cible de l’industrie pornographique : une crise mondiale
Et il est prouvé qu’il nuit, certifie le rapport, « à leur développement et à leur comportement, à court et à long terme », à un niveau encore plus élevé que pour les adultes en raison de la sensibilité de leur stade de développement. Là-dessus, les études scientifiques convergent systématiquement.
Non seulement la consommation juvénile de pornographie engendre « des attitudes sexuelles permissives plus fortes » selon une étude américaine de 2016 (l’âge du premier rapport sexuel est plus précoce), mais elle engendre aussi une certaine forme de violence qui peut être seulement verbale, mais aussi physique et sexuelle. Une méta-analyse de 2023 constate que l’exposition à la pornographie augmente la probabilité de comportements sexuels problématiques et malsains chez les enfants et les adolescents de 150 %, et de 250 % lorsque cette pornographie est violente ou agressive (étonnamment, le nombre de filles semble alors supérieur à celui des garçons).
Parce qu’en toute logique, plus ils en consomment, plus ils se dirigent vers du contenu plus extrême et plus nocif : et une grande partie des médias sexuels disponibles en ligne représentent régulièrement des viols, des violences faites aux femmes, des comportements sexuels déviants tels que l’inceste et les relations sexuelles avec des mineurs.
Une vaste enquête internationale a révélé, en 2022, que plus d’un garçon mineur sur 5 qui regarde de la pornographie a déclaré rechercher et regarder à plusieurs reprises du matériel sexuel représentant la domination et la soumission et un sur 10 a déclaré regarder régulièrement de la pornographie représentant un viol ou d’autres formes de violence sexuelle ; 35 % avaient regardé de la pornographie représentant au moins l’un des partenaires comme un adolescent mineur et près de 4 % ont déclaré avoir regardé des actes sexuels avec des enfants.
D’autre part, la pornographie est une drogue qui crée l’addiction, comme le rapportait Jeanne Smits, sur RiTV : le fait d’en regarder, à n’importe quel degré de fréquence, expose à un risque de consommation problématique, dysfonctionnelle et compulsive à l’avenir, qui peut avoir des effets négatifs immenses « sur le bien-être et les relations d’une personne à l’âge adulte » et, pire, « le risque de développer plus tard des modèles de pornographie malsains ».
Prendre conscience de la « montée de la vulnérabilité » chez les enfants et les adolescents
On perçoit ainsi assez facilement à quel point c’est un outil incroyablement sûr et efficace pour maltraiter non seulement les personnes, mais aussi celles qui les fréquentent, les familles et la société dans son ensemble, puisque le mal va se répandre, telle une infestation. La pédocriminalité a évidemment partie liée avec elle quoique ce rapport ne l’évoque pas. Les agresseurs sont souvent des consommateurs accrus de pornographie qui ont franchi les étapes de la perversion la plus aboutie – et leurs victimes ont désappris à se méfier.
Comme le rapportait un article du Figaro en avril 2024, partout en France, les taux de violences sexuelles sur les enfants sont en hausse. Et elles sont aussi en ligne : en 2023, plus de 100 millions de photos et de vidéos à caractère sexuel impliquant des enfants ont été repérées. Les signalements de ces contenus pédocriminels en ligne ont augmenté de 6.000 % dans le monde, en l’espace de 10 ans. On n’a jamais autant défendu, du moins en apparence, les droits des enfants et ceux des femmes : ils n’ont jamais été aussi malmenés par cette industrie odieuse et démoniaque qui véhicule des messages exactement inverses.
C’est toute la jeunesse du monde, en particulier celle de l’Occident, qui est visée par cette marée noire de la pornographie. Et les victimes mineures d’aujourd’hui, non seulement seront toujours, demain, des victimes, en subissant à l’âge adulte les effets pervers, mais se mueront peut-être en agresseurs, dans une chaîne du mal auto-génératrice.
Aider les parents à prévenir leurs enfants et à filtrer les contenus, tenter de contrôler les producteurs de pornographie en ligne, faire vérifier l’âge sur les appareils connectés… Telles sont les recommandations du rapport. Plane malheureusement le sentiment qu’on lutte contre Goliath sans la fronde de David. Surtout quand on voit que 90 % des enfants, en France, reçoivent un smartphone avant l’âge de 13 ans.