Seuls dix pour cent du pays sont physiquement touchés par la guerre, et les habitants ont appris à se débrouiller avec l’horreur, mais c’est l’unité syrienne qui est ruinée. A Damas les réfugiés survivent en attendant, peut-être, de la reconstruire. Le temps est long mais la vie l’emporte. De Damas, Charlotte d’Ornellas.
« Nous pardonnerons, mais il nous sera impossible d’oublier. En attendant il nous faut bien vivre » Dala*, jeune étudiante sunnite de 22 ans est originaire d’un petit village situé non loin de la frontière turque, au nord de la Syrie. Quelques mèches brunes entrecoupent un sourire mystérieux, mais une détermination ferme : « nous vivons entre la vie et la mort, c’est ça la révolution qui devait libérer la Syrie ? Regarder les informations est insupportable, notre pays est défiguré ». Un peu plus loin Mohammed, étudiant venu de Homs acquiesce largement : « cela fait trois ans que les horreurs s’enchaînent autour de nous, que nous apprenons la mort de voisins, amis ou parents, mais nous devons vivre pour mieux reconstruire ensuite. C’est pour ça que je m’oblige à aller chaque jour à la faculté, et à donner des cours aux orphelins de guerre à Homs, c’est un devoir ».
Quelques points de contrôle ralentissent une dense circulation, les conducteurs ouvrent docilement leur coffre sous l’injonction des militaires et une pluie de klaxon, les rues sont pleines de badauds, de vendeurs en tous genres, la ville a gardé son charme oriental.
Déçus par la France
Au détour d’une rue passagère, l’entrée d’une université où vont et viennent de très nombreux étudiants. Tout y semble si normal, les allées sont remplies de bavards, les bancs accueillent ceux qui révisent une dernière fois : les étudiants sont en vacances, mais les examens sont début janvier. Un professeur de français présente quelques-uns de ses étudiants : « Nous en voulons beaucoup à la France en ce moment, mais ça ne nous empêche pas d’aimer sa langue » sourit Ahmad. Il est originaire de Deraa, la ville du sud de la Syrie où avaient débuté les manifestations : « toute ma famille est partie se réfugier en Jordanie, pour moi c’était inenvisageable. J’aime mon pays et je veux y rester, suivre mes études pour pouvoir lui apporter ensuite tout ce dont je suis capable. Certains se battent, d’autres étudient, la Syrie a besoin de nous tous ! »
A un kilomètre du front entre l’armée et les rebelles, le bruit des armes couvre les klaxons mais les passants continuent à aller et venir : « il y a trois ans, à la moindre manifestation tout le monde restait chez soi, maintenant plus personne n’y fait attention, nous n’avons pas le choix » confie l’un d’eux. Juste derrière lui l’entrée d’un hôpital tenu par les filles de la Charité, sur le seuil une famille vient d’apprendre la mort de la grand-mère… Les sœurs n’arrêtent pas : « nous continuons notre travail, comme avant. Pendant la guerre les gens continuent aussi à mourir de maladie, de vieillesse et nous continuons à les accompagner » sourit une jeune sœur libanaise envoyée à Damas quelques années auparavant. La veille, 17 blessés sont arrivés dans l’hôpital à la suite d’un tir de mortier. « La guerre nous amène plus de blessés, et nous sommes moins nombreux mais c’est également une façon de servir le peuple syrien si touché par la guerre » confie Boutros, un des médecins parmi les 30% à être restés en Syrie.
Revivre ensemble ?
« La seule chose qui change vraiment à Damas, c’est l’absence totale de touristes depuis trois ans, et c’est très dur pour nous » confie Antoine, guide touristique qui aime plus que tout raconter à des voyageurs émerveillés l’histoire de la citadelle, avant de les aider à faire de bonnes affaires dans les souks.
A part le grondement du canon et les barrages Damas est plutôt calme. Ailleurs dans le pays quelques villes ou villages sont ravagés par les exactions des rebelles, les mortiers ou les bombardements incessants de l’armée syrienne. Le nord de la Ville d’Alep est le théâtre de multiples affrontements, comme certains quartiers de la ville elle-même, à commencer par ses historiques souks entièrement détruits. Le nord de la Syrie est particulièrement touché : les villes de Homs, Idlib, Kamchi ou encore Der Elzor dont de nombreux habitants se réfugient à Damas ou hors du pays. Sont également touchés les sites touristiques et historiques pillés par une partie des rebelles comme Palmyre, Maaloula ou le légendaire Crak des Chevaliers. Autour de Damas également les combats ont détruit la région de la Ghouta dans laquelle poussaient de nombreux arbres fruitiers qui faisaient la richesse des habitants de la région.
Caritas Syrie affirme que seul un dixième du territoire syrien est directement touché par les combats, ailleurs on souffre de la peur, de l’effondrement de l’économie, et des graves problèmes sociaux qu’elle engendre.
Les damascènes vivent avec un semblant de normalité mais sont épuisés d’attendre la paix. Pour leurs hôtes réfugiés, la vie est loin d’être normale, « elle ne le sera pas tant que nous ne pourrons pas rentrer chez nous, louer une maison est hors de prix, trouver un travail difficile… » Tous ont hâte de reconstruire la Syrie, avec autant de crainte que de confiance : « bien sûr nous craignons que la Syrie devienne communautaire après de tels combats, ce qu’elle n’était pas du tout. Mais nous avons vécus tous ensemble tellement longtemps que nous y arriverons » sourit tristement Maria, une photo de son village défiguré à la main.
*Par prudence, les prénoms ont été modifiés