Comment faire avaler la « mort choisie » au peuple ? Alors que le Royaume-Uni vient de passer la première étape vers la légalisation de l’euthanasie, que le nouveau Premier ministre François Bayrou s’est engagé à faire du même en récupérant le projet « fin de vie » pour une prompte discussion parlementaire, après l’interruption causée par la dissolution, on a vraiment l’impression que l’état des soins joue comme un accélérateur. Dans de nombreux pays, les systèmes de santé connaissent une sorte de panne simultanée – pénurie de médecins, de lits, de médicaments, tous évitables avec un minimum de prévoyance gouvernementale – aggravée par l’assurance maladie soviétoïde, aux mains de l’Etat. Le même constat prévaut des deux côtés de la Manche : que l’on soit Britannique ou Français, on se heurte trop souvent à des listes d’attente interminables, des urgences débordées, la déliquescence de la médecine générale. Il semble même que le Royaume-Uni, avec son « National Health Service » gratuit et totalement socialisé, soit encore plus démunie que l’Assurance Maladie. En témoigne un rapport officiel qui vient d’être publié par le Royal College of Nursing (il n’y a pas d’association plus officielle et reconnue pour les infirmières britanniques que le RCN) : il parle d’un « effondrement dévastateur » en matière de soins à l’hôpital. On y meurt désormais dans les couloirs…
Un rapport sur les urgences au Royaume-Uni révèle les horreurs de la pénurie
C’est une « bombe », assure le Telegraph. Plus de 5.000 infirmiers et infirmières ont remonté leurs expériences – et leur colère – devant les « horreurs » auxquelles ils sont confrontés. Les soins sont aujourd’hui prodigués d’une manière « abjecte et totalement inacceptable », a déclaré la secrétaire générale du RCN, Nicola Ranger – telles qu’elles n’eussent jamais été tolérées autrefois.
Donc, des patients meurent dans les couloirs des urgences, les « A&E » (Accident and Emergency comme les appellent les Anglais). Certains d’entre eux ne sont découverts qu’au bout de plusieurs heures. D’autres décèdent faute de réanimation parce que les lieux sont tellement encombrés de malades qu’il est impossible de les acheminer vers les zones de soins ; des infirmières affirment partir en larmes parce qu’il leur est impossible de les aider.
D’autres parlent de retraités vulnérables et fragiles qu’on soigne de plus en plus souvent dans des placards, des bureaux ou même sur des parkings. Beaucoup ne reçoivent pas de soins élémentaires et ils attendent seuls, en larmes, sans même être nettoyés s’ils se salissent. Il faut dire que certains services d’urgences sont tellement débordés qu’on n’y compte qu’une infirmière pour 50 patients.
Résultat : des cancéreux immunodéprimés sont bloqués dans des réduits pendant des heures et parfois pendant des jours ; tout comme des femmes faisant des fausses couches. Même des malades en fin de vie sont entassés ensemble, comme l’a raconté une infirmière en soins palliatifs du nord-est de l’Angleterre : elle a vu deux mourants entourés de leurs familles sans la moindre intimité pour ces derniers moments. « J’avais l’impression de voir un film horrible que je ne pouvais pas arrêter », raconte l’infirmière.
Des décès aux urgences parce que les couloirs sont bloqués par des brancards
De manière générale, les infirmières parlent de vieillards que l’on soigne dans « des conditions inhumaines, dignes du tiers-monde ». Les statistiques officielles notent que les longues attentes aux urgences sont liées à plus de 300 décès par semaine, tandis qu’en 2024, 518.000 patients ont attendu aux urgences pendant plus de douze heures : c’est 23 fois plus qu’en 2019.
La situation entraîne la démoralisation chez les soignants : une infirmière raconte ainsi avoir craqué lorsqu’elle a vu une vieille dame démente demander en vain qu’on l’aide à aller aux toilettes avant de finir en pleurs sur son brancard. « Voir cette dame, apeurée et soumise à des conditions dignes d’un animal m’a brisée. Quand j’ai fini mon service, j’ai présenté ma démission sans perspective d’emploi. Je refuse de travailler en un lieu où ce genre d’événement est quotidien », a-t-elle témoigné dans le rapport.
Neuf infirmières sur dix estiment que la sécurité des soins n’est pas assurée ; elles sont nombreuses à raconter que les problèmes ne se limitent pas aux urgences mais se retrouvent dans d’autres services, y compris en oncologie.
Aux urgences au Royaume-Uni, c’est « pire » que sous le covid
Aujourd’hui, et c’est heureux, des soignants s’indignent de ce manque de dignité accordé aux patients les plus âgés, les plus fragiles, les plus démunis.
Mais la situation était prévisible, elle s’est progressivement dégradée, devenant même « pire qu’au moment du covid », confie une infirmière britannique ; et les responsables politiques s’en rejettent la faute. On voit mal les choses s’arranger…
Inéluctablement, pourtant, la manière dont on considère ces patients abandonnés et maltraités ne saura qu’évoluer. L’insensibilisation des soignants se fera par leur exposition quotidienne à l’inhumanité ; on s’arme face à la souffrance, surtout quand on n’y peut rien, et l’empathie s’émousse. Ou alors ils se révolteront. Dans les deux cas, la « délivrance » des malades apparaîtra comme un bien : vite, une piqûre, et le problème sera réglé. Place aux jeunes ! C’est de cette manière qu’on promeut la culture de mort.