Le célèbre Juge Ti, héros des romans policier de Robert van Gulik, réapparaît au cinéma avec Détective Dee. Van Gulik, sinologue authentique, a repris un héros chinois traditionnel alors oublié pour l’accommoder à l’esprit rationnel européen. Les amateurs des œuvres de l’auteur néerlandais ne retrouveront rien de leurs lectures. Revenu à ses origines, le Juge s’inscrit dans la culture populaire chinoise d’aujourd’hui. Le film est manqué, car il oscille en permanence entre trois genres, le policier, le fantastique, le comique. Il ne se prend jamais au sérieux, sans être franchement drôle pour autant, et des phénomènes a priori extraordinaires trouvent des explications « rationnelles absurdes.
Qu’est-ce que l’humour chinois ? Eh bien, du moins dans sa variante populaire, ça ne vole vraiment pas haut. Par exemple, via un remède chinois traditionnel, les personnages boivent de l’urine d’eunuque, plaisanterie récurrente, répugnante et pas drôle à notre goût. Ou bien l’impératrice menace de couper la tête de tous les protagonistes, constamment, ne le fait jamais, ce qui lasse à la longue.
La reconstitution historique elle aussi est manquée, pour qui a quelque idée de la Luoyang des Tang. Mais on peut regarder le film comme un reportage involontaire sur l’état des mentalités en Chine aujourd’hui. La morale de l’histoire est en effet édifiante, et elle est explicitée sans discrétion par les personnages principaux, dont Detective Dee : les Chinois doivent rester honnêtes et travailleurs, s’ils deviennent fainéants et corrompus, ils seront envahis par les étrangers. Et ces étrangers sont désignés, même si on ne les appelle pas par leur nom. Ils habitent des îles mystérieuses à l’Est de la Chine, suivez mon regard. Les méchants étrangers parlent un idiome qui sonne comme du japonais aux oreilles chinoises ou européennes ; ces étrangers dressent des monstres – un dragon géant marin, une sorte de raie géante de 70 mètres d’envergure – contre les flottes chinoises, complotent pour empoisonner toute la Cour impériale, réalisent des cultures de parasites sur des corps humains. Cette dernière scène, horrible, renvoie pour tous les Chinois à l’Unité 731, centre d’expériences d’armes biologiques nippon en Mandchourie au début des années quarante.
Faut-il préciser, face à cette avalanche, que le Japon, pays de vieillards, dépourvu de la bombe atomique, ne risque plus d’envahir la Chine continentale comme il le fit en 1937-38 ? La crainte absurde en est pourtant diffusée à travers ce film chinois populaire, et cette dimension de lourde propagande peut seule intéresser le spectateur critique, ce qui ne raccourcit pas Detective Dee pour autant.