Dette à l’égard de la Chine : le Kenya en proie à des manifestations réprimées dans le sang

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Ecrasés par de nouvelles taxes frappant notamment les biens de première nécessité et les voitures, inquiets face à la loi budgétaire de 2024-2025 qui les appauvrira encore davantage, de nombreux Kenyans sont descendus dans la rue mardi dans une ambiance d’émeute qui a conduit à une attaque directe contre le pouvoir, puisque des manifestants ont forcé des barrages de polices et pénétré dans l’enceinte du parlement à Nairobi, incendiant une partie du bâtiment. L’armée est intervenue et, selon Amnesty International, a tiré sur la foule à balles réelles, « au moins cinq personnes ont été tuées » selon l’association dont les dires sont corroborés par d’autres groupement de défense des droits de l’homme. Le président du Kenya, William Ruto, a pris la parole dans les médias pour annoncer que tout serait fait pour « réprimer l’anarchie ». Il a de toutes façons les mains liées par la dette abyssale du Kenya, notamment la Chine qui représente quelque 70 % des sommes dues. Impossible de rembourser sans faire cracher le petit peuple…

Si le think tank britannique indépendant Chatham House, le Royal Institute of International Affairs, à tendance globaliste et proche du Forum économique mondial, tentait encore au début de l’année dernière de minimiser le rôle de la dette kenyane à l’égard de la Chine, celle-ci n’a fait que croître depuis lors et le Kenya devient ainsi la figure emblématique d’une économie phagocytée par la plus grande puissance mondiale ouvertement communiste.

 

La Nouvelle Route de la Soie dans la dette du Kenya

Cela se passe notamment par le biais de l’initiative de la Nouvelle Route de la Soie, projet cher à Xi Jinping qui permet à la Chine de financer et de construire des infrastructures jusque sur le continent africain et même en Amérique du sud pour prendre la main sur les chemins du fret mondial sur terre et en mer, et au passage faire des pays en développement ses obligés à plus d’un titre.

En octobre dernier, Ruto cherchait ainsi à obtenir un prêt supplémentaire d’un milliard de dollars (le Kenya devait déjà 70 milliards à l’époque) à l’occasion de la rencontre de « leaders globaux » qui se tenait alors à Pekin pour fêter le 10e anniversaire du Belt and Road Initiative (BRI), nom international de la Nouvelle Route de la Soie.

C’était faire preuve d’entêtement : le Standard Gauge Railway, voie ferrée normalisée construite entre le port de Mombasa, Nairobi et la Vallée du Rift a coûté 4,7 milliards de dollars en emprunts du Kenya à la Chine dans le cadre de la BRI, et peine à rapporter en raison des retards de livraison et du peu d’intérêt des transporteurs pour les services proposés. Les promesses des constructeurs chinois se révélaient avoir été des boniments… William Ruto espérait obtenir cette rallonge – alors que la Chine venait de fermer son robinet du crédit – afin de pouvoir achever des constructions routières indispensables au fonctionnement de l’infrastructure ; en même temps, il réclamait le rééchelonnement du paiement de la dette antérieure, qu’il voulait repayer « lentement ».

 

La Chine a promis monts et merveilles ; maintenant il faut payer

C’est que la situation est compliquée par la dévaluation du shilling kenyan, le coût du pétrole et le service d’une dette quelque peu opaque : à l’automne dernier, les parlementaires avaient dû recourir à une motion exigeant du gouvernement de révéler toutes les dettes contractées par le pays depuis l’arrivée de William Ruto au pouvoir en septembre 2022.

Il y avait urgence : c’est cette année, en 2024, qu’une part importante de la dette kenyane à l’égard de la Chine, son plus gros créancier, évaluée à 6 milliards en février, et à 6,7 milliards actuellement est arrivée à maturation au cours de l’exercice fiscal 2023-2014. Alors que la dette publique du Kenya représente déjà 67 % du PIB, l’étau se resserre ; et il faut noter qu’elle a gonflé de 50 % depuis que le pays a rejoint la BRI chinoise il y a dix ans pour se lancer dans des dépenses d’infrastructures qui n’ont pas vraiment eu de retours sur investissement.

Si le Kenya a d’autres créditeurs, y compris la Banque mondiale et le FMI, avec lesquels il est possible de discuter, la Chine n’est pas dans cette optique puisqu’elle pratique des taux plus élevés et rechigne à procéder à des remises : elle opte au contraire pour l’extension des durées de prêts qui aboutissent à rendre les remboursements encore plus onéreux alors que les intérêts s’accumulent. Et les paiements, en dollars alors que le shilling fluctue, sont naturellement financés par le contribuable.

Chose intéressante, la Chine insiste pour garder secrètes les conditions de ses prêts aux pays africains : selon la source Africa Defense Forum, Ruto a rendu publiques une partie d’entre elles au nom de la « transparence ». Avec la volonté de rembourser, toutefois, avec pour objectif affiché la réduction de la dépendance du Kenya à l’égard de la Chine.

 

Le Kenya est l’un des principaux débiteurs de la Chine

Le Kenya est aujourd’hui au nombre des cinq pays les plus endettés à l’égard de la Chine : seuls le devancent l’Ethiopie, le Sri Lanka, l’Angola et le Pakistan, plus gros débiteur à 26,6 milliards de dollars. La Chine, à travers les paiements kenyans à l’Export-Import Bank of China, représente à elle seule un quart des paiements du service de la dette, avec le remboursement de 1,2 milliards de dollars en intérêts et principal d’ici à juin 2025, comme a pu le vérifier le Parlement kenyan.

En pâtissent les contribuables, mais aussi les infrastructures publiques du Kenya dans leur ensemble, puisqu’il n’y a pas d’argent pour les investissements.

La Chine n’apparaît décidément pas comme la bienfaitrice de l’Etat subsaharien ; et s’il est habituel d’entendre le « Sud global » se plaindre ou se voir inciter à se plaindre plutôt du colonialisme et du « néo-colonialisme » des pays développés d’Occident, il est difficile de ne pas y voir de la prédation.

 

Les évêques du Kenya condamnent la riposte sanglante aux manifestations

Mardi, des membres de la Conférence épiscopale catholique du Kenya ont tenu une conférence de presse dénonçant les violences policières et celles de l’armée contre les manifestants atteints dans leurs vies de tous les jours par le poids de la dette extérieure du pays, et condamnant fermement la répression ayant entraîné des morts et de nombreux blessés, notamment par balles. La basilique mineure de la Sainte Famille de l’archidiocèse catholique de Nairobi a même accueilli une tente où des urgentistes ont pu soigner des manifestants blessés. Selon l’agence catholique ACI Africa, la police a fait irruption dans les lieux et a envoyé des gaz lacrymogènes sur les urgentistes présents.

Un long communiqué des évêques a dénoncé des « attaques abusives contre des manifestants pacifiques », « elles ne peuvent être justifiées », ont-ils déclaré. « La police a bien des moyens pour assurer que les manifestations demeurent pacifiques. Elle doit se concentrer sur les criminels qui s’implantent au cœur des protestations pacifiques afin de semer le chaos et qui volent ou détruisent les biens. »

Les évêques ont également dénoncé les « taxes punitives » et « excessives » que le gouvernement veut mettre en place.

Où l’on comprend que la mise en place du mondialisme est utilisée à certaines fins bien particulières ; et au moins à semer le chaos parmi des populations déjà éprouvées.

 

Anne Dolhein