Le « deuil écologique » à l’université Simon Fraser au Canada : la spiritualité globale progresse

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Dans une semaine, le Canada célébrera sa Journée nationale du deuil. Comme tous les ans, le 3e mardi de novembre sera marqué par la prise en compte du « chagrin » des personnes et des familles confrontées à la perte d’un être cher. On y perçoit quelque réminiscence, laïcisée évidemment, du « mois des morts », ce mois de novembre où, après avoir fêté tous les saints, l’Eglise catholique commémore tous les fidèles défunts et prie tout spécialement pour les âmes du purgatoire. Mais cette année, on ne parle pas seulement du grand-père, de l’épouse ou de l’enfant arrachés à l’affection des leurs : le « chapelain écologique » de l’université publique Simon Fraser University près de Vancouver propose d’en faire aussi un jour pour prendre en compte l’anxiété, le chagrin et pourquoi pas le deuil écologique.

Pleurer la nature comme on fait le deuil d’un proche parent ? C’est une personnification révélatrice des nouvelles formes que prennent la spiritualité dans notre monde : une spiritualité de la planète, prêtant une sorte d’identité supérieure aux choses, aux plantes, aux animaux, où l’on peut « communier » dans la douleur quelle que soit sa religion ou son absence de religion… Une spiritualité globale, telle qu’elle se dessine aujourd’hui dans le monde avec son parfum de panthéisme.

 

Le deuil écologique pour marquer le mois des morts…

Pour Jason Brown, maître de conférences en études religieuses et « humanités écologiques », très officiel « chapelain écologique » de la Simon Fraser University, le chagrin est « un compagnon » et non « une chose qu’il faudrait pathologiser » : il faut « cultiver une relation » avec ce sentiment de deuil, le prendre en compte.

Il veut notamment offrir aux étudiants une « direction spirituelle » pour les aider à gérer leur « anxiété et leur chagrin à l’égard du changement climatique ».

« Les étudiants sont sardoniques au sujet de leur avenir et comme celui-ci semble tellement sombre, ils se demandent pourquoi ils ont pris la décision de s’investir dans le domaine écologique », affirme-t-il.

Son travail de « chapelain écologique » n’a pas besoin d’être « rattaché à une religion donnée », assure Jason Brown : il s’agit de relier spiritualité, religion et écologie pour aider les étudiants à « construire de la résilience face à l’incertitude écologique ».

Son ambition ? Offrir aux étudiants un « espace de sécurité et de non-jugement » pour qu’ils puissent exprimer leurs différentes anxiétés et leur deuil par rapport à la « perte » écologique. Un chagrin qui peut aller du cynisme à la rage intense, à la dépression ou à l’anxiété généralisée.

 

Le deuil écologique pour partager sa douleur

La vie sur le campus de Simon Fraser risque de devenir un tantinet déprimante… Jason Brown a prévu des événements plus ou moins durables comme la création d’un « Climate Café » où les « endeuillés » pourront partager leur ressenti, et la mise en place d’ateliers d’écriture dont les participants pourront apprendre à le décrire sous le titre « Journaling Our Ecological Grief » : « Tenir le journal de notre chagrin écologique ».

« Nous allons continuer de bricoler avec notre Climate Café et donner une plus grande place sur le campus ; nous ferons des présentations pour faire montre du chagrin en public », a-t-il annoncé.

Une collection de ressources sur la « résilience vis-à-vis du chagrin et de l’anxiété climatiques » a été mise en place dans la bibliothèque universitaire sous le titre « Solastalgia » : après deux premières semaines sur le campus, elle sera présentée pendant la seconde quinzaine de novembre dans la bibliothèque de la SFU dans le centre de Vancouver.

Au titre de sa direction spirituelle écologique, Brown propose à ses dirigés de pratiquer « la méditation silencieuse, des promenades contemplatives en forêt… se connecter à la tradition religieuse ancestrale » : l’objectif est de construire une connexion spirituelle avec le monde.

 

La spiritualité globale remplacera même l’apéro

Ayant noté que Vancouver, qui se veut la ville la plus « verte » au monde, est également celle qui est réputée avoir les habitants qui se sentent les plus seuls, Brown pense que le fait de partager la tristesse écologique pourrait bien aider à réduire ce sentiment d’isolement. Moins gai qu’un apéro entre voisins, forcément…

Avec le soutien et la collaboration de la faculté de l’environnement de son université publique, Brown organisera le 19 novembre un « Sanctuaire du deuil » : les participants pourront y partager leur deuil et leur tristesse en apportant une photo représentant l’être cher qu’ils pleurent – que ce soit « une personne, un animal domestique, une espèce bien-aimée, une scène tragique, un écosystème qu’on espère ne pas perdre en raison du chaos climatique ». Ils s’assoiront ensemble en silence avec leur douleur, avant de se présenter et d’évoquer leur ressenti puis de s’épauler les uns les autres, « avec gentillesse et au besoin en se touchant délicatement ». Enfin viendra l’heure de la création d’un « autel à la douleur » où chacun déposera un cierge allumé.

Le pire, c’est qu’il risque d’y avoir du monde.

 

Jeanne Smits